L’Association "Sauvons la Recherche" Groupes de travail Comités loc. et transv. Université de printemps 2011 EUROPE
Accès thématique Emploi et précarité Communiqués de SLR Actualités communiqués partenaires
Médiathèque Les archives Documentation revue de presse Tribunes et Contributions
accueil contact plan du site admin
caractères +caractères -
article
réactions (0)
Accueil / Comités loc. et transv. / Provence, Alpes, Côte d’Azur (PACA) / Nice / Revue de presse locale / (Marianne) Dis, Claudie, c’est encore loin la stratosphère ?

(Marianne) Dis, Claudie, c’est encore loin la stratosphère ?

le 16 mars 2004

Par Alain Rémond

Mais comment fait-elle ? je n’arrête pas de me poser la question. Et je n’ai toujours pas la réponse. En verité, Claudie Haigneré est un cas. je l’ai beaucoup entendue à la radio, beaucoup vue à la télévision. Et jamais (jamais !) je ne l’ai entendue répondre précisément à une question précise. Je sais bien qu’elle n’est pas la seule. Noyer le poisson, assommer son interlocuteur sous une avalanche de généralités et de banalités, ils sont nombreux à savoir le faire. Mais Claudie Haigneré les enfonce tous. Son talent pour la non réponse confine au génie. Ses phrases s’enchaînent les unes aux autres comme les wagons d’un train, tout a l’air parfaitement logique, cohérent. Sauf que son train prend un aiguillage, puis un autre, encore on autre. Pour se retrouver à des kilomètres, que dis-je à des années lumiére, de l’itinéraire prévu. On ne sait plus où on est, ce qu’on fait là. Ni, surtout, où on était censé aller. Une réponse de Claudie Haigneré, c’est la dérive des continents, c’est la mise en orbite autour de Pluton alors qu’on se croyait dans la banlieue de Mars.

Son chefd’oeuvre a ce jour est, sans conteste, sa prestation au journal de France 2, mardi dernier. Le jour même, plus de 2 000 responsables de labo de recherche ont présenté leur démission. La voici, Claudie Haigneré, face à David Pujadas, qui lui pose une série de questions sur cet événement sans précédent. Tout à fait logiquement, elle répond à côté. Elle parle de dialogue, de confiance, de responsabilité. Bref : elle enchaîne ses wagons, les emmenant à perpète, sur des voies de garage complètement paumées (comme l’est, paumé, le téléspectateur). Pujadas (qui rentre tout juste de son exil aux sports d’hiver) insiste, s’accroche aux wagons, manoeuvre les aiguillages. En pure perte. Il sort alors son joker : Axel Kahn. « Nous avons rencontré tout à l’heure Axel Kahn, dit il à la ministre, il a une question très precise à vous posez On l’écoute ensemble." La question est, en effet, très très précise : « Madame la Ministre, êtes vous prête, oui ou non, à transformer en contrats à durée indéterminée les 550 postes de chercheur dont vous avez fait des contrats temporaires ? » Gros plan sur David Pujadas, qui frétille de gourmandise. Cette fois, pense t-il, elle va être bien obligée de répondre : ou c’est oui, ou c’est non. Pas d’échappatoire possible.

Et c’est là que Ciaudie Haigneré donne toute la mesure de son prodigieux talent, pulvérisant tous les records connus dans l’art de la dérobade. Sa réponse, c’est d’abord un grand, un immense, un radieux sourire, qui signe d’emblée la défaite à plate couture de ceux qui la croyaient coincée. « Je dois dire, glisse t-elle comme en confidence, que je suis particulièrement heureuse de revoir leprAxel Kahn, avec qui je parlais justement cet après-midi, continuant un dialogue jamais interrompu .....Et Patati et patate à l’eau. Purée de pots et bouteille à l’encre. Pujadas tente une ultime percée : « Mais pour les 550 postes, que lui répondez vous ?"Le dialogue... l’écoute... la confiance. .. la responsabilité... Pujadas, vaincu, jette l’éponge. A cette heure, il ne sait même plus où il habite. Il a oublié la question d’Axel Kahn. Il est en train de se demander qui est en face de lui. Et ce que lui même fait ici. Claudie Haigneré, elle, vole tout là haut, quelque part dans la stratosphère, enfermée dans sa capsule, comme quelqu’un qui aurait perdu le contact avec la tour de contrôle. C’est fascinant.

Je repose maquestion:comment faite-elle ? Estce qu’elle a toujours été comme ça ? Ou bien a t-elle appris a parier comme ça ? Et si oui, où ? Avec quels profs ? C’est tout de même une scientifique, Claudie Haigneré. Elle est censée avoir l’esprit de rigueur. De précision. Alors ? Je sais bien qu’elle a un patron qui n’est pas mauvais non plus dans les embardées langagières. Mais Raffarin, c’est autre chose. Ses raffarinades, j’ai l’impression qu’il ne les contrôle même pas. C’est son inconscient qui parle directement. Il est capable de sortir les trucs les plus abracadabrants sans même s’en rendre compte. Il appelle ça l’intelligence du coeur. En vérité, personne ne sait ce que c’est. Ni d’où ça sort. C’est ce qui fait son charme. Claudie Haigneré, elle, mouline le vide en surdouée. Elle fait de la fumée comme la voiture de James Bond aveuglant ses poursuivants. C’est hypersophistiqué.

Terminons par un hommage a la science. Plus précisément : à l’esprit scientifique de nos lecteurs. Un médecin parisien apporte sa contribution à ma rigoureuse enquête sur la méchanceté des objets. Féru de sport, il cite aussi bien les poulies du filet de tennis que les loquets de fermeture des vestiaires, les robinets de douche que les fixations de chaussures cyclistes. Ce que je préfère, dans sa longue lettre, c’est cette expérience, ô combien vécue, à propos de vélo : « Dites moi si, comme moi, vous avez dû chercher un bouchon de valve dans l’herbe au moment de regonfler votre pneu ou si vous l’avez avalé en craignant justement de le laisser tomber de vos lèvres ? » Il propose de créer le Mouvement de résistance aux objets malfaisants (MROM). Ça devrait intéresser le CNRS.

Une autre lectrice (de Taveroy, dans leVal d’Oise) me soumet une hypothèse des plus stimulantes à propos de nos ennemis les cintres : « Je suis bien d’accord avec vous, m’écrit-elle, avec une petite nuance : je les trouve moins vindicatifs lorsqu’ils sont vêtus. Nus, c’est sûr qu’ils sont ingérables. Les cintres seraient-ils de petites choses pudiques, au fond ? » C’est une très bonne question. Non, Claudie, s’il vous plait, ne répondez pas... •