La
perspective du remaniement ministériel donnes des ailes à Valérie
Pécresse, elle multiplie les initiatives, les interviews et les
one-woman-shows, elle est sur tous les fronts. De peur qu’on
l’oublie, elle fait son rapport d’activité. Son entretien dans
les Echos du 27/09/10, significativement intitulé « D’ici à
2012, j’aurai réparé les dégâts de Mai 1968 »
sonne comme un testament « en cas de malheur imprévu »,
dans lequel la sinistre donne, dans chaque phrase, toute la mesure de
sa dextérité en matière de « communication » :
omissions, mensonges, à-peu-près, généralisations abusives,
contre-vérités, sophismes, amalgames, oxymores, etc.
En
noir les questions, en bleu les réponses, en rouge nos commentaires.
La
rentrée universitaire s’est plutôt passée dans le calme mais
l’opinion a parfois du mal à voir clair dans toutes vos réformes :
la loi sur l’autonomie, l’opération campus, les investissements
d’avenir… Où en êtes-vous et quelle est leur cohérence ?
Dans
la réponse qui suit, la ministre ne répond pas à la question
posée, à savoir : « quelle cohérence ? ».
Heureusement la Cour des comptes avait déjà répondu : « après
la mise en place de nouvelles structures en 2006, après l’opération
campus, les mesures envisagées pour l’emprunt national recèlent
un risque d’empilement supplémentaire des labels et des structures
et de complexification des relations entre les acteurs ».
http://www.sncs.fr/article.php3?id_article=2401
C’est
très simple ! L’étape numéro un, cela a été, en 2007, la
loi sur l’autonomie. Son objectif a été de faire sauter les
barrières et de libérer les initiatives pour le plus grand bénéfice
des étudiants.
« Faire
sauter les barrières », « libérer les
initiatives » relève du langage pécressien verbeux et
sirupeux classique. Il s’agit non seulement au passage d’habiller
quelques mensonges, mais aussi et surtout de s’afficher comme
appartenant à la caste des managers, et d’habituer les gens à
parler « néo-libéral »
Les
universités peuvent maintenant gérer leurs ressources humaines,
recruter des professeurs étrangers.
Mensonge
encore ! Les universités depuis longtemps pouvaient recruter
des professeurs étrangers. Quant à la gestion des ressources
humaines par les universités, cela permet de transférer toute une
gamme de tâches à remplir (plan licence, équivalence TP-TD,
insertion des étudiants) sans créer le moindre poste statutaire.
Nous
avons ouvert les conseils d’administration, permis la prime au mérite
pour les enseignants et les chercheurs…
Si
les CA sont ouverts, on se demande pourquoi la ministre propose plus
loin que les « personnalités extérieures devront avoir une
plus grande place ». Quant à la « prime au mérite »
pour les E-C, elle existait déjà sous le nom de PEDR.
En
janvier 2011, 75 universités sur 83 seront passées à
l’autonomie. Les premiers pas des universités autonomes ont rassuré
et lancé le mouvement en levant les craintes qui pendant tant
d’années ont empêché toute réforme. La seconde étape, c’est le
démarrage en 2008 de l’opération campus.
Comme
si elles avaient eu le choix ! Le passage à l’autonomie était
obligatoire sur 3 ans, quelques su-sucres étant distribués à
celles qui passaient le cap plus vite, sans attendre la « voiture
balai »
Sur
l’immobilier, justement, où en est-on ?
Avec
un tiers de locaux vétustes, il nous fallait un grand plan de
rénovation pour mettre enfin nos campus aux standards
internationaux.
C’est
vrai que, après le plan Université 2000 de la gauche, rien n’avait
été fait depuis 2002, date à laquelle Valérie Pécresse devint
conseillère de Jacques Chirac. Visiblement, elle s’intéressait
alors plus à combattre… mai 68 (voir plus loin) que de proposer à
Chirac de construire des bâtiments universitaires.
Nous
en avons fait un outil pour redessiner le paysage universitaire en
favorisant les regroupements. Aujourd’hui, grâce aux 5 milliards
de l’opération, douze campus sont en train d’émerger, dont
Saclay, auquel le président de la République a donné vendredi le
coup d’envoi.
« En
train d’émerger » est un gentil euphémisme. Quant à
Saclay, il s’agit d’une dilapidation de milliards, sans prendre
en compte l’avis des intéressés, pour in fine affaiblir
l’Université Paris 11-Orsay, l’une des meilleures universités
françaises.
http://www.sncs.fr/article.php3?id_article=2522
Nous
passons maintenant à la troisième étape avec les investissements
d’avenir, financés par le grand emprunt : 22 milliards
pour des universités, des laboratoires, des équipements…
Avec
le Grand emprunt, il s’agit de finir d’ôter tout pouvoir aux
universités et aux organismes dans la distribution des crédits (il
y avait déjà l’ANR), et cela au profit des « comités
Valérie » entièrement nommés. Il vise à une orientation
plus utilitariste de l’ES-R. Sur le plan financier, rappelons que
les intérêts versés des 22 milliards (dont, en fait, seuls 16
correspondent à l’ES-R public), seront compensés par la baisse
des crédits de base des établissements.
http://www.sncs.fr/article.php3?id_article=2533.
