Lettre à un ami chercheur (Par Bernard Debré*)
le 22 mars 2004
Comme j’aimerais pouvoir démissionner de mes servitudes administratives, rester payé et continuer mon travail médical. Tu as donc osé utiliser le terme de démission quand il ne s’agit que d’un coup médiatique. Très fort ! D’autant plus que ce coup a été provoqué pendant une période électorale. Tu as poussé l’instinct politique jusqu’à déposer un ultimatum la veille du scrutin. Génial !
Mais ce qui m’étonne dans ton discours, c’est la référence permanente aux Etats-Unis. Il est tout à fait exact que nos chercheurs sont très attirés par ce pays qui truste les prix Nobel. Il est tout aussi exact que la France s’enfonce dans la médiocrité depuis vingt ans, et pas seulement depuis deux ans, avoue-le ! La comparaison entre les deux pays, en matière de recherche, nous est de plus en plus défavorable. Alors qu’aux USA les chercheurs sont bien payés, bien considérés, possèdent un matériel moderne et performant, nous, en France, nous sommes sous-équipés, mal payés et nous manquons de matériel. Mais la comparaison s’arrête là, tu aurais dû le dire.
Ici nous sommes fonctionnaires, les promotions se font le plus souvent à l’ancienneté, sans tenir compte du travail ; chercheur à vie ! quelle sinécure. Tandis qu’aux Etats Unis les chercheurs sont évalués en permanence ; ceux qui réussissent et qui travaillent sont promus et récompensés ; ceux qui ne travaillent pas bien sont le plus souvent renvoyés... Accepterais-tu d’être évalué et renvoyé ? J’en doute ! Là-bas, la recherche est le plus souvent privée, même si une partie, minoritaire, dépend de l’Etat ou des Etats. Ici, le privé est considéré comme accessoire et malsain...
Tu sembles oublier les rapports de la Cour des comptes. Ils sont ravageurs pour notre recherche : trop disparate, trop de lourdeurs administratives, pas assez d’évaluation, beaucoup d’équipes souvent réduites ou inefficaces ; en un mot, l’argent public y est dilapidé. Les manifestations auxquelles tu participes sont d’une grande ambiguïté. Tu réclames plus d’argent là ou il faudrait mieux gérer et mieux utiliser l’argent de l’Etat.
Tu réclames plus de postes, mais des postes de fonctionnaires... Notre recherche va mal parce que notre système étatique est à bout de souffle ; elle est à l’image de nos universités sclérosées, égalitaristes et de moins en moins performantes. Mais c’est ça la France, il est facile de faire un constat, il est impossible de réformer. Ceux qui dirigent les syndicats de chercheurs ou des universités sont des conservateurs les plus bornés.
Voilà ce que je voulais te dire, tu es en retard d’une révolution, ou plutôt tu te trompes de révolution, tes solutions sont d’un autre âge. Tu te trompes, mais surtout tu trompes les Français. Tu te dis chercheur mais tu fais erreur sur les solutions, à moins que tu ne sois plus un véritable chercheur mais, plutôt, un politique engagé.
* Professeur de médecine, ancien ministre.