A Lyon on dit NON à l’IDEX !!
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, le 26 avril 2011Intervention au CESER Michel Fodimbi Elu FSU au PRES Université de Lyon
Les « investissements d’avenir », Equipex, Labex, Idex. Le dispositif dans le contexte de l’autonomie des universités.
Les « Investissements d’avenir » issus du Grand Emprunt représentent sous forme d’appels à projets la somme de 21,9 milliards d’euros, dont 7,7 milliards sont consacrés aux Initiatives d’Excellence (Idex). Pour les Equipements d’excellence (Equipex) 52 projets ont été retenus sur les 336 déposés, pour les Laboratoires d’excellence (Labex) 100 projets sur 241, et pour les Idex 7 projets ont été présélectionnés sur 17 candidatures, parmi lesquels se trouvent les projets Idex Lyon Saint-Etienne et GUIPLUS de Grenoble.
Selon les appels à projets, les dotations sont composées d’une petite portion consomptible mais surtout d’intérêts relatifs à la dotation. Ainsi la dotation en capital demandée par l’Université de Lyon au titre de l’Idex, qui est de 1221 Millions d’Euros, devrait générer un revenu annuel d’environ 40 millions d’euros, correspondant au taux de rémunération de cette dotation fixé par un arrêté ministériel à 3,14%.
La communication ministérielle relayée par les médias consiste à introduire une confusion entre le montant de l’emprunt et les intérêts, de manière à faire croire que l’enseignement supérieur et la recherche bénéficient enfin des financements qui leur font défaut depuis si longtemps. L’OCDE et Eurostat confirment les constats : depuis 2002 en Euros constants, la dépense intérieure de R&D Française n’a pas augmenté, elle a même a diminué, cas unique dans l’OCDE avec la Hongrie. Le sénateur UMP Marini s’en inquiétait, la première année de fonctionnement le confirme, le mécanisme des IDEX est en réalité un jeu de vases communicants où ce qui est octroyé aux uns est retiré aux autres. Le financement du Grand Emprunt destiné aux seuls « excellents » soit au mieux 20% de l’ensemble, est payé par la diminution des dotations et des financements de tous ceux qui ne sont pas retenus, organismes de recherche inclus.
Rappelons que les sommes consacrées aux appels d’offre du Grand Emprunt ont déjà été prélevées et continueront de l‘être sur le budget de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Actuellement, les unités de recherche reçoivent leur soutien de base et constatent en général des diminutions allant de 10 à 20%.
Ainsi au lieu d’améliorer la situation de l’enseignement supérieur et de la recherche en France le dispositif Grand Emprunt va augmenter volontairement les différences entre les établissements, sans pour autant rétablir la balance moyenne par rapport aux autres pays de l’OCDE. A titre d’exemple, en 2007 les taux d’encadrement des universités françaises (aussi bien pédagogiques qu’administratifs) étaient très inférieurs à la moyenne des pays de l’OCDE, avec un rapport étudiant/personnels BIATOSS de 1 pour 7,5 dans les pays de l’OCDE, et de 1 pour 36 en France, un rapport enseignant/étudiant de 1 pour 15 dans les pays de l’OCDE, et de 1 pour 18 en France (Rapport du Sénat n° 382, 10 juin 2008, p. 44). Les universités françaises sont actuellement sous encadrées et sous financées et vont voir leur situation se dégrader à l’avenir.
Pour bien comprendre ce que vont subir les universités et les organismes de recherche, il faut rappeler brièvement certains points, et notamment la manière dont fonctionnent les dotations avec les fragilisations budgétaires qui en découlent. Ensuite nous verrons la manière dont l’Idex notamment va renforcer ces difficultés, non seulement en comparant les universités qui en font partie par rapport à celles qui en sont exclues, mais au sein même de l’Idex entre le périmètre relatif au financement grand emprunt soit 20% des labos et des formations et le reste, soit 80%.
