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Lettre à un faux-ami, et surtout à tous les autres (Par Denis Bourgeois*)

Sortir de l’obscurantisme et du fanatisme

Par denis bourgeois, le 23 mars 2004

Une réflexion approfondie sur une politique raisonnée et sur les modalités de gestion de la recherche en France passe indéniablement par l’organisation d’une réflexion de la communauté et par le dépassement rapide de positions idéologiques grossières sur la question.

Dressés dès notre plus jeune age par un modèle éducatif basé sur l’évaluation permanente, il est presque "naturel" d’imaginer qu’une évalutation systématique et fréquente de chaque chercheur aura un effet stimulant sur sa production. Je n’ai, pour ma part, pas d’opinion tranchée sur la question. Mais si la recherche s’occupe de "découvertes", alors il serait bon d’interroger les spécialistes d’épistémologie et d’histoire des sciences. Il semblerait que statistiquement une révolution scientifique a moins de chance d’être comprise à sa naissance par la communauté que d’être rejetée. Dans cette perspective, quelle forme doit prendre l’évaluation pour ne pas être "tueuse" d’inventions ?

Karl Jaspers, il y a cinquante ans, réflichissant au statut de l’université, concluait qu’il fallait tolérer que certaines personnes y soient improductives, c’était là pour lui la grandeur de l’université, afin de laisser s’y développer une recherche LIBRE de toute contrainte extérieure et finalement productive de savoirs insoupçonnés.

Je rappelle enfin un point potentiellement législatif, que le savoir supérieur ne saurait être inféodé à aucune autre autorité. C’est bien sans doute de là qu’il tirera sa capacité de résister à toute pression extérieure afin de produire un savoir dégagé de tout présupposé qui aurait pu sinon le conditionner (et notamment un fatras d’opinions politiques naïves issues directement d’un destin singulier - qu’il est bon, quand on prétend exprimer une opinion en tant que détenteur de savoir supérieur, avoir quelques lumières sur son propre conditionnement à penser).

Je laisse à des économistes, et à d’autres spécialistes, le soin de démonter la grossièreté d’un argumenaire pour le coup très politisé. Il est en tout cas très facile de voir que ce chapelet dépenaillé d’opinions n’est que la déclinaison d’une croyance des plus infondées, celle qui consiste à clamer que la concurrence aboutit à la régulation du monde, quelle régulation, quelle concurrence, pauvre monde, il suffit de regarder dans quel état il se trouve aujourd’hui.

Si la politique est un défouloir d’opinions mal dégrossies, alors il est justifié d’utiliser cet espace pour compenser son incapacité à vouloir comprendre le monde, c’est-à-dire son incapacité à réfléchir rationnellement aux conditions de possibilités d’un meilleur développement, c’est-à-dire de n’exprimer finalement que son renoncement à tout espoir concernant le monde contemporain. L’assemblage de deux casquettes pour autoriser son propos (chercheur et ministre) produit une collusion douteuse quand on finit par s’apercevoir que ce sont les opinions politiques de l’à-peine-le-temps-de-n’avoir-pas-eu-tout-à-fait-le-temps-de-devenir-ministre qui pallient à l’absence de réflexion personnelle en la matière du chercheur.

Mais si la recherche - et c’est le cas dans les sciences sociales - permet de renouveler la compréhension du politique et notamment les enjeux d’une meilleure gestion du savoir, il est temps de réfléchir aux modalités de préparation de ces états généraux de la recherche, et de s’en donner les moyens, et de se garder surtout la possibilité de continuer ce travail sur le long terme. Car si les politiques ne sont pas forcément de fins théoriciens, ils sont néanmoins spécialistes de la neutralisation de toute action. Il serait donc naïf de croire qu’une simple convocation à un symposium permettra de construire avec eux l’avenir de la recherche. Il serait encore plus naïf de ne pas avoir en tête que ce qui tient lieu de pensée aux partenaires politiques actuels n’est au mieux qu’une déclinaison de la brillantissime pensée énoncée dans cette même rubrique par un ancien ministre. Qu’apporte la naïveté dans ce cadre, si ce n’est de renforcer des politiques dans leurs opinions obscurantistes ? Et d’en faire payer les conséquences à l’ensemble de l’humanité...

*Denis Bourgeois

mcf, esthétique,

écrivain, auteur de "Au plus près du réel" en collaboration avec Gao Xingjian, prix nobel de littérature