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Enseignement Supérieur et Recherche : Encore un effort camarade !

Par Michel Saint-Jean, le 24 mai 2011

La droite en a fait l’étendard de ses succès proclamés ; certains à gauche y adhérent, par conviction ou pour ne pas apparaître comme des opposants trop systématiques et irresponsables. Pourtant les faits sont têtus : la politique universitaire de Sarkozy, malgré les apparences, est un échec. La valse médiatisée des milliards annoncés et toujours attendus, le silence d’une communauté universitaire abattue et les compromissions de quelques chercheurs flamboyants ne sauraient masquer que cette politique affectera durablement le rang scientifique de la France et son service public de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Volontairement oublieuse des valeurs émancipatrices du savoir, insensible au besoin humain de sans cesse réinterroger le monde pour en découvrir les replis, sourde aux voix qualifiées qui lui ont rappelé que les pratiques scientifiques efficaces réclament temps, confrontation d’idées, coopération et collégialité, la droite s’est enfermée dans un choix idéologique sectaire : imposer à la communauté académique les règles inadaptées du monde de l’entreprise et de l’économie de marché. Sa politique relègue désormais au second plan l’élaboration et la transmission des connaissances. Elle ne reconnaît que sa valorisation économique, les compétences, les formations professionnalisantes, « l’employabilité » des étudiants, l’« assurance qualité » de l’usager, qu’il soit étudiant ou entrepreneur, et ne concède les moyens de la recherche fondamentale et d’un enseignement de haut niveau qu’à la minorité choisie par elle.

Sur le plan budgétaire, alors que des puissances scientifiques comparables investissent massivement dans l’ESR, la France a préféré cacher son désengagement en euros constants par une communication agressive faisant jaillir les milliards - en fait les mêmes régulièrement recyclés et souvent pris aux organismes de recherche- et glorifier les « Liberté et Responsabilité » nouvelles des établissements et organismes qui doivent désormais trouver seuls une part de plus en plus importante de leurs ressources, notamment par des financements spéculatifs au rendement aléatoire (fondations, Grand emprunt...) ou la perspective d’augmentation de frais de scolarité. La gestion de cette pénurie, maquillée en promotion de « l’excellence », est synonyme de mise en concurrence systématique de tout et de tous. Ainsi se dessinera une France universitaire incohérente et à deux vitesses : de rares centres « d’élite » et abondés côtoyant des nombreux collèges universitaires déclassés et démunis, sans d’ailleurs que rien ne soit pensé pour que l’accès aux centres prestigieux soit permis aux populations qui en sont éloignées. De même, seules sont convenablement financées des équipes choisies sur projet tandis que les crédits des laboratoires diminuent et seul un chercheur sur cinq se voit attribuer une prime tandis que les salaires stagnent. Chacun voulant être légitimement distingué, les échanges et l’indispensable coopération entre scientifiques en sont fragilisés d’autant, laissant place à un ensemble fragmenté de sites, de structures et d’individus de plus en plus isolés. Être visible partout pour pouvoir survivre, consacrer moins de temps à l’Enseignement et à la Recherche pour en trouver les subsides, étrange et inefficace paradoxe.

De plus, la droite se défie injustement de la communauté scientifique soupçonnée de s’autogérer avec une complaisance douteuse. Aussi l’« autonomie » qu’elle lui a accordée n’est que de pure façade tant tout indique au contraire que le gouvernement met les scientifiques au pas et veut les piloter au plus près. Les établissements et les organismes se voient imposer des gouvernances resserrées, partiellement extérieures au monde universitaire.

Leurs cursus et leurs recherches sont de plus en plus soumis aux contraintes du « marché » qui leur impose désormais, via le calcul de leurs ressources budgétaires ou leurs contrats, de s’adapter aux demandes des étudiants, des agences de financement d’Etat et des entreprises employeuses ou innovantes tandis que « l’ assurance-qualité » de l’usager astreint les structures, les projets, les personnels à des évaluations chronophages permanentes fondées sur des critères quantitatifs aussi ineptes qu’inutiles.

Enfin toutes ces « réformes » ont été imposées contre les avis qualifiés de la communauté universitaire et en absence systématique de réelle concertation, à l’image du mépris affiché par la droite pour le monde scientifique, les saillies ironiques de Sarkozy devant les universitaires en 2009 n’en étant que la figure paroxysmique.

Pourtant une autre politique est possible. La communauté académique unanime, tout statuts, disciplines ou orientations politiques confondus, mobilisée dans son plus grand mouvement social depuis 40 ans, en a défini les éléments incontournables.

Elle a réaffirmé avec force que le Savoir, au-delà d’une simple arme économique, est avant tout un bien public dont le partage offre aux citoyens, par la pratique intellectuelle d’analyse et de compréhension du monde qu’il permet, des valeurs et des compétences intellectuelles qui garantissent la paix et la prospérité de tous.

Ces valeurs émancipatrices nous obligent à accentuer la démocratisation de l’enseignement supérieur. Il nous faudra reconnaître la diversité des étudiants, de leurs talents et capacités mais aussi reconsidérer la nature des savoirs à acquérir dominés aujourd’hui par la seule abstraction. Cela nécessitera la coopération de toutes les formations initiales existantes, la création de filières techniques valorisantes et diversifiées, le développement des modes de recrutement croisés entre Universités et Grandes Ecoles et la multiplication des passerelles permettant de passer des unes aux autres. Dans ce nouveau paysage, toutes ces filières disposeront de moyens équivalents par étudiant qui varient aujourd’hui de un à dix et un véritable service d’orientation accompagnera les étudiants et apprentis pour qu’ils choisissent, réellement les parcours d’études qu’ils veulent suivre. Nous réclamons également pour eux de meilleures conditions de vie car ce sont là les principales causes de leur échec. En matière d’autonomie financière, de logement, de santé, d’accès à la culture, d’immenses progrès seront à faire.

