Pourquoi nous ne demandons pas la prime d’excellence scientifique
le 22 mars 2012
Emulation oui, concurrence stupide et prime d’excellence non. C’est le message d’un groupe de huit jeunes scientifiques, recrutés au Cnrs depuis peu. Ce texte est paru le 19 mars sur le site Sciences2 -
Les réformes en cours du système de recherche français sont inquiétantes, en particulier dans leur logique de mise en concurrence des institutions et des personnes. La décision d’attribuer chaque année une "prime d’excellence scientifique" (PES) à un faible pourcentage des chercheurs CNRS en est symptomatique.
Nous pensons en effet que la logique sous-jacente à ce type de rémunération est contraire aux principes de la recherche scientifique qui nécessite en permanence un travail collaboratif, une mise en commun des compétences, un partage des résultats obtenus. La valorisation de l’excellence individuelle, au contraire, incite à travailler seul, entouré "d’inférieurs hiérarchiques précaires" (stagiaires, thésards, postdoctorants) avec qui on ne risque pas de partager le crédit des découvertes auxquelles ils contribuent. Cette logique introduit le réflexe du "moi d’abord" là où l’intérêt collectif devrait prévaloir.
En pratique, la PES est rejetée par la communauté des chercheurs. Les 600 primes offertes pour les 12000 chercheurs CNRS correspondent à 20 candidatures par prime. Au final, on comptait en 2010 deux à trois candidats par prime ; la sélection s’est donc faite principalement sur le choix de se présenter et non sur l’excellence des dossiers.
De nombreux scientifiques reconnus se sont prononcés contre cette prime ; on leur a reproché un manque de modernité, le refus d’une gestion managériale de la recherche qui représenterait un futur idéal. Récemment recruté-e-s au CNRS, ayant souvent passé plusieurs années à l’étranger et observé les conséquences au sein des laboratoires d’une individualisation très forte, nous trouvons au contraire les valeurs de collaboration et de refus de la compétition individuelle résolument modernes, et joignons donc nos voix aux critiques de nos pairs.
Il existe un réel problème de sous-valorisation des carrières scientifiques en France (à BAC+8 et plusieurs années d’expérience professionnelle, notre salaire brut est d’environ 2500 euros/mois) qui rend la PES financièrement attractive (14000 euros sur 4 ans). Toutefois, nous refusons la logique de démission qui consiste à accepter un fonctionnement qu’intellectuellement on réprouve mais auquel finalement on s’adapte.
La prime d’excellence scientifique n’est pas un détail, c’est un symbole ; sa logique est contraire aux fondements de notre métier, sa mise en place un échec. Créer des postes, augmenter le nombre de promotions ou revaloriser les carrières seraient des utilisations socialement plus utiles de cet argent public. »
Michael Berhanu (Chercheur au CNRS), Hélène Berthoumieux (Chercheuse au CNRS), Wiebke Drenkhan (Chercheuse au CNRS), Fabien Montel (Chercheur au CNRS), Valentin Leroy (Chercheur au CNRS) Guillemin Rodary (Chercheur au CNRS), Julien Tailleur (Chercheur au CNRS), Paolo Visco (Chercheur au CNRS).