Les scientifiques ont obtenu la levée du gel,mais les crédits du CNRS chutent toujours de 33,8 %
le 17 avril 2003
Lettre ouverte de H.E. Audier et J. Fossey, membres du CA du CNRS à Madame Claudie Haigneré, Ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies
Madame la Ministre, Le gouvernement vient de décider le paiement, avec six mois de retard, de crédits 2002 non encore versés, de s’engager à ce qu’il n’y ait pas de nouvelles suppressions de crédits en 2003 et donc de lever le gel sur les crédits 2003 ayant survécu aux coupes. Comme le souligne la presse, le gouvernement a manifestement été obligé de tenir compte de la protestation des scientifiques, dont l’ampleur est sans précédent depuis 25 ans. Et c’est une victoire car nous préférons -33,8 % de baisse des crédits du CNRS aux -50 % qui étaient programmés. Si nous avons évité que des mesures négatives supplémentaires s’ajoutent à une situation qui demeure catastrophique, nous n’acceptons toujours pas une baisse de 33,8 % des crédits et de 40 % du recrutement de chercheurs en 2003.
Oui, la chute des crédits est bien de 33,8 % par rapport au budget de 2002
Contrairement à ce que prétendent les communiqués emberlificotés et erronés de votre ministère, la chute est bien de 33,8 %. Ayant claironné en septembre dernier, avec force manipulations de chiffres, une hausse de 5,3 % du budget de la recherche, votre embarras a été grand quand il est apparu à chacun que, malgré cette supposée "forte croissance", les budgets des laboratoires baissaient en fait de 30 % en 2003. Alors, sans doute, pour suggérer quelque sabotage du Conseil d’Administration ou de la Direction du CNRS, vous avez commandité une enquête confiée à l’Inspection de l’Education Nationale. Toutefois, cette inspection ne sert à rien dans la mesure où vous connaissez très bien les vrais chiffres, mais comme cette lettre est publique, nous pouvons les expliquer à nouveau. Point n’est besoin de calculs compliqués ; il suffit de savoir faire des additions, et surtout des soustractions. Il faut aussi utiliser ce que l’école primaire nous a appris, à savoir "qu’on n’additionne pas des carottes et des lapins" : contrairement à ce que fait sciemment le ministère, il convient de distinguer clairement budget et trésorerie des organismes. En termes budgétaires, les crédits de paiement (CP) 2002 initiaux du CNRS étaient de 411,9 millions d’euro (MEuros), les CP initiaux 2003 de 340,6 MEuros. Il y avait déjà là une chute de 71,3 MEuros (-17,3 %), ce qui ne s’était jamais vu, ni de près, ni de loin. Ensuite, profitant de la nuit de la Saint Sylvestre, le gouvernement a supprimé 30 MEuros sur les CP 2002 le 31/12/02. Il est facile de comprendre que le 31 décembre, l’exercice budgétaire était clos, le budget 2003 voté et, comme nous le montrerons, les reports inexistants. Le CNRS commençait donc 2003 avec un handicap de 30 MEuros, ce qui portait la baisse à 24,7 % par rapport à début 2002. Ces 30 MEuros ne sont jamais pris en compte dans les communiqués et décomptes de votre ministère. Enfin, au début de cette année, il y eut le gel de 30 % des crédits 2003 et la suppression de 38,1 MEuros de CP 2003 en mars. En conséquence, depuis le budget initial 2002, les crédits baissent de 139,4 MEuros soit de 33,8 %.
Non, il n’y a pas de reports sur la subvention d’Etat.
Depuis septembre, le gouvernement fait grand cas auprès de la presse de considérables "reports" de CP du CNRS, qu’il additionne malhonnêtement aux CP 2003 pour montrer une forte croissance des crédits ! En fait, les 399 MEuros que vous considérez, propagande oblige, comme "des reports de crédits non dépensés" correspondent d’abord à 200 MEuros de crédits déjà engagés en novembre ou décembre 2002 avec facture à payer en janvier ou février 2003 ; comme à l’habitude, ce montant doit être décompté dans le bilan 2002. Les 199 MEuros restants sont, uniquement, des contrats pluriannuels des laboratoires avec les entreprises, l’Europe ou les régions, etc. Cet argent appartient à des laboratoires précis et ne peut être collectivisé. De plus, il a une destination précise liée à la mise en oeuvre des engagements contractuels. Il ne peut être assimilé à des "crédits non dépensés" comme le fait le gouvernement.
