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Réponse d’un ami chercheur au Pr. Bernard Debré

par Axel KAHN

le 22 mars 2004

Cher Bernard,

Engagé dans un débat, voire un combat pour donner à des jeunes gens talentueux et passionnés des raisons de s’engager dans les métiers de l’enseignement supérieur et de la recherche, j’ai reçu ta lettre avec intérêt : en ces moments difficiles, tous les conseils sont les bienvenus. Cependant, la lecture de tes propos m’a déçu : enfilade de lieux communs inexacts, je crains qu’ils ne nous avancent guère.

Commençons par rectifier les nombreuses contre-vérités qui émaillent ton texte. En tant que Directeur d’un Institut de plus de cinq cents chercheurs, j’ai en effet présenté ma démission aux tutelles dont je dépends. Si elle est acceptée, je redeviendrai « chercheur du rang », m’efforçant de poursuivre ma recherche avec une efficacité qui continuera d’être évaluée tous les deux ans comme depuis le début de mon intégration à l’INSERM ; pour ce faire, les experts chargés de me juger disposent d’une rapport complet d’activité, avec la liste de mes publications (plus de 500 articles dans des revues internationales depuis le début de ma carrière), brevets, conférences, distinctions… etc. Les performances insuffisantes des chercheurs font l’objet d’une mise en garde, d’entretiens personnalisés, de changement de cadre de recherche, voire de réorientation. Je précise ces points, car je sais qu’ils doivent te surprendre, alors même que tu disposes toi-même d’un poste à vie, calqué sur la fonction publique, et que ton activité n’est, quant à elle, jamais soumise à évaluation sérieuse, qu’il s’agisse de ton enseignement, de ta pratique ou de ta recherche. Quant à abandonner mon salaire de « Directeur d’Institut » en démissionnant, cela m’est bien difficile. La position de responsable d’une formation de recherche, même aussi importante que l’Institut Cochin, ne donne en effet droit à aucune rétribution particulière. Cela dit, je suis bien d’accord avec toi qu’il est souhaitable d’améliorer l’évaluation des chercheurs et de mettre en place celle des enseignants-chercheurs et hospitalo-universitaires.

Existe-t-il une lourdeur administrative anormale des établissements dont nous dépendons, toi et moi, l’Assistance Publique et les organismes de recherche ? Sans doute, nous en sommes les premières victimes, et je sais combien tu t’en plains avec fougue en ce qui te concerne. En quoi la nécessité de réformer ces structures qui nous paralysent disqualifie-t-elle la légitimité de nos revendications de moyens et de perspectives pour nos élèves ? Que proposer à ces derniers ? Il existe, c’est vrai, plusieurs schémas d’emplois susceptibles de les attirer et de leur permettre de s’épanouir. Les propositions du gouvernement Raffarin n’en font cependant pas partie : des contrats temporaires, renouvelables légalement une seule fois, et ne s’intégrant à aucun plan de carrière. A ce compte, nos jeunes les plus brillants ont bien entendu intérêt à s’expatrier. D’ailleurs, des collègues genevois goguenards, contemplant l’afflux actuel des demandes de positions de jeunes scientifiques français, me demandaient, il y a quelques jours, si nous venions, à nouveau, de révoquer l’Edit de Nantes ?

Enfin, ton « poulet » se termine, mon Cher Bernard, par une sortie qui, venant de toi, ne manque pas de sel. Mes collègues et moi serions-nous non pas d’authentiques chercheurs, mais des « politiques engagés » ? C’est peut-être vrai, si nous l’entendons dans le sens de notre attachement à un « projet politique pour la France » du type de celui dont se fait l’écho Jean-Louis Debré, Président de l’Assemblée Nationale, dans son discours de Châteauroux du mercredi 17 mars : « Une nouvelle ambition (qui ne serait pas) celle de la proximité contre la grandeur (…) des collectivités locales contre l’Etat, (….) des buralistes ou des restaurateurs contre les savants ou les chercheurs ». Un langage peut-être singulier pour le « médecin apolitique » Bernard Debré, éphémère Ministre de Balladur, dont la défection à son camp, autant que je me le rappelle, a été peu appréciée par les siens et par Jacques Chirac.

Tu vois, Mon Cher Bernard, j’accepte volontiers que nos lecteurs, tous ceux qui nous connaissent tous deux, jugent sur pièces de notre conservatisme, de notre engagement politicien et de notre ambition pour la France et pour l’Europe, et portent un jugement sur la valeur comparée de mon combat et de ta lettre.

Je te prie de croire, Mon Cher Bernard, à l’expression de mes sentiments cordiaux.

Axel KAHN Directeur de l’Institut Cochin