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Quel avenir pour la Recherche et l’Innovation en France ?

Par Sylvain FRANGER, le 9 avril 2004

« Les vraies conquêtes, celles qui ne laissent aucun regret, sont celles que l’on fait sur l’ignorance… Toutes les fois que je puis être utile aux Sciences et aux hommes qui les cultivent, je suis mon inclination et je sens que je m’honore ». N. BONAPARTE

L’avenir se construit grâce à l’Innovation et la Créativité.

La Recherche publique et l’Université préparent l’avenir de la France car, si le XIXème siècle a basé son développement économique sur les mines de fer et de charbon, le XXIème siècle aura pour principales ressources, les gisements de matière grise.

Or, nous assistons actuellement à l’asphyxie progressive de la Culture et de la Science françaises. Le soutien aux organismes de recherche, au progrès de la connaissance et du savoir, à l’innovation et à la créativité, à la formation des jeunes et à l’aide aux étudiants devrait être une priorité (et une fierté) nationale mais, au lieu de cela, l’Etat se désengage complètement et n’affiche plus aucune ambition pour la Culture, sinon celle de réaliser d’hypothétiques économies. Les produits culturels ayant, en effet, une haute valeur ajoutée, on ne peut que s’émouvoir devant le peu d’intérêt porté par l’actuel Gouvernement face aux retombées économiques substantielles qui se dégagent le plus souvent par la revente de droits d’exploitation ou l’obtention de brevets d’invention.

Les deux derniers budgets de la Recherche ont été catastrophiques et, comme si cela ne suffisait pas, la totalité des crédits de paiement n’a toujours pas été versée aux organismes de recherche publics (CNRS, INSERM, INRA, CEA...), pour les exercices 2002 et 2003, compromettant ainsi leur équilibre financier, voire, pour certain, leur survie.

Force est de constater qu’il y a, malheureusement, dans la classe politique française actuelle, une prééminence de l’économique sur le technologique. Le profit à court terme (rhétorique d’une politique ultra-libérale) est systématiquement privilégié au détriment de toute programmation pluriannuelle, pourtant seule capable de poser les bases solides d’une Recherche sereine, libre de toutes pressions, de tous effets de mode. Un développement efficace de la Science suppose, en effet, un continuum d’activités qui s’étend de la Recherche fondamentale à la Recherche appliquée. Or, il est souvent de bon ton de jeter l’opprobre sur la première (vue comme hermétique et non rentable) et d’encenser la seconde (supposée plus accessible et immédiatement productive) alors qu’elles sont indissociables l’une de l’autre. Elles s’enrichissent mutuellement. La Recherche fondamentale est un travail qui demande une réflexion poussée, une mise en confrontation des théories élaborées avec des expériences qui restent le plus souvent à inventer. Cela nécessite bien sûr des investissements humains et matériels très lourds mais les résultats issus de cette Recherche permettent, incontestablement, d’irriguer, quelques années plus tard, tous les secteurs d’activités en donnant lieu à des innovations technologiques très importantes, directement accessibles au grand public :

- la biochimie moléculaire a ainsi permis de trouver de nouvelles molécules actives contre le cancer ou d’élaborer des tests permettant de diagnostiquer rapidement de nouvelles maladies ;
- c’est la physique théorique qui a mis en évidence le rayonnement LASER qui équipe désormais tous les lecteurs de CD et DVD ;
- la physique toujours qui est à l’origine des avancées technologiques qui ont fait du TGV le train le plus rapide du monde ;
- c’est la chimie, encore, qui est à la base des nouveaux matériaux composites (à la fois très légers et très résistants) équipant voitures, avions ou bateaux actuels…etc…

En retour, la Recherche technologique, par le développement d’instruments de plus en plus performants, donne accès à des expériences inédites et autorise, par exemple, d’observer le cœur de la matière, ce qui nous permet ainsi d’enrichir notre compréhension du monde. Cet échange est bénéfique et doit, évidemment, être encouragé car la synergie qui en découle permet une émulation des différents groupes de chercheurs et donne un essor considérable à la Connaissance et à l’Innovation qui sont les moteurs du progrès technologique, celui qui favorise l’épanouissement individuel et collectif de chaque individu au sein de la Société. En outre, il ne faut pas oublier que l’activité créatrice est indissociable du droit à l’erreur et que ce sont les démarches à priori à faible probabilité de succès qui sont généralement à l’origine d’avancées spectaculaires. Il est donc important de préserver des espaces de liberté indispensables à l’expression de la créativité des chercheurs en maintenant un niveau de Recherche fondamentale conséquent.

