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Projet de réforme de la recherche publique
Paru dans le Figaro du 12 mai 2003
le 13 mai 2003
Le Conseil stratégique de l’innovation (CSI) présidé par Philippe Pouletty, a proposé au gouvernement une profonde réforme de l’organisation et des financements de la recherche publique
Un projet neuf pour la science française
Le projet de réforme de la recherche publique que le Conseil stratégique de l’innovation (CSI) soumet cette semaine au gouvernement, et dont Le Figaro présente ici les grandes lignes en exclusivité, est une bombe. Ce groupe de réflexion, présidé par le docteur Philippe Pouletty, président de France Biotech, auquel participent d’éminentes personnalités scientifiques, propose une remise à plat des modes de financement de la recherche publique et des statuts de ses personnels. Une réforme qui, si elle était appliquée en l’état, serait sans doute l’une des plus importantes depuis la création du CNRS en 1939 et la loi Chevènement de 1982. Les membres du CSI, qui ont adopté ce projet à l’unanimité, partent du constat que la recherche publique française a de nombreux atouts à faire valoir, à commencer par l’excellence de ses chercheurs. Mais elle a aussi l’inconvénient d’être « figée », « vieillissante » (la moyenne d’âge des chercheurs est proche de 50 ans), « mal évaluée » et surtout « mal financée » (voir ci-contre).
Pour faire de la France la première nation scientifique européenne en 2007, et soutenir ainsi durablement l’innovation, la croissance économique et l’emploi, le CSI recommande au gouvernement de promettre rien moins qu’un « doublement en cinq ans du financement de la recherche publique, parallèlement à l’adoption de la réforme ».
Celle-ci prévoit la création de « sept à dix fondations nationales de recherche (FNR) » consacrées chacune à un domaine prioritaire dont la liste et les intitulés précis restent à définir. Le CSI avance toutefois un certain nombre de thèmes comme « sciences de la vie, biotechnologies et santé », « nanotechnologies et électronique », « environnement et énergies nouvelles », « mathématiques, chimie et physique », « sécurité et défense », « informatique », « terre, univers et aérospatial », « sciences humaines et sociales ».
L’une de ces FNR, baptisée « sciences nouvelles et transversales » serait entièrement dédiée aux projets scientifiques hors normes ou très innovants.
Jouissant d’une « large autonomie de gestion et de décision », avec à leur tête, un directeur-général nommé en Conseil des ministres pour cinq ans, assisté d’un conseil scientifique international, les fondations se verraient confier tout ou partie (dans une proportion qui reste à définir) de la dotation que l’Etat verse aux EPST (1), comme le CNRS, l’Inserm (recherche médicale) ou l’Inra (recherche agronomique), et aux laboratoires universitaires pour financer leurs projets de recherche. Elles seraient également alimentées par des fonds européens (6e PCRD), des contrats industriels, des revenus de licence ainsi que par des dons et legs dont le volume devrait croître fortement grâce à de nouvelles incitations fiscales.
Le projet de loi sur les fondations voté en première lecture par l’Assemblée nationale, le 1er avril dernier, permet en effet aux particuliers et aux entreprises de déduire de leur impôt 60% des sommes versées (contre 30% actuellement) avec un relèvement significatif des plafonds. De quoi faire sans doute aussi bien que la Bill Gates Fundation ou le Welcomme Trust qui drainent chaque année des dizaines milliards de dollars vers les laboratoires américains et britanniques...
Dotées de ressources importantes, les FNR auraient pour principale mission de financer des projets de recherche fondamentale et appliquée, sélectionnés par appel d’offres sur le seul critère de l’« excellence », et d’en assurer la valorisation ultérieure (brevets, licences).
L’évaluation de ces nouveaux projets (et des résultats des projets financés antérieurement) serait effectuée par des commissions indépendantes composées pour moitié de scientifiques étrangers, notamment européens. Pour le CSI, ce système aurait pour principal avantage de « dynamiser et de mettre en concurrence les laboratoires, de rémunérer les chercheurs à un niveau international compétitif et d’inciter au rajeunissement des équipes de recherche ».
