"Des postes, des postes, oui mais des arguments aussi !"
(1) les raisons de forme
le 25 mars 2004
Des 3 revendications initiales pourtant modestes du mouvement SLR (tout au plus des "frais de bouche" pourrait-on dire), seule la dernière (organisation d’assises de la recherche) a reçu une réponse partiellement positive. La première (le dégel promis des crédits 2002-2003) n’est toujours pas effective. Celle du rétablissement des 550 postes pour le CNRS et de la création d’un millier pour l’enseignement supérieur est à la fois la plus importante pour l’avenir et la plus symbolique. Afin d’obtenir rapidement (après les élections) du gouvernement (actuel ou remanié) un collectif budgétaire qui seul peut permettre sa satisfaction, il nous faut essayer de mieux argumenter les fondements de cette demande et mieux nous mobiliser pour la défendre. Ces raisons de fond seront discutées dans le second article accompagnant celui-ci. Mais après bientôt 3 mois d’action, et encore trop peu de résultats concrets, on peut considérer qu’il y a maintenant des raisons de forme -la réparation des humiliations subies- qui comptent aussi dans notre combat pour le rétablissement des postes dans la recherche et l’enseignement supérieur.
La réponse récente du Président Jacques chirac à la lettre ouverte que lui a adressé le mouvement Sauvons la recherche n’a pas répondu aux attentes des dizaines de milliers des personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur. Ceux-ci (un certain nombre en tous cas, les plus naïfs diront certains) espéraient une prise de position claire et favorable du Président sur les trois revendications relativement modestes à partir desquelles le mouvement a construit son unité sur le sauvetage de la recherche. Une des questions les plus urgentes, celles des débouchés pour les jeunes chercheurs, a tout simplement été évacuée et renvoyée au niveau de la future loi d’orientation et de programmation de la recherche. Le calendrier électoral fait qu’ aucune vraie réponse à nos deux premières demandes (dégel des crédits et postes) ne devrait être apportée avant le début ou la mi-avril. Il serait tragique de n’obtenir aucune réponse sur les postes, car ce sont immédiatement les destinées futures de centaines de jeunes thésards et post-docs qui sont en jeu et au delà, l’attractivité même des carrières dans la recherche pour les prochaines années.
Beaucoup de personnes dans le mouvement SLR trouvent que nous sommes maintenant à la croisée des chemins et hésitent à s’engager dans des états généraux tant que ces deux demandes ne sont pas satisfaites. Il est essentiel de continuer à se mobiliser pour cet objectif. Derrière la revendication du collectif SLR portant sur les postes, les motivations les plus importantes sont bien sûr les raisons "de fond" initiales sur l’emploi scientifque qui seront rappelées et discutées dans un second article. Mais le vécu des trois derniers mois a aussi généré des motivations "de forme" qui doivent nous pousser à obtenir satisfaction de nos revendications. Il n’est pas inutile de présenter tout d’abord celles-ci car c’est d’elles que vient assez largement la crispation et le durcissement actuels du mouvement.
- 1) LES QUESTIONS DE "FORME"
Les scientifiques sont des êtres humains et en tant que tels, ils supportent très mal ce qu’ils ressentent comme une humiliation. Or, plusieurs humiliations consécutives ont jusqu’ici émaillé le développement du mouvement des chercheurs et de ce qu’il faudra bien appeler un jour "le scandale des postes de 2004 dans la recherche et l’enseignement supérieur". Peut-on indéfiniment tolérer ces humiliations ?
la première d’entre elles est l’annonce de ces suppressions elle-même : 550 postes de titulaires transformés en CDD au CNRS. La recherche publique, qui ne représente qu’environ 1% des fonctionnaires, se voit donc gratifier du douteux privilège de "bénéficier" à elle seule de 10% du total des postes de fonctionnaires supprimés en 2004 (plus de 5000). Comment ne pas voir là un terrible mépris affiché par le gouvernement envers ses chercheurs et envers l’avenir ? Surtout quand ces suppressions s’ajoutent à la non-création complète de postes à l’université en 2004 ?
Les chercheurs ne veulent aucunement diviser l’opinion ni chercher à jalouser d’autres catégories sociales ou professionnelles. Mais lorsqu’ils voient que les chasseurs sont écoutés, les buralistes obtiennent satisfaction et que les restaurateurs empochent le jackpot d’un milliard et demi d’euros et d’une baisse de la TVA en 2006 (sans que l’état ne demande en contrepartie aucune garantie de créations d’emplois !), ils ne peuvent, fort légitimement qu’être amers sur la façon indigne dont eux-mêmes, et l’ensemble des valeurs sur la connaissance dont ils sont porteurs, sont traités. Rappelons que nos demandes, loin d’être maximalistes, sont au contraire extrêmement minimales et se rapprochent beaucoup plus de mesures d’urgence envers une population menacée que de vraies revendications catégorielles ou corporatistes comme le procès nous en a parfois été injustement fait.
