De Jospin à Raffarin, une continuité sans précédent ?
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, le 22 mai 2003L’article de G. Mercier, "De Jospin à Raffarin, la continuité d’une politique" me semble intéressant. Aussi intéressant, dans sa rigueur intellectuelle, que le sont les communiqués du ministère montrant que le budget de la recherche augmente de 5,3 % ou le livre de Postel-Vinay montrant que la recherche française est la plus chère du monde. Alors je ne prendrai pas plus de gants que dans les réponses à ces derniers.
1. Cet article, comme le livre de Postel-Vinay, part de l’a priori idéologique qui est son titre, et ensuite tord les chiffres et les faits, pour qu’ils entrent dans sa démonstration. Je m’en tiendrai à un aspect, celui de l’emploi et du budget. Mais la même démonstration pourrait être faite sur la politique scientifique, quels que furent mes forts désaccords sur plusieurs aspects de la politique des gouvernements de gauche.
2. L’article contient donc un certain nombre d’éléments factuellement totalement faux.
a- le plan pluriannuel prévoyait la création de 1000 postes en 4 ans, et détail (?), le remplacement de tous les départs. Des postes supplémentaires (de 150 à 200) étaient prévus pour l’intégration de précaires. Il est vrai que 200 postes (sur 1200) devaient être rendus plus tard. Or, confondre les 200 à rendre et les mille qui restaient créés, afin de pouvoir qualifier ce plan "d’aimable plaisanterie", est malhonnête. Chacun peut mesurer qu’en 2001 et 2002 il y a eu près de 600 recrutements de chercheurs au CNRS et qu’on est retombé à 357. Qu’on devait avoir +125 postes de chercheurs dans les EPST et qu’on a eu ?150. C’est "la continuité".
b- Il se trouve, que constatant l’insuffisante CROISSANCE de l’emploi scientifique, sous les gouvernements de gauche, j’ai impulsé la prise de position du CSRT demandant "un plan pluriannuel de l’emploi scientifique", lancé une pétition qui recueillit 6000 signatures pour soutenir cette initiative. Et nous sommes tellement dans la "continuité" que j’ai dû lancer en septembre dernier un appel de 6000 scientifiques demandant le respect de ce plan.
c- La "continuité" se marque aussi dans les crédits. D’après les AP votées, les organismes devaient avoir des CP en hausse de 6 %. On a actuellement une chute moyenne de 30 % pour 2003. Dans la langue de bois, on appelle même cela "une continuité sans précédent". Ce qui ne m’empêche pas de dire aussi que l’effort de recherche effectué par la gauche a été insuffisant.
3- Une basse manipulation consiste à mélanger les décisions politiques et judiciaires. Quand les tribunaux décident (que cela plaise ou pas) que le CNRS, contrairement aux autres organismes, a mal interprété le texte sur la limite d’âge pour recruter CR2 (qui est de 30 ans et non 31), cela devient : "l’interprétation restrictive de la limite d’âge au recrutement CR2 au CNRS, introduite en cours de concours, n’avait d’autre but que d’amorcer la création un "corps" de post doc et d’en finir à terme avec le grade de CR2". Et donc "l’action du précédent gouvernement visait au développement du travail précaire et à reculer l’âge du recrutement". Mais supposons que ce soit le ministère Schwarzenberg, et non la justice comme c’est le cas, qui ait décidé d’abaisser la limite d’age de 31 à 30 au CNRS, il faut quand même une sacrée dialectique pour en conclure que c’est pour recruter plus vieux. Et c’est d’autant plus faux, que sachant ma position pour "recruter plus jeune", le précédent ministère m’a choisi pour rapporter sur ce thème lors d’un colloque organisé début 2002. Et il y avait 500 témoins qui peuvent attester de ma conclusion et de mes propositions.
4- En définitive, cet article à l’emporte-pièce contribue à masquer la gravité de la situation des jeunes scientifiques et donc à ne pas les défendre. Car lors du dit colloque, je n’ai sûrement pas, quant à moi, minimisé la situation en disant que " le but était d’AMORCER la création un corps de post doc". J’ai dit au contraire "que quand on recrute en moyenne à 33 ans, avec la thèse qui devrait se passer autour de 27, il y a DEJA, sous une forme ou une autre, six ans d’activités post-doctorales".
Le ton de cet article me rappelle ces vieilles chansons dont on a encore l’air en tête et dont on a oublié les paroles. Et en me souvenant de mes lectures de jeunesse, je sais maintenant les paroles oubliées par l’auteur. Il devrait méditer cette phrase d’un certain Vladimir Illich Lenine : "qu’on ne puisse pas dire un jour de nous que la phrase révolutionnaire sur la lutte révolutionnaire, a perdu la révolution".