Au lieu de cela, on assiste aux recadrages, voire à l’abandon, de certains programmes de recherche dont on juge les chances de succès immédiat trop faibles. Pire, nous devons même faire face à une campagne de dénigrement systématique, orchestrée par le Gouvernement et destinée à convaincre l’opinion du bien-fondé de ces coupes budgétaires : les intermittents ne seraient que des fainéants, les enseignants ne sauraient pas y faire avec leurs élèves et enfin les chercheurs seraient incapables de gérer les budgets qui leur sont alloués… Culture - Education - Recherche, constitueraient, en quelque sorte, un méprisable triptyque, le concentré des plus mauvais élèves de la Nation, un complot d’« intellectuels » d’arrière garde. Ce travail de sape est déjà indigne de la part de responsables politiques qui hypothèquent ainsi l’avenir du pays en fragilisant, briques après briques, toutes les structures mises en place par le général De Gaulle et complétées sous la présidence de F. Mitterrand, mais il est surtout délétère car les nombreux départs à la retraite, non remplacés, qui vont bientôt toucher les chercheurs, ingénieurs et techniciens, entraîneront inéluctablement, dans les laboratoires français, la perte d’un savoir faire qu’il faudra du temps pour réinventer.

De plus, ces signaux négatifs à répétition ne peuvent que décourager durablement les étudiants et amplifier leur désintérêt pour les études scientifiques. Car, au bout du compte, que propose-t-on à nos jeunes ? De poursuivre leurs études jusqu’à Bac+8, en préparant une thèse, avec un salaire net mensuel de 1.300 EUR, pour finalement, après plusieurs stages post-doctoraux ici ou là (en outre, difficilement compatible avec une vie de famille), fermer au plus grand nombre les portes de la Recherche publique, tout en proposant aux plus « chanceux » de rester… mais en CDD à 1.500 EUR net/mois, sans aucune évolution de carrière sinon celle de se retrouver, à plus ou moins brève échéance, au chômage ! Et une période d’inactivité, dans un secteur en perpétuelle évolution comme celui de la Science, c’est une mise à mort sans appel. Quelles perspectives motivantes, en effet, pour nos étudiants ! ! ! Et ce n’est malheureusement pas le secteur privé qui compensera les insuffisances étatiques car les entreprises françaises font de moins en moins de R&D dans leurs propres murs, préférant externaliser leur rares recherches par le biais de contrats passés avec des laboratoires universitaires qui trouvent là une providentielle source de financements complémentaires. Ce système est totalement pernicieux car ces entreprises ne sont absolument pas encouragées à recruter de jeunes docteurs : en effet, elles bénéficient désormais de crédits d’impôt pour leur « bienfaisance » envers des organismes publics et, en outre, n’ont à assumer aucune charge sociale puisque le chercheur qui exécute ainsi leurs travaux reste rémunéré par son administration… Par conséquent, les possibilités d’embauche, à l’issue du doctorat, sont actuellement très minces.

Il ne faut donc pas se tromper sur la nature des conséquences des décisions qui sont prises aujourd’hui : elles seront pour la plupart irréversibles. Elles entraînent déjà l’exode des meilleurs étudiants et jeunes chercheurs à l’étranger (notamment aux Etats-Unis et en Angleterre, où ils sont accueillis avec tous les honneurs) et nuiront, dans un futur proche, à la compétitivité de la France, au niveau mondial, mais également au sein même de l’Union européenne, où d’autres Etats font le pari intelligent qu’une Recherche dynamique aujourd’hui prépare les emplois de demain.

Ce constat certes très alarmant ne doit cependant pas occulter les réels problèmes auxquels sont confrontés la Recherche publique et l’Enseignement Supérieur. Quelques réformes essentielles apparaissent, en effet, nécessaires pour améliorer le dispositif actuel. Mais convaincu qu’elles ne se résument pas uniquement à des considérations budgétaires, plusieurs pistes doivent être sereinement explorées.

En effet, avec le développement des nouvelles technologies, toute la vie sociale se trouve bouleversée. Que ce soit en matière de communication et d’information (notamment avec les réseaux informatiques) mais également en matière de biologie cellulaire (thérapie génique, OGM), ou bien encore en matière d’énergies nouvelles (biomasse, solaire, éolienne, pile à combustible, batteries lithium…), les citoyens sont quotidiennement en prise directe avec les produits innovants. Aussi l’accès aux savoirs devient-il l’enjeu fondamental du XXIème siècle. La mise en place d’actions de sensibilisation à la culture scientifique et technique apparaît, dès lors, comme primordiale. Cela passe inéluctablement par un soutien accru à l’Education, à l’Enseignement Supérieur et à la Recherche. Pour qu’en effet, les bénéfices d’une découverte scientifique profitent à l’ensemble des citoyens, pour qu’ils en ressentent toute l’essence mais aussi toutes les contreparties, il est de la responsabilité de l’Etat de donner les moyens nécessaires au bon fonctionnement de la Recherche publique et de l’Enseignement, seuls garants d’un accès équitable aux Savoirs.

Sylvain FRANGER, Enseignant - chercheur à l’Université

Jean-Marc HERY, Professeur certifié de l’Enseignement Secondaire