La Journée de la science en Russie, une triste fête
le 12 février 2011
A l’occasion de la Fête de la science en Russie, l’Agence Russe d’Information Internationale (RIA Novosti) publie un article du journaliste Dmitri Babitch qui confirme et complète les analyses d’Alexandre Bikbov sur la situation du système scientifique russe. Il insiste en particulier sur l’intervention directe des instances politiques et des hommes d’affaires.
Au moment où le chef d’une mission d’évaluation scientifique qui avait été invité à déjeuner par le chef de l’Etat français devient l’un des dirigeants d’un laboratoire pharmaceutique important, et où la science française se restructure autour d’instances (les Alliances) et de projets (Idex, Labex etc) dirigés par le pouvoir politique, la situation russe prête à réflexion.
« (...) Les fonctionnaires gouvernementaux, les anciennes personnalités ayant des relations influentes et les hommes d’affaires importants ont intégré massivement l’académie. Les intentions paraissaient nobles : les instituts de recherches scientifiques dans une situation financière désastreuse avaient besoin de ce genre de dirigeants. Un ministre à la retraite était mieux placé pour comprendre les problèmes de l’économie russe contemporaine en prenant la direction d’un département dans un institut académique prestigieux. De plus, ces messieurs n’exigeaient pas des salaires exorbitants, ils avaient d’autres sources de revenus.
Or, l’arrivée de nouveaux responsables a été assortie de la perte de l’indépendance toute relative acquise par la science russe vers la fin de la période soviétique. Depuis 2006, le président de l’Académie des sciences de Russie est nommé par le chef de l’Etat ; la charte de l’académie et les présidents des académies sectorielles sont désignés par le gouvernement. Le gouvernement s’est octroyé le droit de fixer le nombre d’académiciens et de membres correspondants de l’Académie des sciences de Russie, ainsi que leurs salaires. L’assemblée générale de l’académie ne pouvait qu’indirectement influencer ce processus avec ses "suppliques."
En l’absence d’indépendance, il n’existe pas d’autocontrôle. Pourquoi serait-il nécessaire s’il existe un "contrôleur possédant plus de galons" ? Ainsi dans le débat sur les filtres miracles de Viktor Petrik qui transformeraient l’eau irradiée en eau potable, la voix du président de la Douma (chambre basse du parlement russe) Boris Gryzlov a pratiquement plus de poids que celle de la commission de l’Académie des sciences de Russie chargée de la lutte contre les pseudosciences et les falsifications. Gryzlov a apprécié les filtres, mais ce ne fut pas le cas des scientifiques qui ont été taxés "d’obscurantisme" dans les sphères gouvernementales. Et la Cour d’arbitrage de Saint-Pétersbourg a rejeté les accusations formulées dans la presse contre Petrik et a condamné les journaux qui avaient déclaré que les filtres étaient dangereux pour la santé des gens à dédommager leur inventeur.
Parfois la démocratie dans la science est nuisible. Mais il n’existe qu’un seul moyen de séparer la bonne graine de l’ivraie que l’on doit à la méthode des essais et des erreurs. Il s’agit de l’expertise gouvernementale ouverte réalisée par des scientifiques reconnus. Autrement dit, des personnes dont les articles sont publiés dans des revues scientifiques réputées, des experts dont la liste s’est établie au cours des ans. Aujourd’hui, il est nécessaire de restaurer ce système d’expertise.(...) »
(Merci à Thomas Fernique d’avoir signalé l’article de RIA Novosti)