La recherche : une diversité de métiers
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, le 12 mars 2004La recherche : une diversité de métiers
L’épisode de « l’intelligence », et son utilisation vile-mais qui était peut-être prévisible- qu’en a fait le Premier Ministre (l « intelligence de la main… qui vient du cœur ») me semble poser un des problèmes de fond, sur la "vision" qu’ont souvent nos gouvernants (les précédents aussi, d’ailleurs...) et malheureusement aussi nous-même, de ce qu’est une EQUIPE de recherche.
J’ose à peine rappeler une telle évidence, mais une équipe, ce ne sont pas seulement des « chercheurs » (statutaires ou non, jeunes ou anciens jeunes), mais un groupe de personnes aux métiers très divers et complémentaires : animalier, technicien ou ingénieur de telle ou telle spécialité, etc... Un labo, c’est aussi des secrétaires, gestionnaires, agents techniques, ... et un centre de recherche, c’est aussi des ouvriers menuisiers, plombiers, électriciens, qui non seulement participent à la construction et la maintenance de nos labos mais aussi, souvent, à celle d’appareils qui n’existent pas dans le commerce et dont nous avons besoin pour nos expériences.....
Je pense que notre milieu a une lourde responsabilité dans le fait que ceci soit quelquefois oublié ou volontairement occulté (à l’occasion, par exemple, des discussions sur les postes qui nous manquent pour simplement pouvoir travailler) : durant mon mandat au Conseil Scientifique de l’INSERM, nous étions quelques-uns à devoir rappeler régulièrement, non seulement aux tutelles mais aussi à certains de nos collègues, que nous n’avions pas besoin seulement de" chercheurs et ingénieurs de "haut niveau" (sous-entendu niveau d’études ?)" mais aussi de toutes ces autres personnes de "bas" niveau d’étude mais de "haut" niveau professionnel et d’importance capitale.
Mardi 9 mars, tous ces -presque-oubliés de nos textes, de nos discours, sinon de nos pensées, étaient dans la rue avec les "chercheurs".
Je compare souvent mon métier à celui de luthier. D’abord dans son essence : le but du luthier, ce n’est pas le violon, c’est le son, le son magique, beau, unique, un son que personne n’a jamais entendu. Une découverte. Puis dans la longueur de son apprentissage, je dirais presque son initiation : il faut apprendre non seulement les principes, les idées, la démarche, mais surtout, patiemment, longuement, essayer de dompter le maniement et le choix des outils, la sensation du "matériau", sa réaction à ce qu’on veut lui faire faire. Enfin, son évolution : on commence apprenti, puis on devient ouvrier, on part faire son tour de France (ou ailleurs, le plus souvent ailleurs dans notre métier), on est compagnon, et quelquefois on devient maître. Je conseille aux sceptiques l’un des livres de Jean Diwo (« Le violon du roi »), ils y retrouveront j’espère cette similitude qui m’a frappé.
Disons-le donc clairement, comme j’ai des mains, j’ai commencé par apprendre à m’en servir et, même en tant que DR2, je m’en sers encore souvent car c’est encore le plus pratique pour faire une culture de cellule… J’aimerais donc bien qu’on arrête de me traiter de cerveau. Je ne suis pas de la viande.
Et il se trouve, j’ai du moins cru le remarquer, que les gens qui travaillent avec moi, quel que soit leur statut, leur fonction, leur métier, s’ils se servent souvent mieux que moi de leurs mains, c’est parce qu’ils ont un cerveau qui les commande et qu’ils l’utilisent à ravir. Pour faire simple, et en très gros, eux et moi, nous sommes tous simplement des êtres humains relativement normalement constitués. J’aimerais bien, donc, que nous réagissions avec la plus extrême fermeté à chaque fois qu’on parle, dans la presse ou ailleurs, de « cerveaux ». Si nous ne le martelons pas aux autres, nous n’en serons jamais convaincus nous-même. Et qu’on ne prenne plus le mot « chercheurs » comme terme générique dans nos textes ou nos interventions.
Comme je l’explique dans ma lettre de démission, en tant que responsable d’une équipe, je me sens donc particulièrement comptable non seulement des perspectives de carrière des plus jeunes de mes collègues, actuellement en thèse ou en séjour post-doctoral, mais aussi des possibilités d’emploi, dans un des métiers de la recherche, de nombreux jeunes de différents niveaux d’étude (pré-ou post-baccalauréat) que j’accueille régulièrement en stage au sein de mon équipe. La suppression de postes de chercheur(se)s, le manque crucial de postes d’enseignant(e)-chercheur(se), ainsi que la pénurie croissante de postes pour les autres membres à part entière d’une équipe, d’un laboratoire ou d’un centre de recherche que sont par exemple les animalier(ère)s, agents techniques, technicien(ne)s, ingénieur(e)s, secrétaires, gestionnaires, documentalistes...., sonnent comme une trahison non seulement vis à vis de ces jeunes d’un très haut niveau de formation, qui après plus de 10 ans d’études s’apprêtaient à concourir pour obtenir un poste dans le secteur public, mais aussi vis-à-vis de l’ensemble de tous ceux qui, dans la population, quel que soit leur niveau de formation, souhaitent participer à l’accomplissement de cette mission.
De notre ardeur à réaffirmer l’importance de cette diversité de métiers, de niveaux de formation, (bac plus 12 ou CAP ou….), dans les discussions qui vont s’ouvrir ces prochains mois, dépendra notre capacité à assurer l’avenir de la recherche dans notre pays. Le développement des « pôles d’excellence », des « recherches de haut niveau », et autres termes politiquement (sinon linguistiquement) corrects actuellement en vogue pour dire simplement que nous voudrions pouvoir faire correctement notre métier, en dépend.
Didier Pélaprat Directeur de Recherches INSERM