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Sauver la recherche, réformer le comité national

Par Macdonald, le 29 mars 2004

Dans la crise de la recherche que nous vivons actuellement en France, crise dont la gravité et la profondeur n’échappent à plus personne, sauf aux membres de notre gouvernement, il est temps me semble-t-il que chaque chercheur, quelle que soit sa discipline, participe à l’effort commun pour trouver une solution. Mon propos est donc d’apporter une modeste contribution en tant qu’anthropologue, chercheur en sciences humaines et chercheur au CNRS, à ce travail de réflexion et de proposition. Je ne ferai aucun plaidoyer pour les sciences humaines ni pour l’anthropologie. J’envisage les problèmes de recherche en général mais considérés du point de vue d’un secteur particulier. Il faut toujours rappeler, en effet, que ces problèmes varient considérablement d’une discipline et d’une science à l’autre. Le dispositif, le processus, peut-être que la nature même du travail scientifique changent selon que l’on est dans la recherche en sciences humaines, ou en sciences de la vie, ou en mathématiques, ou en astronomie, ou dans telle autre discipline. La très grande diversité des situations qui caractérisent la recherche et ce qui l’entoure dans ces différentes sciences me fournit mon premier argument pour défendre ce qui m’apparaît de plus en plus nettement comme la nécessité urgente de restructurer et réformer radicalement l’ensemble du paysage institutionnel français dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je crois par exemple, pour aller droit au but, que le CNRS est, de toutes les espèces de dinosaures, l’une des plus inadaptées au 21ème siècle. Son extinction aurait du se produire depuis un certain temps si nous ne bénéficions en France d’un micro-climat propice à la préservation des institutions fossiles. En effet, considérer que toutes les disciplines scientifiques, de la microbiologie à l’histoire médiévale, sont justiciables de la même structure administrative et de contrôle, reviendrait à créer par exemple un Ministère des Postes et de la Justice, ou bien un Département des Forces Armées et de la Culture. Et pourtant, nous avons besoin d’un CNRS. La démolition de la recherche française, que ce pays va payer très cher, n’est pas seulement dûe à un manque scandaleux de moyens. Elle est aussi dûe à des institutions inadaptées, à de mauvaises habitudes, à un mauvais fonctionnement, à une mauvaise répartition des moyens. Il nous faut des sous, certes, mais il nous faut aussi changer de mode de fonctionnement. Notre système, je crois, est réellement malade. Dans cette note, je ne tenterai nullement de couvrir l’ensemble des causes de cette maladie. D’autre l’ont fait, ou le font, notamment le rapport Kourilski et le « comité Beaulieu-Brézin ». Je me contenterai de dire mon sentiment sur cette pièce centrale de tout le dispositif de recherche qu’est le Comité National, et ce que j’en connais pour avoir été membre de sa section 38 et pour avoir passé 30 ans de carrière sous son joug, ou plutôt, devrais-je dire, sous son regard lointain. Il est clair que les travaux des chercheurs doivent être évalués. Il est clair aussi que cette évaluation ne peut pas être mieux faite que par les pairs et les collègues, eux-mêmes chercheurs scientifiques. Le principe du comité national est donc excellent. Le CN est vraiment au cœur du dispositif et si le cœur a des ratés, le corps cesse de vivre ou du moins va très mal. Or, à mon avis, le travail du CN est mal défini et mal fait (je rappelle que je me base sur ma propre expérience de la section 38 et je préviens tout de suite mes lecteurs qu’aucune de mes observations ne vise une ou des personnes en particulier ; si le travail est mal fait cela est dû beaucoup plus au système qu’aux membres du CN). Il faudrait me semble-t-il 1°) mieux définir ses fonctions, 2°) étendre ses prérogatives, 3°) intensifier son activité.

