Que signifie 1 % d’effort public ?
par Pierre Tambourin
le 24 mars 2004
Un des points clés dans les discussions qui se tiendront lors des Etats Généraux, est celui de l’effort budgétaire qu’un pays comme la France doit consentir à sa recherche. Chacun semble d’accord sur les 3 %, mais beaucoup d’ambiguïtés règnent sur la décomposition de ces 3 % qui, dans l’esprit du gouvernement, jusqu’à récemment, obéissait à l’équation simple : 3 % de PIB = 2 % de recherche industrielle + 1 % d’effort public.
Dans les discussions à venir, il me parait capital de démontrer rigoureusement que cette donnée, considérée comme acquise, nous conduit droit dans le mur.
Pourquoi 1 % ?
Un argument souvent entendu au cours des années précédentes (et encore récemment), et avancé par les services de Bercy, souligne qu’à ce niveau d’investissement public, la France est le leader des très grands pays industrialisés en matière d’effort public, un peu devant les Etats-Unis (sauf peut-être en 2003) et l’Allemagne, loin devant l’Angleterre et encore plus loin devant le Japon. En dehors de deux « petits » pays, cette donnée est parfaitement exacte. Par conséquent, Bercy en tire argument pour justifier les termes de l’équation ci-dessus en ajoutant « si avec ce budget les laboratoires sont pauvres, ce n’est pas parce qu’ils manquent de moyens mais parce que les organismes les utilisent mal ». J’ai personnellement entendu ces propos dans des réunions avec les responsables de Bercy (et ailleurs).
Pourquoi allons-nous dans le mur ?
1) Le 1 % public regroupe beaucoup de lignes qui sont discutables, souvent de petit volume, mais, il me paraît important de « nettoyer » ce budget « recherche publique ». J’en cite quelques-unes pour l’exemple : le commissariat général au plan émarge à ce budget, le ministère de la justice, le ministère de l’intérieur. Là, cependant, n’est pas l’essentiel.
2) La France a mis en place depuis 40 ans trois grands programmes technologiques très lourds financièrement (aéronautique, spatial, énergie) qu’aucun autre pays au monde ne développe simultanément et à cette hauteur (par habitant). Cela peut paraître surprenant, mais c’est ainsi. Par exemple, les USA n’ont pas de programme nucléaire civil comparable et l’aéronautique n’est pas soutenue à même hauteur (dans le budget recherche bien sûr). De même, la ligne recherche spatiale US a beaucoup évolué au cours du temps et était souvent, par habitant, inférieure à celle du CNES, etc…
3) La France est le seul pays où un ensemble important de chercheurs dits « temps plein » interviennent dans le dispositif de recherche. La question n’est pas de discuter du bien fondé ou pas d’un tel dispositif, mais de remarquer que, dans ce cas, les salaires de ces chercheurs pèsent lourdement dans le budget civil de la recherche, alors que dans la plupart des autres pays, où l’on trouve des enseignants-chercheurs, les salaires sont pris en compte à 50 % dans les termes de l’équation.
Tous ces éléments, et probablement quelques autres, expliquent pourquoi d’un côté, nous pouvons être maillot jaune, en apparence, dans l’effort public de recherche et de l’autre, pourquoi nos laboratoires du CNRS ou de l’INSERM, sont très faiblement dotés par l’Etat. Le budget de fonctionnement des laboratoires est laminé entre cette borne supérieure fixée à 1% et les très grands programmes, le poids des salaires, etc… Aucun organisme au monde, ne peut raisonnablement avoir de politique scientifique sérieuse quand 80 % de ce qu’il reçoit de sa tutelle est a priori déjà utilisé et quand, sur les 20 %, une partie importante est déjà préemptée par diverses actions que tu connais bien.
En résumé, si l’on souhaite que la France poursuive les trois grands programmes technologiques évoqués ci-dessus, si l’on veut redonner aux organismes ou à toute autre forme de soutien à la recherche fondamentale de quoi lui permettre de travailler correctement, si l’on veut ensuite pouvoir lancer un grand programme mobilisateur, par exemple dans les sciences du vivant, alors il faut soit réduire fortement l’un des chapitres précédents, soit reformuler l’équation de la manière suivante : 3 % = 1,3 % d’effort public (ou 1,4) + 1,7 % (ou 1,6). D’ailleurs du côté des industriels, l’idée que brutalement, en quelques années, on pourrait, par un coup de baguette de magique, faire passer l’effort industriel de recherche et développement de 1,3 % à 2 % paraît saugrenue et totalement irréaliste.
Il est donc impératif de prendre conscience de ces chiffres et de reposer les termes des équations ci-dessus. Je crois qu’un tel mot d’ordre peut être défendu par tous de manière légitime. Certes, les problèmes de la recherche ne se résument pas, on le sait tous, à des questions budgétaires, mais ils passent aussi par là. Et ce n’est pas en les niant ou en les posant mal qu’on pourra améliorer le système.
Si nous sommes tous convaincus d’aborder ces discussions de cette manière, alors je crois qu’il y a un espoir pour que nous avancions rapidement sur des bases plus saines.