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Recherche et "le journal de 20h"

Par Philippe Ghez, le 23 mars 2004

Les plus dangereux adversaires de SLR ne sont-ils pas les grands média d’information ?

C’était Vendredi 19 Mars entre 20h et 20h30. Je voulais savoir comment les "grands media" (TF1,FR2) allaient rendre compte de la journée d’action. J’attends un bon 1/4 d’heure et vers 20h15, sur FR2, reportage sur la manifestation ; puis un "sujet" pour expliquer le malaise de la recherche. Le "sujet" dans ce cas, c’est cette fâcheuse habitude de la télévision d’expliquer une généralité à partir d’un exemple : il faut faire vite, simple et à l’emporte-pièce. Le "sujet" est un reportage dans un laboratoire de l’INSERM avec 2 exemples : la thésarde qui doit partir en post-doc à l’étranger parce que pas d’avenir en France et le chercheur étranger dont la bourse d’accueil vient d’être brutalement coupée et qui doit se trouver une solution dans les plus brefs délais. Je zappe et finis vers 20h30 par avoir droit à la version TF1. Et là aussi, il y a un "sujet". Un autre laboratoire de l’INSERM qui, lui, travaille en partenariat avec un groupe privé : description des mirifiques moyens obtenus grâce au privé, interview d’un thésard "heureux" et tutti quanti.

En 1/4 d’heure, j’avais eu en raccourci, avec 10 ou 20 millions d’autres français, l’image de plusieurs questions cruciales qui se posent aujourd’hui à ceux qui veulent sauver la recherche :
- la "bataille" de la mobilisation est, j’espère, en bonne voie ; la "bataille" politique bat son plein ; mais quid de la "bataille" de l’information ? Je sais que la remarque est naïve (ou cynique). Mais la bataille politique ne peut pas, à mon sens, se gagner contre une information "hostile". Comment lutter contre la désinformation aujourd’hui, voilà ce qui me préoccupe.
- le "reportage" de TF1 avait pour sens, si ce n’est pour but, de montrer que grâce au privé tout allait bien. Depuis le début du mouvement, dans la bouche des politiques et spécialement des politiques choisis sans doute car "ils passent bien à la télé" (je pense à un ancien - épithète peu flatteuse - ministre de la Recherche), je n’entends parler évidemment que d’argent, de rentabilité et de valorisation. J’ai presque honte, parfois, d’être "fonctionnaire" (insulte suprême) quand je LES entends.

Il faut sauver la recherche. Cela passe, à mon avis, par une réhabilitation de la notion de service public. Et là, il y a beaucoup à faire d’autant que chaque fois que le service public n’est pas irréprochable (ce qui arrive encore trop souvent), on ne le rate pas ! Le meilleur pour la fin : si j’ai bien compris le reportage de TF1, il suffit de trouver un "partenaire" privé et tout ira bien. Ah bon. Et ce qui s’appelle la "recherche fondamentale", celle qui ne "sert" à rien ou presque : à enrichir la connaissance humaine ? Celle qui n’a aucune chance de trouver un partenaire privé car elle ne produit que du savoir ? Je frémis en pensant par exemple à certains domaines des sciences humaines.

Mon domaine de recherche c’est la physique des particules, de la recherche dite fondamentale. Le "centre du monde" de la physique des particules est à Genève. Cela s’appelle le CERN (Centre Européen de Recherche Nucléaire) et malgré le "nucléaire"-qui-fait-peur de l’acronyme, cet organisme international ne se préoccupe essentiellement que d’une chose : comprendre la matière, explorer l’infiniment petit comme on dit. Cela signifie qu’on ne produit rien. Les questions qui préoccupe ma communauté sont, au hasard : l’existence du boson de Higgs, la masse des neutrinos, etc. On ne va pas gagner (ou faire gagner) beaucoup d’argent avec ça. Mais juste un petit détail : il y a 20 ans, au CERN, on a inventé (je schématise, les puristes rectifieront) le Web. Le rapport entre la physique des particules et le Web ? C’est un rapport, dans tous les sens du terme, légèrement moins immédiat que la rentabilité à court terme.

L’attitude de TF1, chaine nationale privée, se tient (avec beaucoup de cynisme et de mauvaise foi). En effet, il me semble qu’une part du succés du mouvement "Sauvons la recherche" s’appuie, d’un point de vue tout à fait pratique et technique, sur le Web. Je trouve que "http://recherche-en-danger.apinc.org" s’il est loin d’être parfait, est suffisamment bien fait pour être trés réactif et vivant, ce qui a contribué, me semble-t-il, à l’essort du mouvement. La logique du "vive la recherche privatisée" se tient : ne donnons de l’argent et des postes qu’à la recherche qui rapporte (à court terme, de préférence). Donc pas de recherche fondamentale. Donc pas d’invention du Web. Donc pas de support technique à un mouvement tel que "Sauvons la recherche" qui se bat pour préserver la recherche publique. CQFD !

Philippe Ghez

Chercheur - LAPP/IN2P3/CNRS