Pourquoi il faut plus d’allocations de recherche
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, le 4 mars 2004On parle très peu, en ce moment, des chercheurs en sciences humaines. Or, il y a une chose qu’il faut savoir à leur sujet : c’est que les non-normaliens n’ont quasiment aucune chance de faire de la recherche. Pourquoi ?
Aucun poste ne peut être obtenu dans L’Université française si l’on n’est pas titualire de l’agrégation. Ceux qui veulent faire de la recherche passent donc l’agrégation avant la thèse, puisque la thèse sans ce difficile concours ne sert à rien. Oui, mais voilà, une fois le concours en poche, ceux qui ne sont pas normaliens sont obligés d’enseigner dans le secondaire. Ils sont alors envoyés dans les banlieues difficiles, où les conditions de travail ne permettent absolument pas d’effectuer la tâche intellectuelle que requiert la thèse. Ils y passent le double du temps ordinaire, et la plupart abandonnent. Toute leur vie, ils vont faire un métier qu’ils n’ont pas désiré exercer, et vivre avec la frustration de n’être pas chercheurs. Tout le monde en pâtit, les enseignants, mais aussi les élèves, car il ne faut pas se leurrer : un professeur doctorant a peu de temps pour s’occuper de son enseignement. Quelle est la réponse du ministère à ce problème ? empêcher les enseignants du secondaire de faire de la recherche. on croit rêver : d’abord on leur impose un métier, ensuite on les prive du but de leurs études ? Certes, il y a un repêchage pour les non-normaliens. Quelques malheureuses allocations de recherche attendent ceux qui font un DEA brillant. Mais pas tous ! Car selon les écoles doctorales, ces allocations sont plus ou moins distribuées. Elles dépendent en grande partie du pouvoir du directeur de l’école doctorale, de sa bonne volonté, puis de celle de l’université et enfin du ministère ?Il faut avoir de la chance : être dans la bonne filière la bonne année. Car il y a des années "sans" ; pour cause d’économies budgétaires ? enfin, économies ? On oblige ces jeunes agrégés à enseigner dans le secondaire, où ils gagnent une fois et demi le salaire d’un allocataire ; des économies ça ? Une fois franchie cette barrière (et en supposant qu’on peut faire un DEA brillant en enseignant à deux heures de chez soi dans une banlieue difficile), il faut obtenir une mise en disponibilité, c’est-à-dire l’accord du rectorat de vous laisser partir. Après vous avoir engagé de force, il fait ce qu’il veut de vous. En pratique, le rectorat, depuis quelques années, ne laisse plus partir ses professeurs vers l’université. Avant, il fallait demander une disponibilité pour études. Maintenant, cela s’appelle "pour convenances personnelles". Que vous fassiez une thèse ou alliez à la pêche, cela entre dans la même rubrique ; mais là aussi, la chance entre en jeu. Car cela dépend de la discipline dans laquelle on enseigne, de l’année (si on manque de profs, vous restez), et du bon-vouloir du recteur en place. Si vous êtes prof de lettres dans l’Académie de Versailles ou Créteil, vous n’avez aucune chance. Quelle solution s’offre à vous ? D’abord, vous devez refuser l’allocation que vous vous êtes battu pour avoir ? Ensuite, la démission ? Mais alors, adieu la recherche, car il faut rester au sein de l’éducation nationale. Reste la thèse brillante effectuée dans des conditions épouvantables, sans perspective, sans contact avec la faculté, et pratiquement aucune chance d’être recruté par les commissions universitaires, faute d’expérience dans l’enseignement supérieur.
Revaloriser les allocations de recherche n’est pas vital. En revanche, il faut, d’une part augmenter leur nombre pour les non-normaliens, d’autre part instaurer la mise en disponibilité de droit lorsqu’une allocation est attribuée. C’est un minimum. Cela supposerait que l’on cesse de confondre le métier d’enseignant dans le secondaire et celui d’enseignant-chercheur comme si l’un pouvait se substituer à l’autre, et qu’une véritable bifurcation ait lieu après l’agrégation. Les agrégés souhaitant poursuivre dans la recherche ne représentent qu’une minorité. Pouquoi ne pas les laisser faire, puisuque cela coûte moins cher que de les garder dans les Académies ? On manque de profs à ce point ? les chercheurs sont-ils les mieux qualifiés pour enseigner dans les collèges et lycées ? Ou sont-ce ceux qui ont choisi ce métier par vocation ? Est-ce de la faute des agrégés si le secondaire va mal ? C’est toute la structure de la recherche en sciences humaines qu’il faut repenser ?
Béatrice Jongy (allocataire-monitrice à l’Université)