Contribution au débat
Texte adopté par le Conseil Scientifique de l’Université de Rouen réuni le 23 mars
Par
, le 25 mars 2004La recherche en France traverse actuellement une période difficile. Dans cette tourmente, la communauté universitaire rouennaise souhaite rappeler quelles sont ses missions, ses spécificités et ses inquiétudes.
En France, la recherche publique a lieu à plus de 80% au sein des Universités dans des laboratoires propres de l’enseignement supérieur ou des unités mixtes avec les grands organismes (CNRS, INSERM, INRA). Les équipes sont composées de chercheurs, d’ enseignants-chercheurs, de techniciens et d’ingénieurs et d’étudiants préparant leur doctorat. Des sciences dites expérimentales aux sciences humaines et sociales, recherche et enseignement universitaire forment un tout indivisible permettant aux enseignants, acteurs de la recherche, de rester au contact de l’évolution de leur domaine de compétence. Ainsi, la crise actuelle de l’enseignement supérieur et celle de la recherche sont de même nature. Dans les laboratoires, la première mission des acteurs de la recherche publique est d’innover et créer du savoir, contribuant ainsi au rayonnement scientifique, économique et culturel du pays. La seconde mission de l’enseignement supérieur est de former les doctorants, futurs cadres des secteurs socio-économique, industriel et académique, leurs apprendre à chercher, identifier et mener des sujets de recherche et s’interroger sur les conséquences des résultats obtenus.
La recherche scientifique française occupe actuellement un des premiers rangs dans la communauté internationale, tant dans les sciences expérimentales que dans les sciences humaines et sociales. Cette situation est le résultat de nombreuses années d’effort de la part de la nation pour soutenir la recherche universitaire dans tous les domaines de la connaissance. De nombreuses années sont nécessaires avant qu’une avancée scientifique ait un impact dans la vie des citoyens. A titre d’exemple, 15 à 20 ans séparent la découverte d’un principe actif et la mise sur le marché d’un nouveau médicament. Dès lors, doit-on considérer aujourd’hui la recherche comme une charge ou un investissement pour le futur ?
Une des missions de la communauté scientifique est de diffuser les résultats de la recherche vers le citoyen pour lui permettre d ’appréhender les enjeux des développements techniques ainsi que les problèmes éthiques et sociaux qu’ils posent. Plus fondamentalement, les activités de recherche dans tous les domaines accompagnent l’évolution de l’humanité. Il est donc de la responsabilité de la communauté universitaire de relayer la connaissance auprès du citoyen afin de lui permettre de s ’approprier l’histoire et de décrypter les évolutions de notre société.
Aux difficultés actuelles au niveau national s’ajoutent des problèmes spécifiques à notre région en matière de recherche et d’enseignement supérieur. En Haute-Normandie, le poids de l’enseignement supérieur dans la population scolarisée est de 11 % pour une moyenne nationale de 15% et des taux de 19% en Rhones-Alpes ou Midi-Pyrénées. Dans ce classement, Paris se détache nettement avec ses 48%. Notre région qui représente 3% de la population nationale ne compte que pour 1,3% des thèses de doctorat soutenues en France. Le budget de la recherche publique civile y est de 0,8 % contre 40,2% pour l’Ile de France, 10,2% pour Rhône Alpes, 7,8% pour Provence-Alpes-Côte d’Azur et 7,2 % pour Midi-Pyrénées. Rapportés au PIB régional, ces chiffres positionne la Haute-Normandie à la 20ème place sur 22. En terme de la répartition régionale des personnels de la recherche publique civile, nous occupons le 17ième rang avec 4,5 etp (équivalent temps plein de chercheurs et ingénieurs de recherche) pour dix mille actifs.
La communauté universitaire de Rouen s’inquiète du manque de soutien de la part de l’Etat et de l’impact probable des prochaines réformes. Les retards régionaux énoncés plus haut font que les dispositions prises à l’encontre du développement de la recherche auront un impact plus dévastateur sur notre région que sur d’autres mieux armées. Ses inquiétudes portent principalement sur les points suivants :
La diminution des recrutements de jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs en 2004 ne permet plus d’assurer la relève et ne fait qu’amplifier le vieillissement de notre communauté. L’âge moyen des personnels des grands organismes de recherche et de l’Université est de 47 à 50 ans selon les domaines. Nos métiers ont besoin de forces vives pour innover et créer. Par ailleurs, nos meilleurs étudiants, après 8 à 10 ans d’étude post-bac et de sacrifices personnels et familiaux, se retrouvent sans perspectives d’avenir dans leur pays. Comment s’étonner dès lors du manque de vocation des jeunes pour les études supérieures ?
La baisse continue des budgets et le gel des budgets 2003 ne permet plus aux laboratoires de fonctionner et d’assurer leurs missions
La réforme prévue des grands organismes (CNRS, INSERM, INRA), par la concentration préconisée des forces dans des pôles d’excellence, peut mener à la disparition de la recherche publique dans certaines régions, dont la nôtre. L’ Université de Rouen est une université jeune, dont les meilleurs laboratoires ont petit à petit, avec une énergie constante, réussi à créer des groupes de recherche reconnus au niveau national et international, sans toutefois constituer des structures de taille comparable à celle des grands centres de recherche des grands pôles universitaires historiques. On comprend aisément que, par souci d’efficacité et de rentabilité, l’Etat souhaite regrouper ses forces dans des pôles d’excellence, mais au détriment des régions de faible taille. Le soutien régional des efforts de recherche ne pourra compenser ce désengagement local de l’état. Notre communauté scientifique s’inquiète de l’émergence probable à moyen terme d’une recherche à deux vitesses, entre pôles d’excellence nationaux et pôles régionaux, et par conséquent, compte tenu du lien étroit entre recherche et enseignement, d’un enseignement supérieur de « seconde zone » dans notre région.
La communauté universitaire, par la voie de son conseil scientifique
Fait part de sa solidarité vis à vis du collectif « Sauvons la recherche » et s’associe aux revendications portant sur le recrutement de 550 chercheurs et ingénieurs de recherche, 1000 enseignants-chercheurs et 1000 personnels IATOS ainsi qu’aux revendications sur le dégel des crédits de recherche.
Demande un soutien fort des autorités régionales pour appuyer leurs revendications et réfléchir ensemble aux moyens de mise en place d’un dispositif ambitieux de formation universitaire adossé à une recherche de qualité.
Souhaite organiser des états généraux régionaux, éventuellement interrégionaux, permettant à l’ensemble de la communauté scientifique régionale de s’exprimer, de faire part de leurs difficultés spécifiques et de proposer des solutions. Une réflexion doit se mettre en place sur l’avenir de la recherche régionale, son positionnement dans le paysage national et au sein de l’Europe.