Au
total, avec ces trois chantiers, l’université française se
décomplexe, d’abord vis-à-vis des grandes écoles : des cursus
communs et des doubles diplômes se développent. La cloison entre
les deux systèmes tombe, au bénéfice des étudiants.
Oui,
oui : la ministre a isolé les « 12 plus prestigieuses
(grandes) écoles » dans le PRES ParisTech, pour bien les
prémunir de contaminations universitaires. Il est vrai aussi qu’elle
entend aligner le programme des khâgnes littéraires sur la
préparation aux écoles de commerce et de management.
Ensuite,
vis-à-vis du monde économique grâce aux fondations et aux
partenariats entre recherche publique et privée. Et, enfin, en
levant le tabou de l’insertion professionnelle avec la prochaine
publication des taux d’insertion en master en novembre.
Depuis
50 ans, il y a bien 10 000 publications ou articles sur ce prétendu
tabou. Il reste seulement à savoir prévoir l’évolution de
l’emploi dans les dix ans qui viennent avec une erreur inférieure
à 100 %. Et à justifier le fait d’ajuster les formations à ces
indicateurs primaires et simplistes.
C’est
l’autonomie qui a permis de déclencher la révolution culturelle de
l’université française.
Appelez
moi désormais Valérie Mao-Pécresse
D’ici
à 2012, j’aurai, je l’espère, réparé les dégâts de Mai 1968,
qui avait cassé l’université. Pas seulement au sens propre en
éclatant les disciplines dans des établissements séparés, mais
aussi en instaurant une gouvernance illisible et en refusant la
professionnalisation.
Cette
obsession anti-68 de notre versaillaise n’est pas nouvelle : «
On a redécouvert les valeurs de la droite, le couple
liberté-responsabilité, l’autorité, le respect de l’autre et
de la loi, le travail. C’est sur ces thématiques du travail et du
respect de la loi que la gauche a perdu les élections. Les gens en
ont assez de l’ordre moral de Mai 68 : il est interdit d’interdire,
le politiquement correct, c’est bien de ne pas travailler, on a
toujours des excuses pour cracher à la gueule de son professeur …
». Cette déclaration de Valérie Pécresse a été faite en 2003,
au journal Le Progrès (le 11/03/03). Déjà tout un programme avant
d’être ministre ! Peut-être même est-ce pour cela qu’elle
a été choisie.
Concrètement,
vous lancez aujourd’hui le très attendu appel à projets pour la
dizaine d’« initiatives d’excellence », ces pôles à
vocation mondiale, avec à la clef une dotation de 7,7 milliards
d’euros. Quels seront les critères ?
Il
faut d’abord rappeler qu’il y aura une dizaine de lauréats, capables
de rivaliser avec les grands campus mondiaux comme Princeton,
Harvard, Cambridge, etc. Ils toucheront les intérêts d’une
dotation non consumptible de 700 millions à 1 milliard
d’euros, pour une période de quatre ans. Ils pourront aussi recevoir
cette dotation de manière définitive à l’issue de cette période
probatoire si l’évaluation est positive.
Il
s’agit de l’aspect le plus irrémédiablement destructeur de
l’emprunt. Car la somme, (7,7 milliards en capital), de ces
« initiatives » creusera d’autant plus les écarts
entre les gagnants et les perdants qu’elle entrainera une baisse
corrélative des moyens budgétaires « normaux », cette
fois pour tous et qui touchera toutes les lignes budgétaires. 90 %
des établissements y perdront.
Oxford,
Berkeley, Harvard ou Caltech ne tiennent pas leur prestige et leurs
ressources d’un grand loto, mais d’une reconnaissance nationale
et internationale construite sur des décennies par la qualité de
leurs formations et de leur recherche.
Pour
les critères, il y en a trois qui seront arbitrés par un jury
international à partir du printemps. Le ministère ne fera pas
partie du jury mais accompagnera les projets. In fine, c’est le jury
et le Commissariat général à l’investissement qui sélectionneront.
Rappel :
le Commissaire général à l’investissement est un haut
fonctionnaire nommé par Sarkozy. In fine, c’est lui qui
tranchera : le choix sera politique.
Le
premier critère est l’excellence de la formation et de la recherche.
