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Comment fonctionne l’enseignement en alternance ?

le 23 octobre 2011

Les politiques d’excellence qui sont imposées aux services publics d’enseignement supérieur et de recherche ont une contre partie : l’abandon de l’exigence républicaine d’un accès égalitaire à la formation et aux savoirs. En particulier, elles laissent à des institutions privées l’essentiel de la formation en alternance. Une enseignante de ce secteur nous livre son témoignage.

- Mon employeur principal est un centre de formation privé dont l’essentiel des formations sont en alternance : BTS (brevet de technicien supérieur), DEES (Diplôme Européen d’Études supérieures , équivalent licence, en 1 an après le BTS) et Master (en 2 ans après le DEES). Ces deux derniers diplômes étant homologués par la Fédération européenne des écoles et pouvant donner lieu à des crédits de la part des Universités quand les étudiants décident d’y poursuivre leurs études en licence pro ou master pro. J’enseigne la culture générale. Mon employeur principal est, pour certaines de ces formations, un CFA (centre de formation d’apprentis). Je travaille aussi pour un CFA public. Les CFA sont créés par convention avec les régions ou avec l’État et les collectivités locales, les chambres de commerce, de métiers ou d’agriculture, les entreprises et les établissements d’enseignement public ou privé. Ils s’engagent à respecter un certain niveau de qualité de leur encadrement et enseignement. Le CFA public, pour le compte duquel j’enseigne, fonctionne avec des enseignants vacataires (qui peuvent être des titulaires qui font des heures supplémentaires). Il dépend directement d’un rectorat et d’une académie et les cours ont lieu dans un lycée public. Les CFA publics ne représentent qu’une petite part du marché de la formation professionnelle (selon un rapport de la Cour des comptes de 2008, le chiffre d’affaires des organismes publics de formation professionnelle représente 23% du volume d’activité du secteur, cf.).

- Les étudiants sont des salariés et travaillent 35 heures par semaine (heures en entreprise + heures en formation = 35). Ils ont 5 semaines de congés payés. Ils signent avec une entreprise (à condition qu’ils aient été admis dans un centre de formation) un contrat d’apprentissage ou de professionnalisation.

- Le contrat d’apprentissage s’adresse à des étudiants de moins de 26 ans et relève de la formation initiale. C’est un contrat de travail à durée déterminée (24 mois dans le cadre de la préparation du BTS). Là où je travaille, il fonctionne selon un rythme alterné de 3 jours en entreprise et 2 jours au centre de formation. La formation représente un volume horaire d’environ 1200 heures pour les deux années de BTS.

- En contrat d’apprentissage, les apprentis gagnent entre 25 et 78% du smic, en fonction de l’âge et de l’année d’exécution du contrat. Il peut concerner des jeunes de moins de 16 ans puisqu’il est possible de signer un contrat d’apprentissage à 14 ans (!) et de préparer un bac pro en alternance. L’apprenti touchera avant 18 ans : 25% la première année, 37% la deuxième et 53% du smic la troisième.

- Une entreprise qui embauche un jeune en apprentissage reçoit des aides :

  1. de la part de l’Etat : Une exonération de cotisations sociales totale ou partielle selon la taille de l’entreprise ou de la qualité d’artisan. Un crédit d’impôt de 1 600 euros par apprenti (cas le plus général, peut être davantage si apprenti handicapé ou en réinsertion professionnelle). (++ voir sites internet référés en fin de message.)
  2. de la part de la Région : Une indemnité compensatrice forfaitaire minimale de 1 000 euros par an + autres aides laissées à la discrétion de la région.
  3. Le coût de la formation est financé par la taxe d’apprentissage payée par les entreprises (+ ou – 0,5 % de la masse salariale) qui participent, dans le cadre de la formation initiale, au financement des dépenses nécessaires au développement de l’enseignement technologique et professionnel dont l’apprentissage. Les entreprises peuvent s’exonérer de la taxe en subventionnant directement les établissements d’enseignement dispensant des “premières formations technologiques et professionnelles”. Je vous laisse imaginer les conséquences pour ces établissements qui entendent tous toucher ces subventions directes.

Il est à noter que les entreprises du secteur public non-industriel et non-commercial peuvent également embaucher des apprentis mais elles sont soumises à des dispositions spécifiques.

-  Le contrat de professionnalisation relève de la formation continue. Il est financé par les contributions des entreprises aux dispositifs de la formation continue. De plus, l’employeur qui signe un contrat de professionnalisation peut prétendre à des exonérations fiscales. Les étudiants-salariés sont mieux payés qu’en contrat d’apprentissage (de 55 à 80% du smic, en fonction de l’âge et du niveau d’études). Le contrat de professionnalisation peut également s’adresser à des demandeurs d’emploi âgés de 26 ans et plus. Généralement, les entreprises préfèrent le contrat d’apprentissage.