La fragilisation budgétaire des universités a été dénoncée par les principales organisations syndicales, par Sauvons la recherche, par Sauvons l’Université, mais aussi par la Conférence des Présidents d’Universités qui n’a pas d’ordinaire une position très critique vis à vis des propositions gouvernementales. Les difficultés actuelles des universités, sont dues à la réforme induite par la Loi sur la Responsabilité des Universités, et par l’autonomie financière. Les universités sont placées dans l’incapacité légale et réglementaire dans laquelle de faire face aux charges et aux responsabilités qui résultent de leur prétendue autonomie, par exemple en matière de gestion de la masse salariale, des emplois et des ressources humaines. En effet, la loi LRU apparaît clairement aujourd’hui comme un dispositif permettant de reporter sur les établissements la responsabilité d’une politique de réduction d’emplois. Les universités gèrent la pénurie qu’elles subissent, par deux moyens essentiellement : le recours aux vacations et aux emplois précaires (CDD) en lieu et place de postes statutaires ; le gel de certains postes théoriquement ouverts et nécessaires.
Soit disant autonomes, les universités n’ont donc aucune marge de manœuvre : elles sont contraintes d’organiser elles-mêmes la destruction de la fonction publique, en multipliant les emplois précaires et en réduisant les effectifs des personnels, avec des incidences sur leur fonctionnement et leur capacité de remplir leurs missions de service public, mais aussi, à terme en diminuant la diversité de l’offre de formation et du potentiel de recherche.
C’est dans ce contexte de fragilisation de leurs financements, de dégradation des conditions de travail, de remise en cause par la LRU des statuts des personnels comme des fondements du fonctionnement collégial des universités, qu’apparaît le Grand Emprunt qui selon la communication gouvernementale se présenterait comme un financement sans précédent de la recherche et l’enseignement supérieur, qui permettrait à la France de tenir enfin son rang dans la compétition internationale.
Comme nous allons le voir, il s’agit en réalité d’une vaste entreprise de restructuration de l’enseignement supérieur et de la recherche à l’échelon national et régional, conduite en dehors de tout débat parlementaire et qui aura des conséquences importantes en termes d’aménagement du territoire. Car la constitution de quelques pôles d’excellence régionaux articulés avec les pôles de compétitivité, va sur-doter quelques régions, et comme l’indique Gilbert Casamatta, président du PRES de Toulouse, « les sites qui ne seront pas élus seront durablement rayés de la carte du paysage de la recherche en France ». Et comme l’indique Thierry Coulhon, directeur au Commissariat Général à l’Investissement, « La concentration (des labels d’excellence) est relativement importante, ce qui n’a rien de surprenant. (…) La variable "aménagement du territoire" ne fait en effet pas partie des critères de choix a priori : ce n’est pas le but de l’opération ».
Cette conception ultra-compétitive de la recherche, est singulière : mettre les universités en concurrence pour obtenir les financements indispensables à leurs missions de service public indique une curieuse conception du rôle de l’Etat. Et ce qui est extraordinaire c’est la facilité avec laquelle les Régions ainsi mises en concurrence accompagnent ces dispositifs, comme s’il y avait à gagner une course contre les autres Régions, comme si on pouvait se satisfaire du creusement des inégalités induites par cet affrontement. De fait l’acceptation des règles du jeu légitime la manière de procéder, et conduit à considérer que les relations entre les Régions de France doivent désormais s’établir selon le modèle de la concurrence, et non pas selon celui de la coopération et de la complémentarité.
La logique de l’Idex et ses conséquences :
La logique du Grand Emprunt est celle d’empilement de dispositifs, les Equipex en constituent la base « matérielle » ; les Labex représentent en quelque sorte la matière grise, répartie en configurations infiniment variables, mais selon un critère important de taille « critique » (les petits repasseront) ; les Idex viennent couronner le tout en sélectionnant quelques rares et grands pôles de recherche destinés à rassembler les forces les plus excellentes selon une logique de répartition territoriale très politique. Mais si les universités et les PRES concourent trois fois, il est exclu qu’ils gagnent à trois reprises comme certains le croient encore aujourd’hui. En effet les dotations Labex et Idex ne sont pas cumulables. Cette limitation des financements est clairement indiquée dans le texte de l’ANR : « Les fonds des Initiatives d’excellence et des Laboratoires d’excellence n’étant pas cumulables, un Laboratoire d’excellence relevant d’une Initiative d’excellence reçoit le soutien qui lui a été accordé dans le cadre du dispositif d’allocation propre à l’Initiative, une fois celle-ci désignée ». Donc, les lauréats de l’Idex n’auront droit qu’aux dotations de l’Idex.
