Soyons réalistes, ... demandons beaucoup plus !
le 15 mars 2004
Depuis un peu plus de deux mois, les scientifiques se sont mobiliséssous la bannière du collectif SLR pour améliorer leur présent et préparer leur avenir. Malgré le succès inégalé de cette mobilisation et l’importance de l’écho qu’elle a eu, peu de résultats concrets ont été obtenus sur nos revendications. A moins d’une semaine de la nouvelle date butoir du 19 mars, comment se présente la situation et que devons-nous exiger et surtout obtenir ?
Constatant la grave situation que traversait la recherche française, le mouvement "Sauvons la recherche" avait adressé sa première lettre ouverte au gouvernement le 7 janvier 2004. Après un peu plus de 2 mois d’action où la mobilisation du monde de la recherche et son écho médiatique sont allés crescendo, le 9 mars a vu la démission massive de leurs fonctions administratives de près de 2000 directeurs d’unités et chefs d’équipes. Le collectif a donné une nouvelle date butoir le vendredi 19 mars, proposant que si à cette date, le gouvernement n’avait pas annoncé de propositions substantielles, une nouvelle journée d’action de soutien à la recherche impliquant cette fois-ci la population serait organisée. A moins d’une semaine de cette nouvelle date butoir, comment se présente la situation et que devons-nous exiger et surtout obtenir ?
Force est de constater que jusqu’ici, le résultat de l’action du collectif SLR, telle la pièce de monnaie moyenne, présente deux faces nettement contrastées :
le côté pile est indéniablement un succès assez phénoménal : en moins de deux mois, un collectif quasi-inconnu, qui s’était signalé en 2003 par quelques contributions sur un site web "recherche en danger" (voir les contributions 2003 des pages "contributions" et "archives" , réussit à féderer la majeure partie de la recherche publique autour de ses idées, rassemble plus de 70 000 signatures dans la communauté, et près de 200 000 dans la population (et ca continue fort !). Pendant près de deux mois, la communauté discute et revendique dans une unité rare, couvrant largement l’étendue des échelons hiérarchiques et toute la gamme des sensibilités politiques individuelles. Les syndicats de la recherche soutiennent fortement le mouvement en lui laissant toute l’initiative (avaient-ils la possibilité, voire les forces de faire autrement ?). Dans la population, le mouvement gagne en popularité, petit à petit les media rendent compte des problèmes de la recherche et amplifient l’écho du mouvement SLR, qui devient récemment international ainsi qu’en atteste par exemple un éditorial récent de Nature (pour une fois étonnament favorable à des idées émises par des mangeurs de grenouilles). Enfin, et alors que les plus sceptiques d’entre nous s’interrogaient sur ce qui se passerait réellement le 9 mars, près de 2000 directeurs d’unités et chefs d’équipes se sont dépacés à Paris et ont collectivement décidé ce jour là d’une démisssion de leurs fonctions administratives, un acte grave encore jamais utilisé à ce jour dans la recherche française.
Quelque chose de fort s’est donc indubitablement passé dans le pays au début de l’année 2004 : on a parlé DANS la recherche et on a parlé DE la recherche comme rarement encore. Sans bloquer aucune raffinerie, les chercheurs ont provoqué quelques Rafarrineries embarassées, et l’on a vu récemment le premier ministre promettre (alors qu’on demandait beaucoup moins, ...mais tout de suite !) 1 milliard d’euros par an sur 3 ans pour la recherche (peut-être s’agit-il seulement de la recherche privée ou des fondations ?). Mais est-ce que la fameuse "intelligence de la main" ne consistera pas à reprendre d’une main (voire du pied) ce que l’autre a accordé ?
Le côté face, celui des résultats concrets obtenus par le collectif et les dizaines de milliers de personnes qui le soutiennent maintenant, est presque une image en négatif du côté pile : osons le dire (sans vouloir ici vexer personne, car nous sommes tous concernés), il s’agit assez largement d’un échec jusqu’ici.
