Rendre au CNRS son rôle d’opérateur de recherche,
NATIONAL ET INDEPENDANT, DONNER AU CNRS UN ROLE CENTRAL DANS L’ORGANISATION DE LA RECHERCHE
le 15 novembre 2012
Les Assises de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche sont en cours. Malheureusement, la vision concernant le mode d’organisation de la recherche dans notre pays (y compris celle exposée dans la contribution de la direction du CNRS) ne fait que s’inscrire dans la logique du gouvernement précédent : transfert des compétences et des responsabilités (notamment celles du CNRS ) vers les Universités. Nous pensons qu’il s’agit là d’un risque majeur pour notre pays.
La recherche en France est historiquement organisée autour d’opérateurs nationaux et centralisés comme le CNRS. Depuis le milieu des années 90, la montée en puissance des Universités dans le domaine de la recherche vient équilibrer le dispositif. En particulier, la mixité des tutelles des laboratoires est devenu le modèle majoritaire, permettant ainsi de faire converger les ressources d’abord humaines, mais également d’infrastructure. Ce modèle est de plus la cheville ouvrière de l’intégration formation/recherche aux niveaux master et doctorat.
Pourtant, ces dernières années, cet équilibre s’est trouvé remis en question, les Universités devenant progressivement tutelle principale (notamment à travers la « délégation globale de gestion »). Les opérateurs nationaux, et en particulier le CNRS, ont de fait été restructurés de façon à devenir des agences de moyens accompagnant l’effort universitaire, le CNRS étant ainsi réduit à un simple « réseau de laboratoires ». L’idée des gouvernements en place s’appuyait sur un « modèle américain » dans lequel la recherche est sous la responsabilité des Universités, accompagnées par des grandes agences de financement.
Le problème est que ce modèle ne peut fonctionner qu’à la condition de reposer sur des moyens humains et financiers exceptionnels. Les Etats‐Unis attirent les meilleurs chercheurs et disposent de la meilleure infrastructure, notamment grâce à des financements privés massifs. Encore faut‐il préciser que seules les grandes Universités américaines bénéficient de ce dispositif au meilleur niveau.
La situation en France est totalement différente. Si les Universités jouent un rôle majeur pour la recherche, elles ne peuvent en aucun cas en devenir l’opérateur principal. Plus précisément, les laboratoires ne peuvent aujourd’hui fonctionner correctement qu’à la condition de disposer de deux points d’appuis : un local et un national. Les Universités ont leurs propres politiques scientifiques, tenant compte de leur couverture des domaines scientifiques, des spécificités locales en termes de tradition, d’implantation, de tissu socio‐économique, mais également des politiques propres des collectivités territoriales en présence. Deux universités différentes, dans deux régions différentes auront ainsi naturellement des priorités différentes. Le CNRS a quant à lui, en tant qu’opérateur national, vocation à élaborer une politique scientifique nationale, couvrant l’ensemble des domaines scientifiques, proposant ainsi une vision globale essentielle pour chaque discipline, et indispensable dans la perspective de l’interdisciplinarité, dont chacun sait qu’elle constitue une des clés de la science moderne. Cette vocation est d’ailleurs aujourd’hui encore insuffisamment soutenue au CNRS.
Par ailleurs, la multiplication des opérateurs est devenue problématique et les « Alliances » telle qu’elle sont organisées ne sont pas la bonne formule pour en assurer la coordination : elles reposent sur la consultation ponctuelle d’un nombre restreint d’experts nommés, elles sont déconnectées de la réalité des laboratoires. Ces alliances exercent en fin de compte un pouvoir important tout en reposant sur un fonctionnement opaque et dont les attendus échappent à la communauté. D’une façon générale, une réflexion doit être conduite pour avancer chaque fois que c’est possible vers une véritable intégration de toutes les disciplines. Le CNRS doit jouer un rôle moteur dans cette réflexion.
Nous avons donc besoin aujourd’hui que le CNRS, au contraire de servir d’agence de moyens, soit renforcé dans son rôle d’opérateur de recherche à part entière. Le CNRS doit reprendre sa position d’acteur autonome, partenaire des Universités sans en être dépendant. Il faut pour cela :
- abandonner la logique de concentration de site, assurant ainsi la possibilité de conduire partout où c’est possible, en collaboration avec toutes les Universités, une recherche de haut niveau,
- abandonner la logique de concentration disciplinaire sur quelques domaines rares ou des domaines d’excellence identifiés par les Universités ; revenir à une couverture disciplinaire globale,
- renforcer le maillage national des laboratoires notamment par le renforcement des structures fédératives et des groupes de recherche, par des rencontres régulières entre directeurs de laboratoire (par délégation et par institut),
- organiser le fonctionnement des instituts du CNRS comme celui de départements d’un même organisme qui en assure la direction, y compris dans la nomination de leur gouvernance. Les instituts ne doivent pas se diriger vers une autonomisation qui rendrait encore plus complexe le dispositif actuel,
- renforcer ses moyens humains par le recrutement nouveau d’ITAs et de chercheurs, en favorisant les embauches des jeunes et résorbant la précarité dans l’emploi scientifique,
- élaborer une politique scientifique ambitieuse s’appuyant sur une prospective établie par le Comité National,
- renforcer la présence de la direction scientifique dans les délégations par des directeurs adjoints de plein exercice en charge des relations avec un nombre limité d’universités. Le dispositif actuel des directeurs référents ne permet pas de remplir véritablement ce rôle.
Bien entendu, cette politique ne peut être conduite qu’avec des moyens accrus. Mais ceux‐ci existent : la recherche souffre aujourd’hui plus de la mauvaise répartition de ces moyens que de leur insuffisance. Les moyens globalement affectés à la recherche publique (notamment ceux de l’ANR) doivent être concentrés en priorité sur les organismes. Quant à ceux accordés à la recherche privée, ils ne s’appuient sur aucune politique nationale (autre que l’aide à l’innovation sans véritable définition, correspondant plutôt à une aide directe aux entreprises) et surtout sur aucune évaluation (contrairement à la recherche scientifique publique). Pourtant le budget du « Crédit Impôt Recherche » (CIR) correspond à plusieurs fois le budget du CNRS. Le ratio est sans commune mesure avec celui correspondant aux apports en découvertes et innovations. Ce budget du CIR doit donc majoritairement revenir à la recherche publique, et pour le reste réellement évalué.
Rendre au CNRS sa position centrale dans l’organisation de la recherche en France est une urgence. Cette mesure, simple et purement structurelle nous permettra de nous repositionner au niveau international en jouant la carte collective plutôt que celle de la concurrence entre sites ou Universités.
Anne Abeillé (PR, Paris 7), Philippe Blache (DR, Aix‐Marseille U.), Jean‐Michel Claverie (PU‐PH, Aix‐Marseille U.), Christophe d’Alessandro (DR, LIMSI), Ivan Delbende (MC, UPMC), Christophe Fouqueré (PR, Paris 13), Pierre Nicodeme (CR, Villetaneuse), Noël Nguyen (PR, Aix‐Marseille U.), Luc Pronzato (DR, U. Nice‐Sophia Antipolis), Christian Retoré (PR, Bordeaux)
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