Le gouvernement conçoit l’excellence tout d’abord en récompensant ceux qui sont déjà excellents, ou supposés comme tels selon l’évaluation du « jury ministériel » : « Les candidatures d’Initiatives d’excellence devront faire la démonstration de leur qualité au moment du dépôt du projet (excellence de l’existant) ». Ainsi les universités et les PRES concourent bien pour confirmer et renforcer une excellence qui existe déjà, mais selon des critères désormais définis en dehors de l’université et de la recherche française. Cette définition de l’excellence a des conséquences sur l’existence de champs disciplinaires entiers, notamment dans les sciences humaines et sociales ou encore les humanités. Monsieur Fernand Siré député des Pyrénées Orientales, n’a t-il pas déclaré à l’Assemblée Nationale, le 16 mars dernier : « Mieux vaudrait rationaliser les dépenses en supprimant toutes les filières qui ne conduisent à rien – par exemple psychologie, sociologie ou encore géologie à l’université » ? Cette vision utilitariste de la science, déjà invoquée dans le cadre de « l’économie de la connaissance », pour en faire un moteur du développement économique, conduit à prioriser certaines disciplines scientifiques et à essayer d’instrumentaliser les autres, en leur inventant une nouvelle utilité sociale : celle d’être au service de projets définis par les champs politiques et socio-économiques.
Les Idex ont pour second trait remarquable d’être soumises à un impératif de « visibilité internationale » et à un « effort permanent de benchmarking international ». « S’agissant de leur projet, (l’Idex) devra définir son niveau d’ambition dans la compétition mondiale et préciser, notamment, à quels campus internationaux il souhaite se comparer ». On abdique toute quête d’une spécificité ou d’une originalité nationale. L’imposition des techniques stratégiques du marketing vise à transformer définitivement quelques universités en entreprises de stature internationale. De plus l’université française est appelée à se renouveler par une importation massive des « excellents » étrangers, s’agissant des enseignants chercheurs et des étudiants, avec bien peu de considération pour la qualité des chercheurs, des jeunes chercheurs et des étudiants français, l’élévation de la qualité de la recherche française par nos propres chercheurs et au bénéfice de nos propres étudiants, n’apparaissant plus qu’en filigrane dans les textes de l’ANR.
Si cela n’étonne pas, c’est parce que l’idéologie de l’excellence repose sur un axiome sans cesse répété et dont personne n’a jamais fait la démonstration : la concurrence avivée par l’importation des meilleurs serait vecteur d’émulation. Indiquons-le avec force : la recherche repose beaucoup plus sur le partage et les coopérations que sur la compétition, et si l’émulation est bien entendu toujours présente, c’est qu’elle trouve son origine dans l’activité de recherche elle-même et pas dans la quête de reconnaissance par des labels ou des crédits budgétaires. Il est vrai que la vision des relations qui nous est proposée entre les Etats et actuellement entre les Régions, à savoir la compétition, est assez éloignée des pratiques scientifiques de coopération, de partage, et d’échanges.
La troisième caractéristique est la concentration extrême des moyens sur des périmètres d’excellence très ciblés et donc très limités. Ceux qui croient encore à « l’excellence partout et pour tous » vont être déçus. La logique gouvernementale est d’en finir définitivement avec la répartition des moyens et de procéder à leur concentration sur ceux que les jurys auront considérés comme étant les meilleurs. L’appel d’offres est explicite : « Les financements du projet d’Initiative d’excellence au titre du programme « Investissements d’avenir » devront faire l’objet d’un engagement du porteur quant à leur concentration sur le périmètre d’excellence ».