Rappelons en effet quelles étaient les demandes (pourtant relativement modestes) du collectif telles qu’elles se sont exprimées dès le 7 janvier (voir texte complet de la lettre) :
1) Nous demandons que les sommes dues aux organismes (dotations 2002 toujours non versées) leur soient immédiatement versées. 2) Nous demandons que le nombre de possibilités d’embauche proposées aux jeunes chercheurs pour les concours 2004 soit significativement augmenté. (NB : cette demande s’est précisée plus tard et a conduit à demander le rétablissement des 550 emplois de titulaires supprimés dans le budget 2004 du CNRS et transformés en CDD et la création d’un millier de postes à l’université). 3) Nous souhaitons qu’une mobilisation profonde du monde de la recherche prenne corps pour que la situation puisse être comprise du monde politique et économique, et de l’opinion. Nous demandons au Ministère de la Recherche que soit mise en chantier dans les plus brefs délais la préparation d’ASSISES NATIONALES DE LA RECHERCHE ....
Comment le gouvernement Raffarin (qui est en passe de gagner son difficile pari d’entrer dans le livre GUINNESS World records comme le gouvernement le plus autiste sinon le plus antisocial de l’histoire de la république) a t’il répondu à ces demandes, malgré plusieurs rencontres avec le collectif SLR et les syndicats ?
1) Sur les crédits gelés, une promesse que les crédits 2002 seraient versés en 2004. Sauf information récente, encore rien de concret dans ce domaine. Ce gouvernement nous ayant jusqu’ici largement habitué dans d’autres secteurs à ce qu’il n’y ait aucune vraie différence entre une réponse Non et une réponse Oui à des revendications (même quand c’est oui, rien ne vient, ou alors très tard), on peut malheureusement douter fortement de la réalisation rapide de cette promesse.
2) Sur les embauches de titulaires, un petit résultat : la promesse (encore une !) du déblocage de 120 emplois statutaires, ingénieurs et chercheurs, (35 pour l’Inserm, 50 pour le CNRS et 35 non encore précisés). Il semblerait pour l’INSERM que ces 35 postes soient presque acquis, mais pour le reste, rien n’est sûr. De toutes façons, le compte n’est pas bon : 120 postes obtenus (peut-être !) sur une demande de 550 (basée sur les postes de l’année 2003, un millésime pourtant très faible dans ce domaine), ca fait un taux de satisfaction d’environ 20%. Nous restons donc insatisfaits au moins à 80 %. Plusieurs personnes ont fait remarquer (voir par exemple le discours d’Alain Trautmann le 9 mars que c’est la première fois depuis la Libération que l’on assiste à une baisse de l’emploi statutaire dans la recherche (l’argent économisé servira t’il aux commémorations du 60 ème anniversaire du débarquement ?). Cette baisse est significative : elle représente, sur une seule année, près de 2 % de l’effectif du CNRS ! En ce qui concerne enfin l’université, c’est 0 postes qui seraient généreusement accordés sur une demande de 1000 environ, donc un échec retentissant de cette revendication.
3) Enfin, la demande de la tenue d’Assises Nationales de la recherche ou Etats Généraux de la Recherche (et de l’enseignement supérieur ?) a obtenu une réponse partiellement favorable, en partie grâce à l’initiative médiatrice des académiciens Etienne-Emile Baulieu et Edouard Brézin. Un Comité National d’Initiative et de Proposition pour la Recherche Scientifique (CNIPRS) a été constitué, comportant pour le moment 26 membres dont 9 du Collectif SLR, comité qui se réunira pour la première fois mardi 16 mars.
Peut-on vraiment considérer la création du CNIPRS comme une victoire ?
D’un côté, oui peut-être : si les membres de SLR dans le CNIPRS arrivent à imposer que ce comité lance réellement des états généraux (et obtienne aussi les moyens logistiques et financiers de le faire !), avec une vraie composante régionale et locale permettant à tous les acteurs de la recherche de s’exprimer et de peser dans le débat national. Dans ce cas seulement, qui est loin d’être acquis, un pas en avant indéniable serait fait.