Des critiques qui sont irrecevables
C’est pourquoi le procès que vous nous faites d’avoir publié des chiffres "catastrophistes" est inacceptable car ces chiffres sont exacts. De même la critique faite au CNRS d’avoir répercuté sur les laboratoires, les baisses et le gel des crédits est un monument d’hypocrisie. Tout comme l’un d’entre nous, votre directeur de cabinet, Bernard Bigot, était membre du CA du CNRS lors de la crise dite "des AP/CP" de 1994-95. Il sait très bien, qu’à l’issue de cette crise, il a été intimé au CNRS l’ordre de ne distribuer à l’avenir que l’argent qui était concrètement disponible. Or, en début d’année, quand le CNRS a distribué les crédits aux laboratoires, les CP étaient déjà en chute de 24 % (voir plus haut), 30 % des crédits 2003 étaient gelés et le gouvernement n’avait toujours pas versé 174 MEuros (une paille !) de CP 2002.
Le CNRS est exsangue
Vous avez fait savoir à la presse que vous exigiez que le CNRS donne priorité aux crédits des laboratoires, sans doute pour rendre moins palpable la chute des crédits. C’est une exigence incongrue et inutile. Incongrue, car le CNRS est autonome et qu’il s’agit donc d’un abus de pouvoir. Du reste, Francis Mer, qui était membre de notre CA avant d’être ministre, a dit plusieurs fois : "Madame la Directrice, envoyez balader le ministère, le CA est souverain et le CNRS autonome ". Votre exigence est de plus inutile, car dans notre rôle et pour d’autres raisons que les vôtres, nous avons fait cette demande au Président et au DG du CNRS dès novembre. Ils ont tous deux répondu : "Cela va de soi, nous ferons le maximum en ce sens". Bien sûr, la promesse qu’il n’y aura pas de nouvelles suppressions en 2003, que les scientifiques viennent d’obtenir, va permettre maintenant au CNRS de dégeler à son tour une partie de la dotation des laboratoires et donc d’en limiter la baisse. Mais il faut savoir qu’il ne pourra le faire qu’en empruntant de l’argent sur les ressources propres des laboratoires, qu’il gère. C’est ce qu’on appelle "faire de la cavalerie" car cet argent, il faudra bien sûr le rendre. Cette priorité aura aussi comme contre-partie de couper massivement dans les autres crédits : achats d’appareillages ou d’informatique, plate-formes techniques, séjours de scientifiques étrangers, accueil d’universitaires, aides aux jeunes équipes, engagements internationaux, etc. Le CNRS ne pourra souvent pas honorer sa participation à de nombreux "montages financiers" impliquant plusieurs partenaires, ce qui entraînera l’échec ou le retard de ceux-ci. Le Fonds de roulement, sur lequel est gagée une partie ! des salaires, est presque à l’étiage. Les réserves pour lancer de nouvelles thématiques ont été laminées. 137 emplois de chercheurs ont été supprimés au lieu des 50 qui devaient être créés. Bref, le CNRS est exsangue.
Madame la Ministre, les scientifiques continuent à exiger que l’Etat respecte ses engagements, qu’on maintienne en 2003 les CP du CNRS à hauteur de ceux de 2002 et donc qu’on lui rende les 140 MEuros dont il a été spolié ; qu’on respecte le plan pluriannuel de l’emploi scientifique et donc qu’on recrée 187 emplois de chercheurs qui manquent sur 2003. Au-delà, ils veulent que le budget 2004, qui se prépare, permette de faire en sorte que les graves lésions faites en 2003 dans notre potentiel de recherche ne soient pas irréversibles.
Enfin pour que les conclusions, de l’inspection que vous avez commanditée, aient quelque crédibilité, il serait plus que souhaitable que celle-ci recueille les témoignages de Directeurs de laboratoire et de membre du CA. Nous sommes prêts, quant à nous, à lui consacrer le temps nécessaire.
Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre haute considération.
H.E. Audier et J. Fossey, membres du Conseil d’Administration du CNRS