Mais ce qui est passé inaperçu c’est l’obligation de concentrer également les moyens récurrents des universités et des organismes de recherche sur ledit périmètre : « Les actions des Initiatives d’excellence mobiliseront à la fois ces financements et les financements récurrents des institutions présentes affectées à ces sites (moyens en personnels et infrastructures notamment), et auxquels ils s’ajoutent ». Le démantèlement administratif du CNRS et sa fusion-dissolution programmée au service des Idex s’inscrivent parfaitement dans cette logique de double concentration. Il faut donc s’attendre à ce qu’il y ait bientôt de fortes ponctions sur les moyens pérennes des universités au risque d’asphyxier et de voir disparaître des projets, des laboratoires des formations et finalement des secteurs disciplinaires qui ne seront pas dans le périmètre d’excellence. Quand ce ne sont pas des territoires entiers qui seront menacés. En observant la carte géographique des résultats des concours, et des concentrations d’excellence qui en découlent, on constate que ce ne sont plus aujourd’hui des craintes, mais des faits.
L’élaboration des projets : dans l’urgence, dans l’opacité, et en petits comités.
Le gouvernement en imposant un rythme effréné pour les réponses à l’appel d’offres a volontairement créé les conditions pour que les projets soient élaborés par de petits comités de personnes, présidents d’universités, directeurs ou présidents de grandes écoles, équipes de direction des universités, en tenant à l‘écart l’essentiel de la communauté universitaire.
Ces élaborations opaques et pressées, réalisées dans l’entre-soi, contournant les conseils centraux des universités, mettant volontairement à l’écart la communauté universitaire, ne créant pas les conditions des indispensables débats, construisant artificiellement l’excellence à partir des notes produites par l’AERES et par le rassemblement des thèmes de l’excellence au moyen des citations scientifiques, ne peuvent pas conduire à des projets cohérents susceptibles de mobiliser la communauté universitaire et scientifique dans son ensemble. A titre d’exemple, le Congrès réunissant les trois conseils centraux de l’Université Claude Bernard, réuni par son président début novembre dernier sous la demande expresse des organisations syndicales, au sujet des conséquences pour l’UCBL du projet Idex, a manifesté clairement la défiance de la communauté universitaire, par le vote de la motion suivante : « Le congrès de l’Université Lyon 1 réuni le 9 novembre 2010 au sujet du projet Initiative d’Excellence Université de Lyon dénonce les dérives liées à la mise en œuvre de la course à l’excellence impulsée par les appels à projets du grand emprunt, en particulier l’action « Initiatives d’Excellence ». Le monde universitaire soutient les initiatives qui visent à l’amélioration de ses missions principales que sont la formation et la recherche. En engageant une restructuration importante du paysage universitaire sans objectif précis et en définissant un « périmètre d’excellence » uniquement dicté par les notations de l’AERES, l’Initiative d’Excellence proposée renforce une politique fondée sur la mise en concurrence des pôles universitaires, des établissements, des laboratoires, des équipes et des personnels qui ne va pas dans le sens de l’amélioration des missions du monde universitaire ».
Ce processus de mise en place de l’Idex, qui favorise certains champs va contribuer à un appauvrissement des formations et des thèmes de recherche. Or selon la très grande majorité des chercheurs, la recherche ne se pilote pas. Elle doit pouvoir se déployer dans toutes les directions, et être irriguée par l’ensemble des champs scientifiques. L’Idex par sa logique de surconcentration des moyens va être totalement contre-productive sur ce plan, car elle va conduire à abandonner des pans entiers de connaissances sous prétexte qu’ils ne se situent pas dans les domaines jugés aujourd’hui comme prioritaires. Mais ces domaines seront peut-être indispensables demain. Le développement scientifique de Grenoble a reposé sur la Houille Blanche, puis sur le nucléaire et maintenant sur les nanotechnologies : qui est à même de prévoir la prochaine transition ? La réduction des forces aux seules nanotechnologies met l’avenir en péril.