D’un autre côté, il me semble qu’il y a au moins 2 points négatifs qui pèsent plus lourd dans la balance que le seul point positif précédent :
o la composition du comité tout d’abord : il est formé de personnes, certes tout à fait respectables, mais qui en aucun cas ne sont représentatif(ve)s de la réalité de la recherche dans sa diversité et dans son organisation : apparemment pas d’ITA, pas de représentants ès-qualités des directions des EPST, de l’université, des syndicats de la recherche. On imagine assez mal discuter de l’avenir de la recherche dans ce seul cadre. Pour leur part, plusieurs syndicats ont déjà réagi, ce qui est légitime. J’ai donc peur que comme souvent en France, il y ait en parallèle créations de comités "théodule" qui seront consultés indépendamment sur l’avenir de la recherche.
o à quoi vont servir ces états généraux, en admettant qu’ils aient réellement lieu ? Certes, on discutera, on réunionnera, on écrira et probablement beaucoup même. S’exprimer sur l’avenir c’est bien, mais quel est le vrai but à atteindre ? J’en vois au moins deux : 1) tout d’abord arriver à occuper sufisamment fort le terrain pour que la loi générale de finances 2005 de l’automne soit favorable à la recherche en général et publique en particulier (et par exemple inclue bien le milliard promis récemment par Raffarin). Ce point important était également souligné dans le message d’Alain Trautmann du 11 mars et 2) que le travail et les conclusions de ces états généraux servent réellement de cadre pour établir le contenu de la loi sur la recherche prévue pour la fin de l’année. Sur ce dernier point, et sans vouloir aucunement être méchant avec les collègues du collectif, je trouve naïf d’imaginer que nous pourrons facilement l’atteindre : arriver à imposer que "... désormais, le débat sur l’avenir de la recherche doit se faire dans le cadre des Etats Généraux et non pas dans le cadre de réunions qui seraient décidées par le Ministère ou des directions d’organismes, qui ignoreraient délibérément ces Etats Généraux" (message d’Alain Trautmann du 11 mars ) serait un objectif formidable, mais à mes yeux assez irréaliste. Y a t’il un seul exemple en france d’une loi concernant un secteur socio-professionnel quelconque pour laquelle ses membres ont été étroitement associés à la conception et à la rédaction ? Pas vraiment à ma connaissance ! La loi est déjà certainement en chantier et continuera probablement à avancer indépendamment de ce qui pourra bien se passer dans les états généraux. Même en 1982, avec un gouvernement autrement plus favorable à la recherche et avec des assises régionales et nationales longues et de grande ampleur, le débat entre acteurs de la recherche n’avait pesé (à mon avis) que de façon relativement minoritaire dans la loi sur la recherche qui en est sortie. Tout ceci ne veut pas dire que de vrais états généraux ne seraient pas une bonne chose, mais surtout qu’il nous faut impérativement obtenir des garanties pour l’organisation puis l’utilisation concrète du débat sur l’avenir de la recherche (et de l’enseignement supérieur ?).
Voilà pour l’analyse (certes personnelle) de la situation actuelle. Quelles conclusions et propositions en tire-je ? (si j’ose le dire ainsi). Ma conclusion principale est que malgré un sucès indéniable dans la communauté, notre mouvement n’a pour le moment pas atteint son but, et loin s’en faut.
Il faut réaffirmer, voire compléter nos demandes :
1) un engagement précis du ministère sur la date à laquelle les crédits gelés seront rendus aux organismes doit être obtenu. Par ailleurs, il nous faudra obtenir de nos chères tutelles que ces crédits aillent en grande majorité dans les laboratoires puisque si nous en revoyons un jour la couleur, ce sera beaucoup plus grâce à la mobilisation des personnels qu’à celle des instances des EPST qui n’avaient pas démissionné, elles, lors du kidnapping des crédits 2002 !
