La recherche est malade
Les racines du mal
Par
, le 24 mars 2004Beaucoup d’idées ont émergé des débats, des opinions se sont affrontées, de nombreuses solutions ont été proposées. La recherche est en crise….certes, on l’a déjà dit et ce n’est pas d’hier ! Mais elle n’est pas la seule à souffrir et ce qu’on dénonce aujourd’hui vient, sans aucun doute, de ce qui a été fait hier. J’aimerais apporter ma contribution à ce débat en l’abordant d’une toute autre manière. Cette réflexion ne résoudra pas aujourd’hui la crise aiguë mise en exergue par les chercheurs mais pourra aider, j’espère, à retrouver quelques racines du mal.
Les phases de la maladie :
Institutrice pendant 26 ans, j’ai vu l’enseignement primaire se dégrader année après année. L’illetrisme dont on ose parler parfois n’est pas le fait unique des enseignants mais une volonté affichée des gouvernements successifs à pallier le manque de moyens alloués à l’éducation par une attitude démagogique consistant à faire croire que chaque enfant avait la même capacité à réussir. Lorsqu’il a été décidé, il y a environ une quinzaine d’années, que 90% d’une tranche d’âge de lycéens aurait le baccalauréat, il s’agissait d’un leurre. Pour atteindre le but qu’on s’était fixé, on a changé les règles en permettant l’obtention du diplôme grâce à des matières dites non principales. Pour parvenir au pourcentage annoncé, des instructions claires ont été données aux membres des jury de bac, leur permettant de changer les notes des copies des candidats, écrites au crayon dans un premier temps, afin d’ afficher des résultats en adéquation avec les statistiques escomptées. On a permis à tous ces bacheliers de s’inscrire en faculté sans donner les moyens nécessaires à l’université pour faire face à un tel afflux de candidats. Les amphi de DEUG sont devenus des « melting pot »de 200 jeunes plus ou moins motivés, ne sachant souvent pas ce qu’ils faisaient là et empêchant les enseignants de se concentrer sur ceux qui le savaient. On les a doublement trompés en ne leur proposant ni une orientation sérieuse ni une filière en relation avec leur capacité ou leur goût. La grande majorité s’est retrouvée malgré tout en licence, sans grande conviction pour certains. Mais on leur a affirmé, en guise de consolation, qu’ avec ce diplôme ils pourraient au moins devenir professeur des écoles, appellation à la mode !… c’est ainsi d’ailleurs qu’on a dévalorisé le métier d’enseignant primaire !!!! ou professeur d’éducation physique, on en voit le résultat en ce moment, dans la rue. Ne parlons pas de ceux qui, évincés par le système tout au long du cursus, se sont sentis frustrés, ont perdu le goût de l’effort et du travail, et ont été lâchés sans espoir de qualification. Ceux qui ont pu continuer ont vu alors l’étau se resserrer. Parmi eux, un nombre non négligeable a passé le cap, quelques uns parfois grâce à des enseignants complices, issus d’un système dont ils avaient eux-mêmes bénéficié, qui ont alloué aux « moyens » les points qui leur manquaient pour obtenir le diplôme convoité. On s’est ainsi retrouvé en fin de cycle avec d’un côté, des candidats brillants ; de l’autre, des candidats moyens promus par des moyens détournés. S’est alors produit un élagage terrible, le premier lot intégré en majeure partie dans les grandes écoles, le second partagé entre les différentes formation, au gré et à l’appréciation des Directeurs de DEA. Le nombre de bourses s’étant considérablement amenuisé, on a assisté de plus en plus souvent à des déchirements entre candidats et des injustices perpétrées par les encadrants. Après tant d’années d’études et de sacrifices consentis, certains laissés pour compte en fin de DEA, ont pu dans le meilleur des cas, rejoindre des laboratoires en manque de maind’œuvre, sur des stages non rémunérés le plus souvent, ou sur des petits contrats internes souvent illégaux . Beaucoup se sont laissés convaincre que le problème venait du manque de bourses, du déficit en postes, de la réduction des crédits, et ont finalement accepté leur situation précaire. Ils sont entrés dans un système ou précarité rime avec laxisme. Ils ne se sont pas interrogés pour comprendre d’où venaient leurs problèmes : Les enseignants du primaire qui ont permis par leur silence, la dévalorisation de leur emploi, Les enseignants du secondaire qui n’ont souvent pas voulu entendre parler d’orientation, Les enseignants des lycées qui ont accepté sans broncher la mise à mal du baccalauréat, Les enseignants de l’Université qui ont voulu faire croire que tous pouvaient en passer par là. Les directeurs de DEA qui ont arrangé les modes de recrutement et d’attribution des bourses de thèse. Les directeurs de thèse qui ont adhéré à l’idée qu’une thèse se doit d’aboutir quelle qu’en soit la qualité.
C’est un système entier qui est malade en France, pas seulement la Recherche. L’auto recrutement, l’auto satisfaction, l’auto flagellation devraient enfin laisser place à l’auto critique. En 30 ans, j’en ai connu des Etats Généraux de l’Education, sous diverses appellations et sous divers gouvernements, certains ont mobilisé tous les enseignants pendant plusieurs jours sans qu’aucune solution réelle ne soit apportée aux problèmes posés.
Remèdes ? Oui mais…. Si maintenant on se penche sur les propositions faites par quatre grands noms de la Recherche Française dans leur texte intitulé « Du NERF : donner un nouvel essor à la recherche française », elles sont pour la plupart intéressantes mais appellent certains commentaires.