Face à leurs modestes demandes, les chercheurs ont jusqu’ici essuyé des refus sur l’essentiel, successivement de leur ministre, du premier ministre et récemment du Président de la république. A qui peuvent-ils s’adresser maintenant ? au Vatican, à l’UNESCO, à l’ONU ? Pourquoi des négociations sur les postes ne sont-elles toujours pas ouvertes ? L’attitude du premier ministre, notamment, a été particulièrement scandaleuse : non content de faire ostensiblement référence dans ses propos à "l’intelligence de la main" ou encore de "refuser un marchandage à la petite semaine", vexant ainsi encore plus une communauté déjà humiliée, il ose promettre 3 milliards d’euros supplémentaires pour la recherche d’ici la fin de la législature et dans le même temps refuser de financer en 2004 une mesure qui couterait moins du centième de cette promesse ! Une citation peu connue du même premier ministre à notre propos confirme, s’il en était besoin, en quelle estime nous sommes tenus : "quand j’entends les chercheurs parler de l’Eldorado des USA, en bon libéral je pense à leur dire, allez-y et revenez avec des idées" (cité par "Profession politique", http://www.professionpolitique.com/). Quand à notre ministre de tutelle, c’est vrai qu’on ne peut pas la taxer d’avoir eu des phrases désobligeantes à notre égard. Par contre, il semble qu’elle soit devenue imbattable dans l’art d’esquiver les questions. Je pense à une émission de télévision où Axel Kahn lui posait très clairement la question de ce qu’elle allait faire à propos des postes supprimés et où après deux minutes de réponse, elle avait réussi à ne rien dire sur la question posée. C’est une tactique qu’elle a employé à de maintes reprises et sur le fond, même sans manier directement l’insulte, son attitude est très directement insultante. Enfin, dans le club de ceux qui nous aiment d’amour, comment ne pas citer l’innénarable ministre Patrick Devedjian qui avait lancé : "Malheureusement chez nous, les intellectuels ont l’habitude de signer des pétitions, aux Etats-Unis, ils ont des prix Nobel. Parfois, on a envie d’inverser". (NB : petite consolation -mesquine, je l’avoue-, la tête du même Devedjian, Dimanche 21 mars au soir à la télévision, ... ce sont les résultats des régionales qu’il aurait bien aimé inverser !)
Comment penser aussi, vu la façon dont nous avons été largement ignorés jusqu’ici, que l’immense chantier de l’avenir de la recherche auquel - bonnes pommes - nous sommes pourtant prêts à nous atteler gratuitement, conduira à une loi qui prendra en compte une seule de nos propositions ? N’est ce pas une humiliation plus forte encore qui nous attend d’ici quelques mois ? Si l’on clone un jour le gène de la naïveté, c’est probablement dans l’ADN du génome d’un chercheur qu’on le trouvera, pas dans celui d’un membre du gouvernement ! Avant de nous lancer dans cette aventure des états généraux, nous serions bien inspirés de demander des garanties sur le moyen terme (cet automne) quand à l’utilisation concrète du travail à venir, mais aussi d’exiger dès maintenant une vraie preuve de loyauté du gouvernement : le retour des postes kidnappés !
Pouvons-nous enfin nous permettre de perdre notre combat ? Par beaucoup d’aspects, son importance, son unité, sa dignité, son impact dans la population, il est clair que le mouvement qui s’est fédéré autour de SLR devrait rester comme une grande page des mouvements revendicatifs dans la recherche. Mais il serait incompréhensible, profondément injuste, et complètement démobilisateur pour toute future revendication qu’un mouvement d’une telle ampleur et d’une telle légitimité n’obtienne au bout du compte aucun résultat concret sur ses trois objectifs. Trois mois et encore rien de tangible .... c’est beaucoup trop ! Déjà en butte à des difficultés financières importantes depuis 2-3 ans, nous heurtant depuis trois mois à un incompréhensible refus sur nos revendications, c’est donc successivement nos moyens de travail qui sont amputés, l’avenir des jeunes que nous avons encouragé dans cette voie difficile de la recherche qui est étranglé, mais aussi notre honneur de créateurs et diffuseurs de connaissance qui a été mis à mal à plusieurs reprises. Je ne sais pas si nous réussirons, mais au moins notre légitime combat actuel nous rend-t-il un peu de notre dignité. Comme l’a bien dit Alain Trautmann dans son discours du 9 mars à l’hôtel de ville de Paris : ".... Nous protestions vaguement, faiblement, tout en courbant l’échine. Et nos concitoyens s’en moquaient éperdument, chacun ses problèmes. Mais le gouvernement est allé trop loin, jusqu’à en être humiliant. Il a eu tort. Nous nous sommes redressés et nous avons dit : ça suffit !".
Nous avons effectivement dit "ca suffit", mais ...... cela suffira-t’il ?
Dans l’article suivant "Des postes, des postes, oui mais des arguments aussi !" (2) le fond, je récapitule et discute les principaux arguments de fond qui militent pour l’impératif rétablissement des 550 postes pour le CNRS et la création d’un millier pour l’enseignement supérieur en 2004.