Le grand emprunt ou le miroir aux alouettes
Daniel Steinmetz Secrétaire Général du SNTRS-CGT
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, le 13 septembre 2010Le grand emprunt ou le miroir aux alouettes
Daniel Steinmetz Secrétaire Général du SNTRS-CGT
Les alouettes, volatiles qui ne brillent pas par l’esprit, sont éblouies par les reflets du miroir et après s’être faites piégées finissent en pâté. Actuellement, si une petite partie de la communauté scientifique semble aussi éblouie par le grand emprunt que les alouettes par le miroir, nombreux sont ceux qui préparent leurs réponses aux appels d’offre, sans illusions mais contraints par les besoins de financement de leur laboratoire ou université. Pourtant, il y aurait matière à réflexion. Les 100 milliards du projet Juppé-Rocard se sont transformés en 35 milliards dont 21,9 milliards relèvent du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cette somme peut, de prime abord, sembler considérable, puisque du même ordre de grandeur que les 23 milliards du budget annuel que l’Etat consacre à la MIRES (mission interministérielle de la recherche et de l’enseignement supérieur). Mais, les laboratoires et les universités ne profiteront que d’une petite fraction de cette somme, pour l’essentiel les intérêts des placements. Le montage financier est compliqué. L’Etat emprunte auprès des marchés à un taux voisin de 2,5%, distribue une petite partie des21,9 milliards en crédits consommables et confie 17,7 milliards à l’ANR (Agence Nationale de la recherche) qui les placera auprès de la caisse des dépôts et consignations au taux de 3,5% . Ce seront les intérêts de ces placements qui seront distribués aux lauréats. La seule opération qui échappe à cette logique est le plateau de Saclay pour lequel le milliard d’euros du grand emprunt sera totalement consommable. Le montage financier rompt avec le financement sur impôt par l’intermédiaire du budget de l’Etat et se veut respectueux des critères de Maastricht. L’Elysée a déjà déclaré le 14 décembre 2009 que les intérêts payés par l’Etat seront compensés par une réduction des dépenses courantes. Quant au placement en capital, il n’augmentera pas la dette de l’Etat. Seule la crise financière a empêché le tandem Juppé-Rocard et le gouvernement de financer des fondations universitaires « à l’américaine » et laisser les universités boursicoter. Les lourdes pertes boursières des universités anglo-américaines expliquent le choix des règles de prudence pour les placements à la Caisse des Dépots.
Au delà des gargarismes permanents autour de l’excellence, l’ensemble des projets du grand emprunt vont vers la mise en place de 5 à 10 grands sites universitaires. Ceux-ci seront dotés de 7,7 milliards en capital courant 2011, dans une opération baptisée « initiative d’excellence » qui finalisera et « emboitera » l’ensemble des appels d’offres du grand emprunt. Cette logique de concentration sur quelques sites qui inspire l’ensemble des appels d’offre, va appauvrir des dizaines de régions réputées non prioritaires. Il est temps de poser au niveau politique cette question essentielle de l’aménagement équilibré du territoire. On avance de plus en plus clairement vers un système universitaire à deux vitesses. Il n’y aura pas plus de 5 IHU Instituts Hospitalo Universitaire), pas plus d’une dizaine de « SATT » (sociétés d’accélération du transfert de technologies) et pas plus de 4 à 6 IRT (Instituts de recherche technologiques).
Les appels d’offre LABEX (Laboratoires d’Excellence) est le bon exemple de pilotage. Un milliard d’euros sera distribué en deux tranches, mais seuls 100 millions seront consommables, le reste sera placé par l’intermédiaire de l’ANR et rapportera environ 30 millions par an qui seront distribuées aux lauréats pendant 10 ans. Alors deux questions se posent : combien de lauréats et pourquoi ces procédures. Les lauréats risquent d’être peu nombreux, car le ministère est critique vis-à-vis de l’AERES (Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) qui a distribué trop de labels A+. La réponse au « pourquoi » est à trouver dans la logique même du système. Aucun financement n’échappe à la règle de mise en concurrence, et à la volonté de liquider petit à petit les EPST et leurs prérogatives. Le CNRS, l’INRA et les autres EPST finançaient les labos, ainsi que les équipements mi lourds. Maintenant LABEX financera une partie des labos et le projet EQUIPEX financera les équipements m- lourds. Il faut rappeler que depuis plusieurs années le CNRS est dans l’incapacité budgétaire de financer ces appareils. C’est la suite de l’agonie des EPST qui est programmée.
Tous les projets devront mettre en évidence leur capacité à faire du retour sur investissement : prouver les liens avec le tissu économique local est quasi obligatoire avec si possible une coopération avec les pôles de compétitivité.
Les appels à projets vont également permettre le recrutement de personnels sur statut temporaire, accentuant encore plus la politique de précarisation de l’emploi mise en oeuvre de puis de nombreuses années. Les 50 000 précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche, recensés par l’intersyndicale, vont trouver bien saumâtre ce grand emprunt
(article publié dans l’édition du 3 septembre 2010 de "L’Humanité")