- Le centre de formation privé où j’enseigne touche, pour les étudiants en contrat de professionnalisation, aux alentours de 10 000 € par étudiants pour 2 ans (plus ou moins 8 € par heure de cours), payés, directement ou non, par les OPCA (Organismes Paritaires Collecteurs Agréés qui mutualisent et redistribuent les contributions obligatoires des entreprises aux dispositifs de la formation continue, cf. ici).

- 60 à 90% de mes étudiants ont un bac professionnel (cela dépend des sections). Le pourcentage des étudiants ayant obtenu un bac général augmente ces dernières années parce que la plupart considère que les études générales ne mènent nulle part à moins de pouvoir intégrer une “bonne école” (ce qu’ils ne peuvent pas faire) mais pas l’Université.

- Pour les 60 à 90% « bac pro. », la moitié revient aux études après une période « floue » (qui a pu durer plusieurs années) qui les a portés des bancs d’une université, parfois, à l’interim en passant par des CDD minables et du chômage ou déscolarisation plus ou moins longue après 16 ans, CAP encadré par une mission locale (1 à 2 ans), bac pro en alternance (3 ans) et BTS en alternance.

- La moyenne d’âge des étudiants en 1ère année de BTS, dans le centre de formation où je travaille, est approximativement de 22 ans.

- Pour beaucoup des « bac pro. », l’alternance représente à la fois une opportunité ponctuelle : ils sont payés, mal, mais ils sont payés et ils espèrent réussir là où ils ont jusqu’à maintenant échoué, non pas tant à l’école qu’à décrocher un emploi en CDI avec des conditions de travail et des perspectives moins déplorables que celles qui leur ont été promises jusque là. Parfois, il s’agit tout simplement d’avoir un « job » après une période de chômage. Leur relation à l’école oscille entre méfiance, agressivité et un espoir fou que peut-être les choses vont changer.

- Pour ceux qui ont la chance d’être embauchés dans des entreprises sérieuses qui ne profitent pas seulement des avantages économiques de ces contrats d’apprentissage ou de professionnalisation (et d’employés particulièrement vulnérables), l’entreprise est un espace nouveau, où les comptes sont à zéro et ça peut véritablement les aider.

- Enfin,

Je déplore les inégalités de traitement entre les étudiants et les élèves dès la maternelle en France qui s’ajoutent aux inégalités sociales et culturelles et aboutissent à ce que l’école n’assure pour ainsi dire plus aucune mobilité sociale. Les dernières statistiques montrent même des chiffres qui régressent.

Je récuse le système élitiste français qui, pratiquement, assure aux classes sociales les mieux dotées culturellement, socialement et économiquement, le monopole du contrôle du pouvoir dans la société (pouvoir économique, politique, médiatique, culturel, etc.).

Je pense que ce système d’éducation est incompatible avec les idéaux d’égalité et de justice et que mes étudiants, essentiellement issus des classes populaires et souvent des banlieues parisiennes, méritent les mêmes égards et la même considération que ceux qui habitent les beaux quartiers de Paris au nom de ces mêmes principes d’égalité et de justice et, puisqu’il s’agit de méritocratie, parce qu’ils sont aussi méritants et non par le hasard de leur naissance.

Pour beaucoup d’entre eux, faire un BTS a voulu dire s’accrocher, se battre, avaler toutes les couleuvres d’une violence sociale qui commence sur les bancs de l’école justement, tant l’inadéquation entre l’univers familial et l’univers scolaire est grand parfois. La plupart de ces jeunes (pas tous bien sûr - je ne veux pas faire d’angélisme) me surprennent par leur intelligence, leur générosité, leur volonté. Ce qui n’exclut pas – mais vous vous en doutez si vous avez une idée de qui sont ces jeunes qui se cachent derrière ces catégories sociales qui font la majorité des bacs professionnels en France – des tensions fortes et parfois de la violence. Je la regrette mais n’en ferai pas le catalogue, il s’agit d’abord, pour en comprendre les déterminants (et, peut-être, la traiter), de la restituer au contexte sociologique où elle advient.

J’oubliais, le ministère du travail recense entre 140 000 et 170 000 contrats de professionnalisation par an, tandis que l’alternance concerne environ 500 000 jeunes. “Des hommes, fait de tous les hommes et qui les valent tous et que vaut n’importe qui.”

Bénédicte Monville-De Cecco