Cela veut dire que les étudiants devront être au contact des
méthodes, des technologies et des résultats de la recherche la plus
avancée, en doctorat mais aussi en master.
En
creux mais très clairement, la ministre considère que le lien
enseignement recherche n’est pas nécessaire en Licence. Bien sûr,
ça devient une habitude, une régression est précédée de
considération sur « l’excellence ».
Les
partenariats public-privé [PPP] sont le deuxième critère, avec,
par exemple, des laboratoires communs entreprises et universités …
Comme
toujours Pécresse se moque délibérément du monde en mélangeant
tout. Il n’y a strictement rien de commun entre les PPP qui sont
une forme d’emprunt-leasing et les laboratoires communs
public-privé qui sont une structure de recherche, pas très nouvelle
du reste puisqu’il y en a depuis vingt ans au CNRS, qui en compte
dix-huit. Nouveau !!!
…
des chaires financées par les entreprises ou des sociétés de
valorisation de la recherche dans les pôles d’enseignement
supérieur.
Sur
ce point le bilan est positif car, heureusement, très peu ont été
créées, même si Total en a installé quelques unes aux Etats-Unis
grâce au CIR payé par le contribuable français. Même si L’Oréal
(vous connaissez ?) en a créé une au Collège de France. Parce
qu’il le vaut bien.
C’est
crucial car, aujourd’hui, nous sommes un grand pays de sciences, mais
pas encore d’innovation. Nous ne déposons pas assez de brevets au
regard de la qualité de notre production scientifique et, pire, nous
ne les faisons pas assez vivre sous forme de création de start-up ou
de transfert de technologie à l’industrie.
Dans
le monde, 98 % des brevets sont déposés par le secteur privé et
industriel. Avec les aides de l’Etat (directes et fiscales) les
plus fortes au monde, la ministre dresse un bilan de la recherche
privée française qui ne semble donc pas très bon.
Quel
sera le dernier critère ?
Les
candidats devront bâtir une gouvernance efficace, en fonction des
projets, des acteurs et des territoires. Je pense, par exemple, que
les personnalités extérieures devront avoir une plus grande place.
Comme
nous l’avions prévu dès l’annonce du Grand emprunt, l’un des
objectifs est d’enlever tout pouvoir réel aux Conseils
universitaires pour les conférer à « une gouvernance
efficace ». A savoir avec pas ou peu d’élus. C’est de
« l’autonomie dirigée ». Mais par qui ? Devinez.
Vos
critères n’impliquent-ils pas une sélection à l’entrée de
l’université ?
Elles
le font déjà pour certains cursus. Mais l’objectif du projet, c’est
effectivement d’avoir de nouvelles formations, professionnalisantes,
universitaires ou mixtes avec les grandes écoles, appuyées sur des
travaux de recherche de pointe.
Là,
Pécresse s’attribue l’invention du fil à couper le beurre :
cela fait plus de 20 ans que les universités ont mis en place des
formations professionnalisantes. Par contre, pour les formations
mixtes avec les (grandes) écoles, la ministre a dressé toutes les
barrières pour que cela se fasse le moins possible : (i) le
PRES ParisTech (bientôt université ?) isole des cursus
universitaires les douze écoles « les plus prestigieuses » ;
(ii) parmi elles, huit sont à Saclay ou vont y déménager. Donc, à
l’exception de Paris 11-Orsay (et encore il faut voir),
pratiquement aucune université de l’I-d-F ne pourra mettre en
œuvre les annonces de la ministre.
Un
autre appel à projets du grand emprunt, pour les équipements cette
fois, vient, lui, de se terminer. Quels en sont les premiers
retours ?
Nous
avons récolté 333 dossiers. La moitié dans l’ingénierie et
10 % dans les sciences humaines et sociales. Nous avons par
exemple reçu des demandes de cryomicroscopes électroniques, qui
sont sept fois plus nombreux en Allemagne… Il y a aussi à Caen un
projet original sur le traitement du cancer par irradiation
d’hadrons.
Comme
l’a dit si joliment, mais involontairement, Pécresse devant la
CPU : « Nous
allons apporter un soutien exceptionnel, en permettant aux équipes
les plus prometteuses
de bénéficier ENFIN
des équipements lourds qu’elles attendent, parfois depuis
des années ».
Dans la novlangue, une équipe prometteuse travaille sur un sujet
s’inscrivant dans la SNRI (Stratégie Nationale de Recherche et
d’Innovation).
N’êtes-vous
pas avec ces opérations en train de créer une université à deux
vitesses ?
Les
investissements d’avenir auront un effet d’entraînement sur toutes
les universités. Ils les mettront en réseau pour ne pas laisser sur
le côté les plus petites.
