Sortir de la crise : le passage au steady state et l’emploi technique
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, le 11 mars 2004Les problèmes de la recherche fondamentale biomédicale ne pourront pas être résolus rapidement, car cela nécessite une modification profonde de nos structures ( 1, 2 ). Or la situation est désespérée pour beaucoup des jeunes qui ont été formés dans notre pays. D’autre part, il faut s’interroger sur la possibilité de poursuivre indéfiniment la croissance exponentielle du système nord-américain ( 3 ), qui fonctionne en partie parce que nous continuons, avec d’autres pays, à l’alimenter.
Dans peu de temps, ce système qui fait que la main d’œuvre des laboratoires est fournie essentiellement par la génération suivante va poser un problème. Il faut quand même rappeler qu’au cours des dernières années, le nombre d’articles (y compris français) a très fortement augmenté et que le nombre de signataires de publications a probablement augmenté dans les mêmes proportions.
Il me paraît raisonnable d’anticiper le problème démographique en même temps que l’on met en place la réforme des structures, sinon, à peine la restructuration achevée, on verra arriver une nouvelle crise. Régler ce problème, c’est mettre en évidence les besoins réels des laboratoires en ingénieurs et techniciens.
L’emploi technique
La cause du blocage actuel, et l’une des raisons de la fuite des cerveaux, est bien plus l’absence de possibilité pour le jeune chercheur de faire ses preuves en France avec des moyens techniques et humains que le salaire insuffisant. Par ailleurs, une forte proportion de chercheurs statutaires ne signe pratiquement pas de publications comme " auteur correspondant " ( 3 ). Cela veut dire que ces scientifiques effectuent en réalité un travail d’ingénieur ou de technicien (en finir avec le terme d’ITA), mais sont recrutés sur des postes de chercheurs.
Une des premières choses à faire serait de les dénombrer et d’en tirer les conséquences : si la recherche a besoin d’ingénieurs et de techniciens, pourquoi ne pas créer des postes ? Une des raisons en est que, sans le dire parce que c’est politiquement incorrect, les directeurs de laboratoires pensent que la quantité de travail fournie par les fonctionnaires est moins importante que celle des thésards et des post-doctorants. On peut accepter ce point de vue, et proposer que les postes ouverts soient contractuels. Mais, contrairement à ce qui a été proposé par le gouvernement, cela n’a pas de conséquences graves si l’on se place dans l’optique de l’acceptation du steady state (par steady state, j’entend que le nombre de personnes travaillant en recherche fondamentale reste constant dans le temps).
Rappelons quand même que la crise de l’emploi scientifique est liée à l’inadéquation entre formation et débouchés, pas au statut fonctionnaire/ contractuel. Passer au steady state, cela veut dire que les contractuels ne se trouveront pas en compétition avec une quantité croissante de nouveaux arrivants, comme c’est le cas dans le système britannique, et auront la sécurité de l’emploi.
Engager des ingénieurs et techniciens, c’est paradoxalement permettre aux jeunes chercheurs de faire leurs preuves. Ces jeunes chercheurs ne seront recrutés qu’après avoir montré qu’ils sont capables de réaliser un projet en dirigeant une équipe. En cas d’échec, ils auront des débouchés soit dans l’enseignement, soit dans le cadre ingénieur-technicien. Il n’y a pas de raison a priori de considérer des différences de salaires entre le cadre chercheur et le cadre technicien et les niveaux de rémunération pourront évoluer lorsque l’on aura une idée de la demande par les structures qui seront évaluées en fonction de leur performance, lorsque ces dernières seront créées ( 1, 2 ).
Entrer dans le steady state, c’est prévoir l’avenir
On a entendu trop souvent, au cours des dernières années, des critiques, venant de certains scientifiques, contre la rigidité du budget de la recherche, incompatible avec les accélérations extraordinaires de la science à certains moments. Cette attitude est condamnable pour deux raisons : 1) Qui dit augmentation de budget rapide dit possibilité de stagnation, voire de baisse, si les scientifiques n’arrivent pas à convaincre le gouvernement de l’intérêt de la science à certains moments. 2) Elle conduit à un pilotage de la recherche, opéré après arbitrage budgétaire, et au final au suivisme, alors qu’une évaluation par les publications est suffisante pour entraîner la réactivité du système aux changements scientifiques.
Par conséquent, plutôt que de rester dans le flou et l’arbitraire, il faut planifier l’emploi dans la recherche fondamentale, adapter la formation aux débouchés et utiliser la période transitoire pour récupérer dans notre système de recherche les scientifiques expatriés qui entreront soit dans le cadre chercheur, soit dans le cadre ingénieur ou technicien.
Adapter la formation aux débouchés, c’est naturellement diminuer le nombre de jeunes travaillant pour les laboratoires, en pratiquant une sélection. Cette sélection a deux avantages : 1) elle permettra d’attirer à nouveau des individus brillants vers la recherche ; 2) elle permettra d’opérer des économies nécessaires à la réintégration des scientifiques perdus. L’argent pourra être récupéré sur le nombre de bourses, mais aussi sur les primes d’encadrement qui constituent un vrai scandale. Enfin la perspective des départs à la retraite dans les organismes de recherche devrait permettre de dégager des financements pour gérer cette situation transitoire sans pour autant obscurcir l’avenir à plus long terme.
Je suis conscient du fait que ce projet est capable de déclencher de nombreuses réactions d’hostilité, contre la sélection d’une part, mais aussi contre le recrutement de docteurs sur des postes d’ingénieur. Mais si cette réforme modeste de notre système, et de mise en œuvre rapide, ne peut pas s’accomplir, je ne vois pas d’avenir, ni pour nos jeunes, ni pour la recherche fondamentale biomédicale en France.