Le second volet de la réforme suggère en effet une refonte complète des statuts des personnels avec l’instauration de trois échelons communs aux EPST et aux universités : chercheur sur CDD de 2, 3 ou 5 ans, professeur assistant (entre 30 et 40 ans) et professeur (à partir de 40 ans).
Les passerelles entre organismes, universités, CHU, entre laboratoires de recherche publics et privés, français et européens, entre carrières de chercheur et d’enseignant, seraient simplifiées pour encourager la « mobilité ».
L’appartenance à la fonction publique serait maintenue mais l’âge de la titularisation, qui est de 31 ans maximum aujourd’hui dans les EPST, pourrait intervenir une dizaine d’années plus tard (notamment dans certains domaines comme les sciences de la vie) avec l’obtention du grade de professeur, voire de professeur-assistant.
Grâce aux CDD - qui viendraient se substituer aux actuels stages postdoctoraux précaires et mal payés - et aux compléments de rémunérations financés par les FNR, les chercheurs pourraient percevoir, tout au long de leur carrière, « en fonction de leurs performances », des salaires très supérieurs à ce qu’ils touchent aujourd’hui (1 500 euros net après bac + 8 ou 10 pour un chargé de recherche débutant...).
Le CSI espère ainsi pouvoir enrayer la fuite des cerveaux et attirer dans le même temps des chercheurs étrangers, notamment américains (deux à trois fois mieux payés à qualification égale) dans les laboratoires français. Et les EPST dans tout ça ? Leur rôle se limitera-t-il à la gestion des carrières des personnels et des infrastructures ? Auront-ils encore les moyens de mener une politique de recherche propre ? Ces questions hautement sensibles ne sont pour l’instant pas tranchées.
Nul doute que ce projet audacieux sera en tout cas regardé de près par Jean-Pierre Raffarin et le ministre délégué à la Recherche, Claudie Haigneré. Donnera-t-il matière à un projet de loi que le CSI souhaiterait voir soumis dès cet automne au Parlement ? Tout dépendra aussi de la réaction des chercheurs, que les récentes décisions gouvernementales ont profondément choqués et déçus (nos éditions du 11 avril 2003). Une chose est sûre : un tel bouleversement ne pourra pas se faire sans eux.
(1) Etablissement public à caractère scientifique et technique
Des budgets en baisse continuelle
Du point de vue du financement de la recherche, la comparaison entre la France et les autres pays industrialisés, notamment les États-Unis, est édifiante. Le budget des Instituts nationaux de la santé (NIH) est 60 fois supérieur à celui de l’Inserm (recherche médicale) alors que le rapport entre le PIB des deux pays ne varie que de 1 à 7 !
Autre chiffre : tandis que les États-Unis doublaient, au cours des cinq dernières années, les crédits des NIH et ceux de la National Science Foundation, la progression de la dépense publique de la France en recherche et développement (R&D) restait l’une des plus faibles d’Europe.
Ce décalage est d’autant plus préoccupant que la moitié de la croissance économique d’une nation dépend aujourd’hui de son potentiel de recherche et d’innovation. Idem pour le chômage : c’est dans les pays qui ont le plus investi dans ces secteurs clefs (Irlande, Danemark, Canada, États-Unis) que le nombre de demandeurs d’emploi a le plus reculé au cours des dix dernières années.
Pour combler ce retard et consacrer 3% du PIB à la recherche en 2010 (contre à peine 2% aujourd’hui), conformément aux engagements pris au sommet européen de Lisbonne en mars 2000, la France doit augmenter ses dépenses de recherche de 80% par rapport à leur niveau actuel. De toute évidence, cet objectif restera hors d’atteinte si le gouvernement se contente de miser sur l’investissement R & D des entreprises (l’un des plus faibles d’Europe) tout en mettant la recherche publique au régime sec, comme il fait actuellement.