2) la satisfaction complète de la demande de rétablissement des emplois de titulaires me paraît totalement non négociable. L’importance de l’obtention de postes de titulaires en nombre nécessiterait de plus longs développements, mais s’il ne fallait retenir qu’un argument, je privéligierai celui de redonner espoir à une génération qui est en train de se détourner de la recherche ! Je propose aussi que pour n’avoir pas répondu dans le temps imparti, on applique au gouvernement une des armes préférées de Bercy, l’amende de 10 % pour paiement hors-délais. C’est donc 605 postes de titulaires pour la recherche et le double pour l’enseignement supérieur, que nous devrions maintenant revendiquer (rappelons que, contrairement à ce que pensent beaucoup de personnes, sur les 550 postes supprimés du CNRS, seuls 200 étaient des postes de chercheurs). Redisons haut et fort qu’on n’arrivera pas à une recherche revitalisée (publique et privée) représentant 3% du PIB en 2010 sans impliquer fortement une nouvelle génération de jeunes scientifiques à qui de vraies carrières doivent être proposées. Redisons fort et haut que nous n’accepterons pas plus longtemps d’être pris pour des courges et que le gouvernement nous promette 1 milliard d’euros par an en 2005, 2006 et 2007, tout en étant incapable en 2004 de financer une mesure qui représenterait (pour les 605 postes) environ 1/50 de la somme promise en 2005 !
3) Pour la préparation de l’avenir et la tenue des débats sur la recherche :
il faut, à mon avis, commencer par dire dès le 16 mars que la participation des membres de SLR aux futures réunions du CNIPRS est étroitement liée à la satisfaction des 2 revendications précédentes.
Il faut (même si ca sera difficile !) exiger un "guichet unique" pour le débat sur l’avenir de la recherche qui doit se passer uniquement dans le CNIPRS et dans les états généraux qu’il aura lancé sous sa responsabilité. L’assurance de moyens financiers et logistiques pour l’organisation des états généraux doit être obtenue.
Mais il faut aussi que la composition du CNIPRS soit impérativement revue et augmentée afin d’inclure un certain nombre de composantes "es qualités" qui ont naturellement vocation à être parties prenantes de ce débat (directions d’EPST, de l’université, syndicats, ...).
Il faut enfin et surtout éviter que "les chercheurs discutent pendant que le gouvernement agit" et que nous ne perdions globalement notre temps (pendant qu’en amérique, comme chacun et Devedjian le savent, ils obtiennent des prix Nobel). Il nous faut donc obtenir diverses garanties sur la façon dont le travail du CNIPRS et des états généraux sera utilisé pour aboutir à une loi d’orientation et de programmation de la recherche.
Voilà, à mes yeux, quelles doivent maintenant être nos revendications pour le 19 mars. Le gouvernement s’honorerait de comprendre rapidement qu’il a commis des erreurs sinon des fautes sur la recherche, que contrairement à ce qu’il affirme, il n’y a pas réellement de main tendue de sa part et enfin que notre ministre, madame (d)Haigneré-vous-nous-répondre-un-jour, ayant contribué par ses seules actions à rompre la confiance avec ses chercheurs, seule la satisfaction de la majeure partie de leurs modestes exigences est susceptible de permettre d’envisager plus sereinement avec elle et le gouvernement l’avenir de la recherche.
Un dernier point important que je n’ai pas du tout abordé (car j’ai conscience d’avoir déjà été beaucoup trop long) est :"que faisons-nous le 19 mars si nous sommes une nouvelle fois humiliés par une non-réponse du gouvernement ?". J’ai peur que la seule menace de l’organisation à travers le pays d’une nouvelle journée d’action de soutien à la recherche, même si elle inclut des citoyens non-chercheurs, ne soit pas réellement adaptée à l’importance de l’enjeu. Voilà un débat qu’il nous faut mener vite car je crois sincèrement que ce serait une erreur fondamentale de foncer dans les états-généraux si nos premières revendications ne sont pas intégralement satisfaites.