ANR
Agence nationale contre la recherche - suite
réflexions récentes
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, le 27 septembre 2010S. Huet a donné l’occasion de s’exprimer sur son blog à Alain Trautmann qui venait d’être élu par plus de 1000 voix au conseil scientifique du CNRS.
Voir les déclarations d’Alain Trautmann :
Concernant l’ANR, il dénonce en particulier « l’opacité et l’arbitraire » du « mode de fonctionnement [qui] contribuent à un sentiment d’écoeurement et d’impuissance qui mine nombre de collègues, condamnés à passer un temps toujours croissant à déposer de nouvelles demandes de financement, faisant des projets au lieu de faire de la recherche »
En réponse, nous avons reçu des témoignages sur les effets néfastes des nouveaux modes de fonctionnements mis en place par les réformes des dernières années.
Par exemple :
« Voici un autre méfait de l’ANR que connaît mon labo. Les parcours individuels d’excellence conduisent à une ségrégation dans le labo ; en particulier l’ANR permet aux titulaires du projet de financer des décharges de service d’enseignement. Les collègues ne veulent plus faire des heures sup pour permettre aux excellents de persévérer (dans l’excellence) ; on doit chercher des vacataires (profs de BTS par exemple) ! »
Voici une réaction au texte d’Alain Trautmann :
« merci pour votre message. Il y a une phrase que je trouve capitale : "Ce n’est pas seulement une position de principe, c’est aussi une position de bon sens : il faut arrêter la course aux nouveaux projets qu’on n’approfondit pas pour passer aux suivants." J’ai vraiment le sentiment qu’on est sur un vélo et que si on arrête de pédaler on tombe. Je vois bien mes collègues lancer des foules de projets que des sous-sous-fifres vont traiter, sans contrôle sur la rigueur scientifique, parce que y a pas le temps, et puis si ça marche pas tant pis, on passe discrètement à autre chose, l’essentiel est d’avoir pu se payer un technicien pendant un an pour repiquer les souches, ou acheter un nouvel appareil... »
Bernard Jusserand (DR CNRS, Institut des Nanosciences de Paris) a réagi par le texte suivant :
Merci à Alain Trautmann de ramener la question de l’ANR sur le devant de l’actualité maintenant. L’opacité est un point très fort mais il n’est pas spécifique à l’ANR. C’est l’omniprésence tentaculaire de l’ANR qui rend cette opacité particulièrement insupportable.
Reste que l’impact sur le fonctionnement de la recherche et des laboratoires est plus que jamais un problème majeur : nous devons continuer à lutter pour que le financement par projet soit ramené à un complément de financement à l’occasion du lancement de nouveaux projets tandis que la vie de nos laboratoires doit reposer sur le fonctionnement récurrent. Ce n’est pas seulement une position de principe, c’est aussi une position de bon sens : il faut arrêter la course aux nouveaux projets qu’on approfondit pas pour passer aux suivants. Il faut arrêter de stériliser notre temps de travail à devoir vendre toujours du nouveau pour faire survivre notre activité au quotidien. Nous sommes presque tous à penser que l’on va dans le mur avec cette politique mais nous sommes de moins en moins nombreux à voir comment faire autrement. Nous pourrions réfléchir à nouveau à la position de boycott en la plaçant dans la perspective d’un nouvel équilibre de financement que défendrions. Les échéances électorales nationales en sont sans doute l’occasion.
La question du jour c’est encore plus les "machins d’excellence" qui semblent agiter de façon stérile mais intense beaucoup de nos collègues. Je doute qu’il y en ait beaucoup qui y croient mais ils ne voient pas comment faire autrement. C’est peut-être un sujet plus simple que l’ANR qui elle 1) convient dans son principe à une partie de nos collègues même s’ils critiquent ses modalités et 2) amène de l’argent à beaucoup. Rien de tel pour le grand emprunt. Quant à l’opacité, c’est certainement le record toute catégorie ! Ne devrions nous pas définir d’urgence une position collective sur cette question ?