C’est
très exactement le contraire, et c’est fait pour cela : quand
on met 7,7 milliards sur quelques sites, qu’on laisse au mieux
stagner les crédits budgétaires pour les autres, on accroît les
disparités et, à terme, on élimine la recherche de tous les
perdants du loto « initiatives d’excellence ».
Nous
avons réussi in extremis à retenir un chercheur exceptionnel de
classe mondiale sur les batteries électriques, Jean-Marie Tarascon,
en partance pour les Etats-Unis, en lui montrant que son laboratoire
d’Amiens pourrait être labellisé.
Ceci
démontre le crétinisme et le malthusianisme qui sous-tendent les
« initiatives d’excellence », qui sont en fait le moyen
de réduire la recherche internationale à une dizaine de sites en
France. Ce qui est anormal c’est qu’il faille le fait du prince
pour permettre à Jean-Marie Tarascon de rester en France. Combien,
au nom d’une prétendue quête d’« excellence »,
d’excellents laboratoires dans des universités petites ou moyennes
sont ou vont être condamnés ? Combien de jeunes (et de moins
jeunes) chercheurs, reconnus internationalement, ont quitté la
France à cause de cette politique absurde. Avec une telle politique,
quelle chance aurait eu un Gérard Férey, médaille d’or 2010 du
CNRS, ancien instituteur, qui a commencé sa carrière à l’IUT du
Mans, qui l’a poursuivie à l’université du même nom, puis à
Versailles-Saint-Quentin ? Crétinisme est le bon terme.
Vous
êtes là depuis 2007, mais vos réformes n’ont pour l’instant pas
fait remonter la France dans les classements internationaux. Quand
prévoyez-vous une amélioration ?
Je
fais tout pour que nos résultats s’améliorent dans les classements
2011. Pour l’instant, on ne voit pas l’effet des réformes parce
qu’une bonne partie des universités ne renseignent pas suffisamment
les classements. Pour le classement de Shanghai, toutes les données
ne sont pas prises en compte puisque le CNRS et l’Inserm refusaient
jusqu’à présent que les publications de leurs chercheurs des unités
mixtes universités-organismes de recherche soient retenues. C’est
absurde. Cela doit changer.
Ah
Shanghai ! Ce classement inepte sur lequel Valérie Pécresse
s’est appuyée pour justifier ses réformes est devenupersona
non grata depuis qu’il nuit
gravement au rapport d’activité de Pécresse : depuis 2007,
les classements ne se sont pas améliorés. Mais pour se justifier,
elle ne trouve rien d’autre qu’une contre-vérité : jamais
le CNRS ou l’INSERM n’ont empêché les chercheurs de signer les
publications de leurs deux tutelles, organisme et université.
A votre avis, si elle reprend le pouvoir en 2012, la gauche
reviendra-t-elle sur certains points de la réforme ?
Elle
ne reviendra sur rien. Je fais la réforme de l’université avec les
universitaires et ils sont majoritairement de gauche… Je crois
qu’ils attendaient cette réforme. Aujourd’hui, le système des
appels à projets du grand emprunt fait avancer les choses.
C’est
l’habitude de Pécresse de parler pour la droite, le centre et la
gauche. Avec des bonnes raisons car Pécresse a fait l’unanimité
en déclenchant (2009) le plus fort et le plus long mouvement de
contestation qu’ait jamais connu l’université française. En ce
sens, elle a raison de dire « qu’elle a rétabli la fierté
universitaire ». Tous les partis de gauche ont déjà annoncé
« qu’ils remplaceraient le Pacte pour la recherche et la LRU
par une nouvelle Loi d’orientation et de programmation. »
Le
président de la République a non seulement décidé de faire la
réforme, mais aussi d’y mettre les moyens et d’en finir avec une
honte française qui était le sous-financement de l’université.
Pécresse
a au moins inventé une nouvelle unité de compte : le
milliard-verbal. Pour le reste, malgré les milliards verbaux qui
pleuvent chaque année, l’OCDE n’a pas encore observé le moindre
soubresaut de l’effort financier de la France.
Etes-vous
candidate à votre propre succession ?
J’irai
où je suis utile, il me reste beaucoup à faire ici.
Oui,
il reste beaucoup à faire ! C’est sans doute la seule phrase
juste du texte : porter l’effort de recherche de la France à
3 % du PIB, démocratiser l’accès à l’université, faire un
vrai plan licence contre l’échec, organiser les universités en
réseau, rapprocher universités et grandes écoles, aménager le
territoire, donner aussi des moyens aux organismes de recherche,
faire un plan pluriannuel de création d’emplois scientifique,
éliminer la précarité, redonner l’espoir au jeunes, développer
la recherche industrielle, réviser en profondeur le CIR, doubler le
nombre de docteurs et de d’ingénieurs-docteurs formés, etc., etc.