Ils parlent « d’excellence »…..comment parler d’excellence dans un pays où seul l’évocation du mot fait dresser les cheveux sur la tête de votre entourage ? excellence va avec sélection, mot banni du langage français depuis bien longtemps.
Ils parlent de « trop de promotions à l’ancienneté »…. qui va garantir une promotion au mérite dans un pays où les syndicats règnent en maître et font la pluie et le beau temps dans les grands organismes de recherche et les universités : auto promotions, auto recrutements y sont parfois légions.
Ils disent du bout des lèvres « trop de fonctionnarisation (en partie seulement)… du monde des chercheurs »…. La majeure partie des articles publiés depuis le début du mouvement ne porte pas à croire que la levée de boucliers actuelle s’attache à changer cette situation. Pourtant, comment peut-on devenir fonctionnaire en recherche ou appliquer les 35 heures ? c’est une abbération et contraire à l’idée qu’on se fait du métier.
Ils affirment que « trop de mécanismes électifs n’offrent pas de garantie d’optimisation des compétences »…qui est prêt en France à faire changer un système qui profite à ceux qui produisent le moins ? Il suffit parfois de regarder de plus près qui détient la grande partie des postes importants dans les organismes de recherche et les universités ? Qui se trouve responsables des conseils scientifiques ou élus dans les commissions ?Les plus brillants, les plus productifs, les excellents ? Cherchez vous trouverez ! Il serait intéressant d’ailleurs, à une époque où on prononce de plus en plus souvent, à des fins électorales, le mot « transparence » de rendre publiques la liste des publications et l’implication au niveau européen ou international des responsables de tout ordre dans les Instituts et les universités.
Quand ils disent que « ces mécanismes donnent un poids important (excessif ?) aux syndicats dont certains sont devenus trop corporatistes »….Pourquoi le disent-ils de manière si timide ? mais oui, la trop grande importance des syndicats a sclérosé le monde de la recherche, de l’université et de l’enseignement en général, il faut oser le dire et le combattre (voir l’excellent article de Bertrand Jordan dans Le Monde du 10 mars 2004). Ces syndicats qui se sont appropriés les pouvoirs décisionnels et les moyens de sélection par l’appartenance au syndicat plus que par la valeur intrinsèque des candidats ont mis le système entier en mauvaise posture. Comment se fait-il qu’une telle situation n’ait jamais été dénoncée auparavant, ou que lorsqu’elle l’a été, on se soit bien gardé d’en parler publiquement et de lutter contre ? Par peur des syndicats qui ont le pouvoir, depuis des décennies, de briser la carrière de celui qui s’élève contre leur toute puissance dans ces milieux clos que sont les Instituts de recherche et les Universités ?
Ils osent parler de « nivellement par la moyenne »….J’ose parler de nivellement par le bas. C’est ce qu’on s’est attaché à faire en France depuis déjà longtemps et on y est parvenu. N’osez jamais prononcer les mots : élite, sélection, mérite, argent, compétence, valeur….C’est peut-être aussi parce que trop, parmi ceux qui occupent les postes clés, au gouvernement comme ailleurs n’ont pas montré le bon exemple ont profité d’un système décadent pour asseoir leur pouvoir et leur notoriété.
Leur proposition d’instaurer des pôles d’excellence façon campus est sans doute bonne si ces pôles ne deviennent pas des CNRS, Inserm, Instituts en tout genre, façon revisitée. Qui va y veiller dans un pays où l’immobilisme, l’attentisme et le favoritisme ont encore le beau rôle ?
Le monde de la recherche changera lorsqu’on acceptera l’idée de sélection, de mérite, d’évaluation honnête et intègre, de promotion digne de ce nom. Lorsque ceux qui le composent permettront un contrôle plus strict et plus sérieux de ce qui s’y passe à l’intérieur. Lorsqu’ils accepteront d’être jugés par des spécialistes nationaux , européens et internationaux, compétents et neutres. La recherche doit aussi s’ouvrir au public, cesser de s’enfermer dans cette tour d’ivoire qui s’écroule.
A prendre en considération pour une éventuelle guérison : En France, chacun a la possibilité de réussir, quelque soit son origine, sa culture, sa religion, sa condition sociale. Nous ne sommes plus à l’époque où seule une certaine classe sociale parvenait aux plus hautes fonctions. L’école y est gratuite et donne d’excellents résultats à condition d’être reconnue, soutenue dans sa lourde tâche et revalorisée. On doit lui donner les moyens de la réussite. En faisant croire que tout le monde pouvait accéder aux mêmes fonctions, que chacun pouvait avoir ce que possédait son voisin, que les droits étaient acquis voire innés, qu’on pouvait exiger tout et n’importe quoi, on a favorisé dans notre pays des sentiments de jalousie, de haine,de dénigrement, d’incompréhension et surtout on a trompé les citoyens. Car si chacun a des droits, on oublie trop souvent de dire qu’ il a aussi des devoirs. Au fil des années et des changements gouvernementaux on a laissé un flou s’installer qui nuit à la bonne marche du pays. Si l’école est gratuite et ouverte à tous, elle se doit d’être aussi le lieu de l’excellence avant tout, lieu où chacun peut exprimer ses capacités et trouver sa voie quelle qu’elle soit, mais où on ne peut plus laisser planer le doute qui y sévit depuis trop longtemps, que sans travail et sans investissement personnel on réussira malgré tout.