Bernard
PS je colle ci-dessous un message (sans les noms de personne) que j’avais envoyé avant l’été à des collègues préparant un dossier grand emprunt
bonjour
Je souhaite par ce message vous exposer ma position par rapport à ce dossier.
J’ai été contacté par XXX. Je connaissais le contexte de ce projet dans le cadre du grand emprunt, un cadre qui me déplaît fortement d’un point de vue général.
Depuis cette date, j’ai pris conscience du caractère destructif de ce processus pour le fonctionnement de l’enseignement supérieur et de la recherche auquel je suis attaché. A travers les sommes, dérisoires au niveau national et éventuellement virtuelles, le grand emprunt est un levier de plus pour bouleverser le paysage ESR avec à la clé la mise à l’écart de toutes les structures collégiales et démocratiques au profit du développement du clientélisme et de la monopolisation des décisions principales par quelques uns qui se fourrent partout et se cooptent entre eux et ne rendent pas compte de leurs décisions. Ils se clament très occupés, ce qui n’a rien de surprenant puisqu’ils veulent tout régenter.
Le grand emprunt accentue le développement de la mendicité compétitive comme règle de financement de notre travail. Ce n’est pas ce que nous voulons. Nous avons besoin d’un fonctionnement récurrent significatif, ce qui nous permet de travailler et de réfléchir, au lieu de subir la pression des managers qui ne savent se valoriser qu’en brassant de l’argent, en lançant des programmes "émergents" à tour de bras sans se préoccuper beaucoup de leur réalisation et en empêchant de fait les autres d’avoir les moyens de travailler au quotidien.
Car c’est là la vraie question : l’argent donné à ces projets est pris aux autres. L’idée de proposer l’achat d’un nouveau XXX n’est pas mauvaise et relève sans doute mieux que d’autres d’un appel à projet spécifique. Mais pendant ce temps les crédits récurrents des laboratoires stagnent voire décroissent, les mécanismes tels que les BQR qui permettent bon an mal an de faire vivre nos recherches sont vidés de leur substance. Plus grave, l’argent est pris à d’autres structures de recherche dont les activités sont moins à la mode ou dont les dirigeants sont moins bien introduits dans les couloirs qui donnent accès au tiroir-caisse.
Le système de recherche antérieur avait ses défauts, ses opacités, ses magouilles, c’est humain, mais aujourd’hui nous vivons une transition de phase : ce qui existait est devenu un principe de fonctionnement. Il n’est plus possible faire avancer quelque idée raisonnable dans un combat idéologique et de pouvoir par des managers qui sont achetés par des primes toujours croissantes. C’est le triomphe de la cupidité, ou plus précisément de l’affichage éhonté de la cupidité.
Aujourd’hui, que devons nous faire ? Les directeurs de labos sont dans une situation difficile, ils doivent gérer avec ce qui leur arrive, quoiqu’ils en pensent. Nous chercheurs de base, nous pouvons prendre des décisions et les leur faire savoir. Pour moi ma décision est claire : j’ai essayé de m’accommoder de certains aspects issus du pacte de la recherche qui me paraissaient moins mauvais que d’autres. La machine de destruction poursuit son oeuvre, le CNRS est entré dans sa phase terminale avec un président qui n’est qu’un valet au service de ceux qui, au gouvernement et dans certaines sphères universitaires, veulent la disparition du CNRS.
Je ne crois pas qu’aucun de nos projets scientifiques justifie par son urgence de cautionner tout ce que je viens de décrire. Le pouvoir sarkozien est en pleine déliquescence, ceux qui ont vu une opportunité de pouvoir ont tout intérêt à serrer les coudes. Serrons les aussi, bloquons la mécanique, refusons tout contact avec ces gens, au gouvernement et à l’UPMC.
Comme vous l’avez compris, je ne participerai pas à cette demande. Je suis bien sûr ennuyé vis-à-vis de collègues dont je respecte le travail, mais je crois pas que ce sentiment suffise à justifier que je cautionne une mécanique qui ne donne pas à d’autres collègues que j’apprécie tout autant les moyens de travailler dans des conditions normales.
bien amicalement Bernard