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Une lecture du chapitre de Mme Haigneré dans "Lettre à tous ceux qui aiment l’école"

Par Said Bouaissi, le 20 mai 2003

Cet article est une sorte de fiche de lecture du chapitre "Demain, la science" écrit par Claudie Haigneré dans le livre de Luc Ferry "Lettre à tous ceux qui aiment l’école". Comme les chercheurs n’ont pas tous eu la chance de lire les bons mots de leur ministre, je me permets de donner un rapide aperçu de ces 15 pages tout en en conseillant vivement la lecture (Ed. Odile Jacob, 9 euros, ou bien empruntez un exemplaire à un collègue du secondaire). Vous excuserez le ton polémique de mon intervention...

Des thèmes cruciaux

On note d’abord une place prepondérante pour certains thèmes. Son discours d’orientation de la recherche se fera bien autour d’un certain nombre de priorités. L’espace se trouve être un des premiers thèmes cites (p161). Gageons que notre ministre n’est pas si bornée sur sa discipline, on l’y retrouve seulement une deuxième fois (p. 165), mais en tout cas placée en tant que "grand sujet" et "enjeu d’avenir".

Son domaine préféré reste incontestablement ce fourre-tout qu’on nomme les "nouvelles technologies" (cité 9 fois !). On lui promet l’avenir le plus radieux, les conséquences les plus énormes sur notre quotidien et surtout les retombées monumentales en terme de productivité, de croissance et de création de richesses. Faut-il avoir la mémoire courte pour ne pas se souvenir de la vague d’engouement pour les nouvelles technologies, la bulle boursière d’Internet et la déception qui les a suivies ? Faut-il rappeler que les entreprises qui font aujourd’hui des bénéfices avec les nouvelles technologies se comptent sur les doigts d’une main, que celles qui ont rentabilisé les pharaoniques investissements, nécessaires dans ce domaine, restent encore à inventer ? Doit-on enfin rappeler le déficit de nos entreprises qui ont dû brader leurs acquis historiques suite à l’éclatement de la bulle Internet (Vivendi se délestant de sa branche "eau" pour survivre) et de la dégringolade boursière de notre opérateur national (erreurs de gestion datant surtout de la précédente législature, mais il est dangereux de suivre la voie d’un gouvernement qui n’a pas été réélu) ?

Les biotechnologies et la recherche médicale sont à l’honneur (citées 6 fois) avec toujours en filigrane les retombées sur le quotidien. Parmi cela, n’oublions pas enfin un des "grands chantiers" du Président de la République : la recherche contre le cancer (citée 2 fois) , avec la création d’un Institut du Cancer créé sans la moindre concertation avec la communauté des chercheurs et surtout à moyens constants voire en baisse !

L’énergie est un domaine récurrent dans toute bonne propagande gouvernementale du régime léniniste jusqu’aux chantiers des centrales nucléaires lancés sous le Général de Gaulle (en passant par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel parlementaire). Il a sa place dans ce chapitre ; on le trouve cité 3 fois et surtout, un long passage (10% de toute l’intervention) sur le programme ITER, un projet de réacteur nucléaire à fusion. La dépendance énergétique de la France (bon sang que ferions-nous sans elle ?) en dépend (si j’ose dire). A ce propos, qui s’attaque à la dépendance pétrolière de la France ? Un grand programme de recherche vers les bio-carburants n’aurait-il pas sa place ? Quitte à voir le budget de mon domaine de recherche diminuer (physique des particules), je veux bien le voir investi dans des champs de colza pour faire le bio-carburant de demain !

La science, pour Mme Le Ministre

Notre ministre a volontiers donné sa définition de la science et de la recherche : "La recherche, c’est la concordance entre un rêve, un désir que l’on porte en soi et une opportunité" (p169), "la science est bien cet appel au voyage qui colle si bien avec les qualités de la jeunesse" (p170), encore un truc qui va plaire à mes collègues seniors, bien incapables de suivre cet "appel au voyage" vers les contrées de leurs collègues internationaux depuis les gels de crédits et la "mise en réserve par Bercy de 314 millions d’euros de crédits de recherche 2002" [1].

