Le Grand Emprunt pour les Nuls !
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, le 30 mai 2011Où est l’argent du plan campus ?
En décembre 2007, le gouvernement vend pour 3,7 Md€ d’actions EDF afin de financer le plan campus. L’opération devait en rapporter 5 mais l’empressement du nouveau président à claironner l’opération lui a fait perdre une partie de son intérêt. 1,3 milliards sont prévus dans le Grand Emprunt pour compenser cette perte initiale. La présentation qui nous a été faite alors était que la somme serait placée et que les intérêts serviraient à financer l’opération plan campus. En janvier 2011, aucun euro n’avait encore été versé et tout le monde se demande encore où est l’argent ?
La réponse apparaît dans le rapport du sénateur Marini sur le projet de loi de finances rectificatives du 9 mars 2010 qui met en place le Grand Emprunt. Les 3,7 Md€ de la vente des actions EDF ont tout simplement été versés au Trésor sur le compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’Etat »…et ils y sont toujours. Ce compte ne crée pas d’intérêts, il s’agit d’un compte du Trésor. Le mécanisme financier par lequel cet argent peut créer des « intérêts » finançant l’opération campus n’est pas banal : la somme versée au Trésor permet à l’Etat de moins emprunter sur les marchés puisqu’il dispose d’un surcroît de trésorerie.
En conséquence, l’Etat économise des intérêts qu’il aurait dû payer si il avait dû provisionner cette somme sous la forme d’un emprunt… Selon l’expression du sénateur Marini, il s’agit d’intérêts fictifs, la difficulté est de définir le taux, qui correspond à cet emprunt finalement jamais fait… C’est maintenant fait, puisqu’un arrêté ministériel en date du 15 juin 2010 a fixé ce taux (pour les 3,7Md€ des actions EDF) à 4,25%. Ce sont donc près de 300 M€ qui sont dûs par l’Etat à ce titre.
Sources :
D’où viennent les 35 Md€ du « Grand Emprunt » ?
En 2010, afin de trouver les 35Md€ devant financer le Grand Emprunt, l’Etat a émis 13Md€ de bons du Trésor à moyen long terme en plus. 13Md€ remboursés par les banques suite au soutien financier apporté par l’Etat lors de la crise (à noter que cette somme devait à l’origine être versée au budget pour réduire la dette). Et enfin 9Md€ qui proviennent d’une opération financière avantageuse de rachats de titres…
Dans la foulée, les crédits non consommables ont été notifiés aux opérateurs des initiatives d’excellence (essentiellement l’ANR) qui ont ensuite redéposer les sommes correspondantes sur des comptes du Trésor. Ce sont donc 30 Md€ qui reviennent vers le Trésor. Le jeu d’écriture aurait permis en 2010, malgré l’émission de 35Md€ de titres, de n’accroître la dette de l’Etat que de 5Md€. Cependant, de récentes directives européennes ont changé la donne et les Partenariat Public Privé (PPP) comme l’argent du « Grand Emprunt » seront bien comptabilisés dans la dette publique.
Sources : http://www.senat.fr/rap/l09-278/l09-2786.html#toc59
Comment le Grand Emprunt produit-il des intérêts ?
Comme on vient de le voir, l’argent du Grand Emprunt provient de sources diverses mais qui au final, par un jeu d’écriture sont toutes rassemblées sur des comptes du Trésor Public. Il n’y a donc pas de détenteur de titres estampillés Grand Emprunt et il appartient à l’Etat de décider d’un taux de rémunération pour les sommes affectées aux opérateurs du Grand Emprunt mais conservées au Trésor. Les taux choisis sont variables selon les actions et ont été définis par un arrêté ministériel le 15 juin 2010 ; pour l’ANR le taux sera de 3,143%.
Mais là encore, ces intérêts sont fictifs puisqu’ils ne correspondent pas à des titres émis ou de l’argent placés, c’est de l’argent qui dort au Trésor et qui évite à l’Etat d’émettre des titres. Alors d’où vient la rémunération de ce capital ? Elle vient tout simplement de la réduction des dépenses budgétaires, c’est le mécanisme de l’emprunt gagé. En fait, chaque euro du Grand Emprunt est un euro qui est pris sur le budget, le rapport Marini parle d’un effet de « vases communicants » [1]. Le même rapporteur se félicite de ce que « le principe du « gage » des charges financières liées à l’emprunt national s’apparente à un outil supplémentaire pour contrôler l’évolution des dépenses de fonctionnement de l’Etat ». Pour 2010 ce sont donc 500M€ de crédits qui ont été annulés sur le budget dont 125M€ pour la MIRES qui se trouve donc être la principale bénéficiaire du Grand Emprunt mais aussi la principale contributrice…les vases communicants. Le rapport du sénat s’interroge même sur le fait que « Ce que [les universités] « gagneraient » d’un côté serait donc vraisemblablement « repris » de l’autre. ». La montée en charge du dispositif obligera à terme à une réduction des crédits annuels de 1,6Md€ ! Dans ces conditions, on peut se demander si finalement le taux de 3,143% n’est pas trop élevé…
Sources :
- http://textes.droit.org/JORF/2010/06/17/0138/0009/
- http://www.senat.fr/rap/l09-278/l09-27820.html
- http://www.senat.fr/rap/l09-278/l09-27837.html#toc298
Pourquoi financer par ce mécanisme ce qui l’était auparavant sur le budget ?
Le premier intérêt est simple, il permet de rentrer dans les clous des critères de Maastricht. En effet, l’argent versé par le mécanisme du Grand Emprunt n’est pas considéré comme une dépense au sens de Maastricht et il ne contribue donc pas au déficit budgétaire. Enfin c’est ce qui était espéré car finalement Bruxelles en a décidé autrement, sur ce plan l’objectif n’est donc pas atteint.
Deuxième raison, cela permet de prendre la main sur la destination des crédits puisque le mécanisme est celui d’un appel à projet. On transforme donc des crédits budgétaires récurrents en crédits d’intervention ciblés et sur des thématiques qui au final, quel que soit le processus de sélection mis en place, feront l’objet d’une sélection par le premier ministre. Le rapporteur Marini fait d’ailleurs reproche à l’Etat du manque de transparence du processus de sélection et, si il est favorable à une décision finale politique, demande à ce que tous les rapports intermédiaires (jury, commissariat général à l’investissement) soient rendus public. En attendant la lettre du président du jury des Labex montre bien les limites de l’exercice de l’évaluation internationale collégiale par un jury d’experts et la participation de personnalités comme Philippe Gillet ou Philippe Aghion au jury IDEX laisse planer des doutes sur l’existence de conflits d’intérêts dans la procédure de sélection.
C’est donc aussi un moyen de prise en main par le politique des thématiques de recherche. On constate de plus que dans le cas des IDEX, c’est aussi un moyen pour l’Etat de pousser les établissements vers des restructurations de grand ampleur en obligeant à intégrer cet aspect dans les réponses à l’appel à projet (sortie de la LRU, disparition de la gestion collégiale et démocratique, abandon de champs disciplinaires en recherche et enseignement, etc).
Sources :
[1] Cf. aussi le document de la présidence en date du 14/12/2009 : « L’emprunt s’articule pleinement avec notre stratégie de réduire le déficit structurel dès que la croissance le permettra. Les intérêts de l’emprunt seront compensés par une réduction des dépenses courantes dès 2010 et une politique de réduction des dépenses courantes de l’Etat sera immédiatement engagée » - http://www.elysee.fr/president/root/bank_objects/09-12-14dossierdepresseEmpruntnational.pdf.