Les filières de recherche sont délaissées. Il faudra les revigorer en attribuant aux jeunes un plus grand nombre d’allocations doctorales dont les durées varieront selon les disciplines. Qu’ils soient chercheurs, ingénieurs ou techniciens de réelles perspectives d’embauche et de carrières doivent leur être offertes grâce à un plan prévoyant plusieurs milliers d’emplois publics sur cinq ans. Dans le secteur privé, le recrutement des scientifiques sera soutenu par la reconnaissance statutaire du doctorat et des aides fiscales spécifiques.

Après des années de suspicion, L’Etat devra impérativement rétablir des rapports de confiance avec les personnels de l’ESR. Si le Parlement et le gouvernement définissent les grands projets répondant aux attentes de la société, il appartient aux seuls scientifiques de déterminer les voies pour les atteindre comme ils doivent être les seuls responsables des politiques de leurs institutions de rattachement dans le respect des finalités premières de qui leur sont données et du caractère national des diplômes. Nous exigeons une autonomie réelle. De nouvelles lois remplaçant le « pacte pour la Recherche » et la LRU devront ainsi garantir la liberté d’initiative et le primat de l’autorité académique sur les gestionnaires. Elles permettront ainsi aux instances dirigeantes des universités et des organismes de recherche de retrouver des pratiques conformes aux exigences d’une science de qualité basées sur la représentativité et la collégialité de leurs prises de décision.

Rétablir la confiance c’est aussi garantir des financements pérennes, les ressources « extra budgétaires » aléatoires offertes à quelques élus ne permettant pas d’inscrire une politique scientifique dans la durée. L’ANR, structurellement génératrice de rivalité, de précarité et de conformisme, verra ses moyens réduits des deux tiers tandis que le Crédit Impôt Recherche, aubaine fiscale pour les grandes entreprises, devra être réorienté en grande partie vers le financement de la recherche publique et le développement des PME.

Le monde académique doit aussi renouer avec une pratique coopérative. Le paysage institutionnel morcelé et rendu pléthorique par le foisonnement des labels et appel à projets devra être simplifié. Les laboratoires, structures cohérentes d’équipes, seront remis au cœur de la recherche. Cette confiance rétablie et cette coopération retrouvée permettront de réduire d’autant l’inflation récente de tâches administratives et de simplifier les mécanismes de gestion de l’ESR.

Redonner du temps aux universitaires pour la recherche est une urgence. Il faudra réduire leurs charges d’enseignement d’un tiers sur 5 ans et organiser un dispositif permettant à chacun d’eux de capitaliser librement du temps-recherche par des surcharges d’enseignement les années précédentes. Des passerelles entre établissements, entre statuts et des formations permanentes de qualité devront être proposées aux personnels pour permettre une plus grande fluidité du système et la multiplication des échanges volontaires. En retour, l’activité de chacun sera périodiquement examinée par un débat contradictoire approfondi avec sa tutelle.

Si l’Enseignement Supérieur et Recherche contribuent à dynamiser l’économie, ils ne doivent pas être aliénés à cette valorisation économique mais au contraire reposer sur des coopérations équilibrées entre partenaires. Parallèlement, les valorisations sociale et culturelle du savoir académique, souvent oubliées, seront développées avec vigueur.

Enfin, une réelle politique d’aménagement scientifique du territoire devra être conduite. A la concentration des moyens sur une dizaine de sites succédera une coopération plus active de tous les établissements, tous ayant les mêmes prérogatives, chacun développant ses secteurs les plus en pointe. L’objectif en est un fonctionnement plus optimal de la recherche, la garantie d’une réelle égalité d’accès pour tous à des formations du plus haut niveau et le caractère national du diplôme.

Ces propositions formulées par les scientifiques eux-mêmes devront assoir leur légitimité dans le cadre d’une concertation nationale. Mais d’ores et déjà, la Gauche doit les porter au nom des valeurs qui sont les siennes car elles concernent toute la jeunesse et engagent l’avenir du pays : il n’y aura pas d’égalité réelle, de progrès social ni de développement durable sans elles. A ces titres, les candidats de la Gauche et leurs équipes seraient bien inspirés d’en faire leur premier engagement et de les intégrer sans tergiverser dans leurs programmes pour 2012. Oublier ces fruits d’un très long et constructif mouvement social laisserait à tous un goût amer dont les conséquences pourraient être désastreuses.

Comme le déclarait Barak Obama : « Promouvoir 
la Science ce n’est pas seulement fournir des
 ressources,
 c’est
 également
 protéger
 une
 recherche
 libre
 et
 ouverte.
 C’est
 laisser
 les
 scientifiques
 faire
 leur
 travail,
 libres
 de
 toute
 manipulation
 ou
 contrainte,
 et
 écouter
 ce qu’ils nous disent, même quand c’est gênant, surtout quand c’est gênant »
.

Michel Saint Jean, Physicien, Directeur de Recherche au CNRS