LE MONDE | 07.10.02
La recherche scientifique malmenée
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, , le 25 mars 2003Pour la première fois depuis longtemps, le budget de la recherche est en baisse. Il s’agit là, hélas, d’un signe clair donné aux jeunes générations qu’il est pourtant si important d’attirer vers la recherche, et d’une attitude politique tout à fait irresponsable à moyen et à long terme.
Pour la première fois depuis longtemps, le budget de la recherche est en baisse. Il s’agit là, hélas, d’un signe clair donné aux jeunes générations qu’il est pourtant si important d’attirer vers la recherche, et d’une attitude politique tout à fait irresponsable à moyen et à long terme. Nous avons conscience d’exprimer ici la conviction de la très grande majorité des scientifiques de ce pays.
Certes le recul de 1,3 % en euros courants peut paraître bénin à certains. Mais il suffit de lire le projet de loi de finances présenté il y a quelques jours par le gouvernement pour découvrir ce qu’il implique : celui-ci prévoit, en effet, une diminution d’environ 14 % en euros courants des crédits de paiement des laboratoires des établissements publics de recherche (CNRS, Inserm, INRA...).
Le gouvernement nous assure que l’existence de reports de crédits antérieurs permettra à la recherche de ne pas souffrir de cette diminution. Peut-on croire ces affirmations ?
Il nous faut entrer un peu plus dans les détails pour les analyser.
Les reports sont dus pour l’essentiel à deux mécanismes :
les organismes travaillent sur des contrats pluriannuels, avec divers partenaires (au CNRS, le montant total des ressources propres engendrées par ces contrats, est un peu supérieur aux crédits, hors salaire, ouverts par la subvention de l’Etat). Lorsque ces contrats ne sont pas achevés, ils donnent légitimement lieu à report ;
les commandes effectuées et non soldées au 31 décembre (pour diverses raisons qui tiennent aussi à des notifications de crédits trop tardives).
Sachant que la subvention de l’Etat est presque intégralement dépensée ou engagée par des commandes, la seule lecture possible de ce budget est qu’il impose à la recherche publique une baisse considérable, peut-être supérieure à 15 % en pouvoir d’achat, de ses crédits de recherche.
Entre les deux tours de la dernière élection présidentielle, nous avions appelé la communauté scientifique à se mobiliser contre les menaces explicites à l’encontre des principes démocratiques et républicains, en votant pour Jacques Chirac, indépendamment des opinions politiques de chacun. Nous l’avions fait aussi parce que la science ne peut s’épanouir que dans un climat de liberté, comme l’ont montré de sinistres exemples dans le passé. Les scientifiques de ce pays avaient alors répondu massivement, en nous envoyant leurs signatures par milliers.
Il est clair que, pour nous, l’avenir de notre pays passe aussi par un développement de son potentiel scientifique, par une volonté de donner sa place à la culture scientifique si peu présente chez nous, de lutter contre la funeste désaffection des jeunes pour les sciences, de donner aux chercheurs créatifs les moyens de réaliser leurs espoirs sans s’expatrier comme c’est devenu si souvent le cas, de développer la recherche et de la porter enfin au niveau promis par les candidats à la présidence.
La recherche publique va subir une baisse importante de son potentiel. Il n’est pas honnête de le cacher.
Édouard Brézin est physicien (Ecole normale supérieure). Michel Broué est mathématicien (Institut universitaire de France, université Paris-VII - Denis-Diderot).