Cette année, les crédits de fonctionnement (hors salaires) des Établissements publics à caractère scientifique et technique (EPST) comme le CNRS, l’Inserm ou l’Inra (recherche agronomique) ont été réduits d’environ 30% si l’on cumule la baisse du budget initial 2003 par rapport à celui de 2002 et les annulations de crédits décidées en mars dernier (nos éditions du 19 mars 2003).
Médecin à la tête d’une entreprise de biotechnologie, le président du Conseil stratégique de l’innovation expose ses ambitions pour la recherche de notre pays
Philippe Pouletty : « Une majorité de chercheurs aspirent au changement »
Propos recueillis par M. M. [12 mai 2003]
LE FIGARO. - Vous présentez votre projet de réforme au gouvernement alors que le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, vient de décider de geler les dépenses de l’Etat en 2004. Pensez-vous que le moment soit bien choisi ?
Philippe POULETTY. - Dans les prochaines années, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, la moitié de la croissance économique sera directement liée à l’effort de recherche, aussi bien fondamentale qu’appliquée, et à l’innovation. Ne pas en tenir compte serait une énorme erreur, quelles que soient les difficultés actuelles. Pour atteindre l’objectif de 3% du PIB consacré à la recherche en 2010, auquel la France s’est engagée, elle doit augmenter ses dépenses de 10 à 15% par an dès 2004. Au rythme actuel, nous sommes sûrs de ne pas y arriver. Cela se traduira à terme par un déficit de croissance d’un à deux points, et le recul de notre pays dans des domaines de pointe comme les sciences de la vie, la défense, l’aéronautique, etc. A l’inverse, si elle consent à cet effort la France peut devenir leader en Europe en 2007, d’autant qu’il ne s’agit pas de sommes phénoménales...
Certes, mais dans le contexte budgétaire actuel, le gouvernement paraît plutôt tenté de miser sur la recherche privée...
Il doit y avoir une augmentation significative des ressources de la recherche publique et de l’investissement R&D des entreprises. L’une ne va pas sans l’autre : il ne peut en effet y avoir de recherche appliquée sans production de connaissances et de savoirs nouveaux en amont. D’ailleurs, l’expérience montre que la recherche privée se développe surtout dans les pays qui disposent d’une recherche académique, dynamique et performante. Si les entreprises, même hexagonales, ne trouvent pas en France un environnement scientifique de niveau international, elles iront s’installer ailleurs. J’ajoute enfin qu’il est faux de dire, comme on l’entend trop souvent, que le ratio dépenses de recherche publique/dépenses de recherche privée est plus élevé en France qu’ailleurs. Si l’on intègre les sommes considérables collectées par les fondations anglo-saxonnes, qui bénéficient de mesures fiscales très avantageuses, donc d’une aide indirecte de l’Etat, ce ratio est le même qu’aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.
La communauté scientifique est déstabilisée par les coupes budgétaires qu’elle vient de subir. Pensez-vous qu’elle sera réceptive à vos propositions ?
Je suis conscient que ce projet heurtera certaines sensibilités mais je pense sincèrement qu’une majorité de chercheurs et surtout de jeunes post-doctorants brillants, mais contraints de s’exiler parce que notre système s’avère incapable de les intégrer, aspirent au changement. Le projet du CSI vise à rajeunir la recherche publique, à lui offrir plus de souplesse et à favoriser l’évaluation internationale des projets, la prise de risque, la réactivité, l’émulation, l’augmentation des ressources financières et du nombre des chercheurs. Le vote par le Parlement, dès cet automne, d’un projet de loi ambitieux sur la recherche et l’innovation pourrait être l’occasion pour le pays de dire à ses chercheurs qu’il a besoin d’eux, de leur dynamisme, de leur créativité et qu’il est prêt à leur donner les moyens de la réussite.
copyright Marc Menessier / Le Figaro