Pour résumer et pour conclure :
Les Idex de Lyon-Saint-Etienne, et de Grenoble vont avoir un impact majeur dans la réorganisation de l’offre de formation universitaire et de recherche de la Région Rhône-Alpes. En privilégiant certaines thématiques de recherche, et en orientant les financements sur ces seuls périmètres, cela va conduire à fragiliser de nombreuses équipes de recherche et de formation, qui n’ont pourtant pas démérité.
Rappelons que l’excellence telle qu’elle est conçue ne représente au plus que 20% de la communauté universitaire, on va donc sacrifier une bonne partie du reste ce qui représente un véritable Hara-Kiri des formations et de la recherche. Dans quel but ? Pense t-on réellement que la surconcentration des moyens sur un petit périmètre permettra un développement socio-économique cohérent et citoyen ? Que la compétition mondiale donnera les emplois du futur en Rhône-Alpes ? Le Monde entier souffre de cette logique, la France perd ses solidarités et tout ce que nous trouvons comme réponse aux questions sociétales concernant les fonctions de l’enseignement supérieur et de la recherche c’est la compétition internationale ?
Si nous en revenons à la logique de L’Idex, à terme nous serons passés d’une offre de formation et de recherche large et diversifiée répondant aux besoins de la Région, à une concentration sur quelques thématiques censées attirer les meilleurs, pouvant conduire à l’exil d’une partie de notre jeunesse, celle qui ne trouvera plus dans l’offre régionale les formations répondant à ses besoins actuels ou futurs.
L’Idex tel qu’il est conçu impose une réorganisation profonde de la gouvernance des établissements publics d’enseignement supérieur, ce qui va poser la question de son indépendance vis à vis du monde socio-économique et politique. En effet le PRES Université de Lyon sous couvert de réponse à l’appel d’offres se propose de faire disparaître les universités dans leur forme et périmètre actuels, pour aller vers une « structure universitaire fédérale » dans laquelle la communauté universitaire sera réduite au rang d’exécutants des décisions prises par un conseil d’administration restreint, composé d’une vingtaine de membres, conseillé par un Sénat Académique et par un Conseil Stratégique International. Cette nouvelle structure chargée d’administrer au bas mot 11000 personnels, enseignants chercheurs et chercheurs et 140000 étudiants, brasserait un budget considérable (Lyon 1 à elle seule à un budget annuel de 400 millions d’euros), et serait composée de Collégiums et de Facultés qui ne sauraient être ni les Universités, ni les UFR actuelles.
Les grandes écoles du PRES ont cependant obtenu l’assurance que leurs prérogatives en matière de recrutements et de financements seraient conservées, considérant que leur « fonctionnement actuel est déjà très intégré aux Universités, et qu’elles ont des missions spécifiques qui doivent être préservées ». Si d’aucuns ont pu penser que cette nouvelle architecture de l’enseignement supérieur permettrait au moins une répartition plus équitable des moyens, ils font erreur. Le renforcement de l’excellence sur un petit périmètre, contrairement aux discours rassurants sur les « pépites » qui en résulteraient, induira immanquablement une ligne de séparation. Comme le fait remarquer Axel Kahn, « La politique qui consiste à séparer le périmètre d’excellence du reste est selon nous un mauvais choix. Si certains veulent isoler les pépites dans une joaillerie propre, nous souhaitons à l’inverse que ce qu’il y a de meilleur dans nos établissements soit un moteur de progression pour l’ensemble ». Ce n’est pas ce chemin là qui est suivi qu’il s’agisse des projets de Grenoble ou de Lyon Saint-Etienne.