Malgré tout, ouvrons-nous aux jeunes, "il nous faut impérativement favoriser les vocations scientifiques auprès des jeunes", "notre pays réclame des chercheurs jeunes et compétents" (p174) . Il me semblait pourtant avoir lu un ministre réclamer un départ de retraité sur deux non remplacé [2] et puis voir cela appliqué dans nos laboratoires dès 2003 [3]. Qu’importe ! Avec de la créativité, on pourra sûrement attirer les jeunes. Faut leur parler de thèmes qui leur parlent, d’"écrans, de consoles de jeux [qui peuvent] être un vecteur ludique d’apprentissage" (p169) !!! Il est vrai que le réseau des universités et des établissements de recherche Renater [4] est si performant qu’il serait détonnant pour des tournois de jeu vidéo : avis aux amateurs !

Ce que notre ministre pense de la communauté

A moins d’être restée enfermée dans son bureau, notre ministre issue de la communauté scientifique [5] n’a pu que collaborer de manière étroite avec des chercheurs. Pourtant, nous ne lui avons pas laissé grand souvenir. Certes, elle remarque que nous représentons un "extraordinaire potentiel de recherche"(p159) mais son appréciation est basée uniquement sur la "rencontre [avec] des chercheurs (...) depuis son entrée en fonction" (p159) ! L’accueil aurait-il été plus chaleureux autour de petits fours qu’autour d’un banc de test ou d’une paillasse de labo ? Peu importe après tout, la dernière et bonne impression est ce qui compte !

Mais quelque chose ne fonctionne pas dans notre science : notre succès est la source de nos désagrements et nous aveugle ! En effet, nos "resultats spectaculaires (...) occult[ent] la nécessité d’agir en profondeur" (p162) et notre "effort vers et pour la recherche publique (...) nous [fait] oublier qu’il existe un continuum de la science à la technologie innovante" (p163). Occupés que nous sommes à fêter nos succès et à célébrer nos réalisations, nous manquons cruellement de vision d’avenir : "comment ne pas voir dans la biologie prédictive une nouvelle révolution copernicienne ?" (p170). Effectivement, mon laboratoire est passé à côté de cette révolution. Au nom de mes collègues, qui sont en train de cuver leur champagne, je m’en excuse et je m’en vais vite changer de sujet de thèse et ne pas rater cette "révolution copernicienne".

Un tel aveuglement de la communauté serait encore supportable mais notre pays connait " une accéleration [de son] déclin scientifique" (p160). En bon physicien, je ne sais accélerer que des choses qui existent ! Par conséquent, nous sommes "en déclin scientifique" : et pourtant les signes avant-coureurs de la décadence à la romaine ne nous guettent semble-t-il pas : nous accumulons les "résultats spectaculaires", et nous disposons d’un "formidable potentiel". Mais je suis sûrement meilleur physicien que lecteur de discours de ministre, je laisse le soin à mes collègues de rhétorique avancée, de linguistique, d’histoire et de sciences politiques le soin de m’expliquer tout cela (une nouvelle commission du CNRS, la "3.14159", planche dessus).

Bref, face à ces chercheurs bornés, aveugles, il nous fallait une ministre visionnaire qui sache nous donner les grandes orientations car "nous avons besoin de chercheurs sans cesse plus imaginatifs, sans cesse plus performants" (p168). Je n’ose imaginer ce qu’elle pense de mes collègues seniors qui, pas assez "imaginatifs" ou "performants" n’ont pas su relever les défis de la science. Place aux jeunes alors (qui a parlé de l’allongement de durée de cotisation des retraites ? Non, non pas de polémique !). Pour l’avenir de mon domaine, je me contenterais bien d’une génération comme celle de mes collègues seniors qui ont juste déblayé tout le Modèle Standard et calculé certains paramètres d’interactions fondamentales à 7 décimales : tâche à peine dignes pour ces "aveugles"...

Mais malgré tout, on sent un échec patent de cette génération, car il faut leur rappeler qu’"une recherche peut être audacieuse par sa thématique", et surtout qu’"il faut oser la science" (p171). Certes, ce sera sûrement la directive ministérielle la mieux suivie de toute la Ve République et que je vais transmettre avec enthousiasme à mes collègues : "osons la science". Je m’en vais de ce pas le faire et me remettre au travail...

On peut trouver le livre sur http://www.education.gouv.fr/actu/2...