Ainsi donc, les Idex au lieu d’être au service du développement de l’ESR par sa démocratisation, nous conduiront à sa séparation durable en deux entités : l’excellence labellisée pour les uns, avec tout ce que cela comporte sur le plan des recrutements des enseignants et des étudiants tout comme sur le plan financier, et ce qui reste pour les autres, c’est-à-dire les plus nombreux, ceux qui vont essayer de survivre en se transformant par exemple en simples collèges universitaires déconnectés définitivement de la recherche. Alors le processus sera achevé : des universités et de la recherche d’excellence localisées dans de grands centres urbains (on appelle cela maintenant des « écosystèmes d’innovation », et on peut légitimement se demander comment l’équilibre écologique ainsi conçu est réalisé), qui vont renforcer leur propre pouvoir d’attraction ; de l’autre, ça et là, des collèges universitaires se limitant à la licence dans des villes moyennes, qui prépareront à quelques formations qualifiantes. La cassure entre enseignement supérieur et recherche sera consommée, le déséquilibre entre les Régions va s’accentuer, ce qui va poser de nouvelles questions auxquelles l’excellence saura bien répondre puisqu’elle les aura générées.
Tous ces bouleversements majeurs dans un contexte incessant de réformes qui s’empilent vont donc placer le service public d’enseignement supérieur et de recherche dans l’impossibilité d’assurer une de ses missions essentielles : le développement et la diffusion de connaissances au service de l’épanouissement intellectuel et culturel des étudiants/citoyens dont la liberté de pensée et l’esprit critique reposent sur la rencontre et la confrontation avec des champs idéologiques divers et contradictoires. L’exemple de l’intégration des IUFM dans l’université dans le contexte de la LRU et la réforme désastreuse de la formation des enseignants, devrait pourtant nous permettre d’anticiper les déboires du futur.
Quelle est la position de la communauté universitaire par rapport aux Initiatives d’Excellence ? Toute la réflexion sur les projets Idex a été conduite sans que les personnels, enseignants-chercheurs, chercheurs, BIATOSS ou étudiants n’aient été consultés. Que ce soit pour l’Idex de Lyon Saint Etienne, ou pour celui de Grenoble, aucune instance légale conseil d’administration de l’université, n’a été amenée à se prononcer sur les projets tels qu’il ont été déposés à l’ANR. Il ne s’agit pas ici d’une question de principe ou de susceptibilité, c’est une question de fond. L’Université n’est pas une entreprise avec des dirigeants qui prennent les décisions auxquelles se soumettent ses employés. L’Université c’est la communauté universitaire. Pour que les choses avancent, il s’agit d’obtenir son adhésion au projet. Or tel qu’il est conçu, et vu les risques qu’il fait peser sur le devenir de l’Université, sur la nécessaire indépendance vis à vis des pouvoirs politiques et économiques, -ce qui est la condition indispensable pour que la recherche puisse continuer à se développer dans toutes les directions-, la communauté universitaire est très loin d’y adhérer massivement.
L’Idex et de manière plus large l’ensemble des appels à projets issus du Grand Emprunt ne sont donc pas la bonne réponse aux questions sociétales actuelles. Les Régions qui sont concernées vont avoir à se prononcer : si elles accompagnent le dispositif, elles indiquent de fait leur assentiment vis-à-vis de l’idéologie sous-jacente, celle de la compétition, de l’affrontement, de l’élitisme, tout ceci contribuant à l’instauration d’un système d’enseignement supérieur et de recherche à deux vitesses c’est-à-dire à la restauration d’un système de classe. Si elles adoptent une attitude critique, en considérant que les principales valeurs démocratiques d’égalité, de solidarité, sont bafouées par ces appels d’offres alors elles pourront peser pour continuer à faire de l’enseignement supérieur et de la recherche un des vecteurs de l’égalité républicaine et du progrès social.
En conséquence, je pense que tous les membres du CESER attachés au maintien d’une université publique ne peuvent que manifester leur désaccord en votant contre la mise en place de l’Idex dans notre région.
Je signale que ce texte a été préparé en concertation avec les organisations syndicales de Lyon1 FSU (SNESup), SLR, SUD, CGT (FERCsup-SNTRS), et FO (SDPREES).