Le comité national, on le sait, n’est pas le comité du CNRS mais le comité NATIONAL. Comment se fait-il donc que les chercheurs mettons de l’IRD ou de l’EFEO ne soient pas évalués par lui ? Le CN comporte cependant parmi ses membres élus ou nommés des chercheurs de ces institutions. Alors ? Cette première absurdité nous met déjà sur une piste. Mais voyons plutôt comment l’évaluation est comprise et pratiquée et, pour commencer, l’évaluation de quoi ? Si l’on fait la liste des activités auxquelles un chercheur est censé s’adonner, nous savons qu’elle est assez longue et comporte notamment l’administration et l’encadrement, la diffusion de la connaissance, de nombreuses tâches d’évaluation, d’administration, d’organisation. Concrètement, quand, dans la même année, on organise un colloque d’une certaine taille, qu’on gère une équipe et que l’on dispense un enseignement en DEUG ou en licence, qu’on fait en même temps partie de deux ou trois comités d’évaluation avec production de rapports, et qu’enfin on participe à plusieurs jurys de thèses avec lecture de pavés à l’appui, sans compter bien sûr les séminaires, on n’a plus tellement de temps à consacrer à la recherche pure. Il est donc juste de faire entrer ces activités indispensables dans l’évaluation du chercheur. Mais ces activités d’accompagnement doivent-elles être mises sur le même plan que l’activité de recherche pure ? A mon avis, non. La raison en est qu’un chercheur se définit justement par son activité de recherche pure et que sa valeur doit être mesurée à la qualité, l’excellence, la justesse, la nouveauté productive de cette activité et de cette activité seulement. Les autres activités entrent dans l’évaluation mais pas au même titre. Quelles sont les caractéristiques de cette activité ? Je ne suis pas le seul à dire que par définition la recherche est élitaire, compétitive et réclame l’excellence. Il ne suffit pas de bien jouer au piano pour être un soliste et jouer avec de grands orchestres. Il faut être un des meilleurs parmi les meilleurs musiciens vivants. L’activité de recherche a pour finalité de découvrir ce que d’autres n’ont pas vu, de mieux comprendre des phénomènes que d’autres n’ont pas pu expliquer, de trouver des hypothèses plus justes que celles proposées jusque là. Faire avancer la science c’est vouloir être meilleur. Voilà de quoi scandaliser les gardiens du temple de la médiocrité et les moralisateurs. On peut peut-être comparer la recherche à un sport de compétition, bien que ce ne soit pas à des jeux de somme zéro que nous avons affaire, et les chercheurs ne souhaitent pas l’élimination de leurs collègues. D’une certaine façon tout le monde gagne et tout le monde perd, mais nous restons dans le débat d’idées, dans la confrontation intellectuelle, dans la critique. On peut aussi songer à une métaphore du chercheur comme « artiste ». Quoi qu’il en soit, il y a dans la recherche un souhait fondamental d’excellence compétitive. Niveler les chercheurs entre eux par une fonctionnarisation du statut et un avancement à l’ancienneté va à l’encontre de cet esprit. Les modalités d’évaluation de la recherche, donc le travail d’un membre du comité national, doivent tenir compte de ce constat. Le travail d’évaluation scientifique proprement dit n’est pas, contrairement à ce qu’on peut imaginer, un travail administratif. Compter le nombre d’articles publiés, ou de colloques avec communication, l’est, pas la réelle évaluation scientifique car celle-ci EST de la recherche pure. En effet, lire attentivement les travaux d’un/une collègue, en comprendre toute la signification, en saisir l’esprit, la démarche, en évaluer le résultat, est en soi un travail de recherche scientifique. Mais le CN et ceux/celles qui le mettent en place, ne comprennent pas cela . N’ai-je pas appris que les travaux des chercheurs (leurs publications) n’étaient plus envoyés au CN (ça coûtait trop cher ou que sais-je). Le CN aurait-il alors décidé de ne pas évaluer les recherches ? Aucunement. Sur quoi alors évalue-t-on le travail des chercheurs ? Sur des rapports et des rapports de rapports. On énumère des activités. En cela le CN se transforme, j’en ai peur, en une bureaucratie sans cervelle, lui qui devrait être le « cerveau » des cerveaux. Même sans aller jusqu’à ce point d’absurdité, il reste que sans l’examen rigoureux, exigeant, pertinent des travaux, l’évaluation réelle de ceux-ci est nulle et non avenue. Cette lecture, je le répète, est non seulement un travail de réflexion très approfondi, mais également un moyen pour l’évaluateur/trice de renouveler et de faire avancer sa propre réflexion. C’est une activité éminemment productive de connaissances, d’idées, une activité conceptuelle, et donc une activité de recherche. Pour cette raison principalement, je pense qu’il serait utile que les membres du CN soient 1°) plus nombreux, 2°) qu’il consacrent la quasi-totalité de leur mandat à la lecture et à l’examen des travaux des autres chercheurs (ceux dont on leur donne les dossiers), 3°) qu’ils siègent peut-être moins longtemps (deux ans ?) afin de revenir plus rapidement à leurs propres travaux et de faire tourner plus vite la composition du CN. Ils doivent aussi, sans doute, évaluer les autres aspects du travail de leurs collègues, mais cette évaluation est plus administrative que scientifique. Elle peut cependant conduire à conseiller et guider le chercheur, à le soutenir, à l’encourager. Ceci est un autre aspect essentiel et négligé par notre présent mode de fonctionnement. Pour le faire comprendre je vais invoquer ma propre expérience. En 30 ans d’évaluation par ma section je ne me rappelle que de deux et seulement deux rapports qui disaient quelque chose d’important et de vrai me concernant. Les autres n’étaient pas faux ou injustes, ils étaient « administratifs » et superficiels. Dans beaucoup de cas je n’ai même pas reçu le rapport. L’exercice qui consiste à écrire un rapport, long d’une page environ, sur l’activité d’un chercheur, revient dans les circonstances actuelles de fonctionnement du CN à produire un document suffisamment détaillé sur ses activités (nombre d’articles publiés et ce genre de choses) et en fin de compte assez neutre. L’évaluateur, sauf exception, ne se sent pas contraint d’aller au fond des choses et d’entreprendre une lecture vraiment critique des travaux de l’évalué, dans le but par exemple de critiquer sa méthodologie ou de contester ses conclusions. Il pourrait au contraire tenter de montrer que le chercheur a fait preuve d’un exceptionnel esprit de découverte et qu’il pose des questions neuves et essentielles. Il ne suffit pas de le dire, il faudrait aussi -c’est une démarche scientifique-l’établir. Cet exercice n’entre pas dans les devoirs du rapporteur qui se contente en fin de compte d’une évaluation prudente et neutre. Il craint seulement de louer exagérément ou de blâmer à tort et il se rabat sur la partie « administrative » (toujours nombre d’articles publiés, nombre de communications à des colloques, nombre de thèses dirigées, etc.). A quoi devrait servir ce rapport ? Justement à informer l’évalué de ce que l’évaluateur pense scientifiquement de son travail. Cela suppose d’abord qu’on le lui envoie et selon les périodes la section ne jugeait même pas utile de le faire ! Cela suppose aussi que l’évaluateur en pense quelque chose d’intéressant. En tant qu’évalué, je n’ai pas besoin qu’il me dise si c’est bien de participer à trois colloques dans l’année. Je le sais aussi bien que lui. Il devrait servir à m’apporter quelque chose de plus, et pas seulement à moi mais à la communauté. Il faudrait, n’est-ce pas, que ce rapport me profite réellement, m’enseigne quelque chose, m’aide à progresser. Il faudrait donc, il serait vraiment très nécessaire, que le rapport donne lieu à un véritable dialogue, à un véritable partage intellectuel avec l’évalué et pourquoi pas avec d’autres chercheurs. Il faudrait qu’il donne lieu à un suivi. Il devrait servir, en d’autres termes, à ENCADRER le chercheur. Mais cela le CN ne le fait pas. De ce point de vue, le CNRS m’apparaît plus comme un univers glacé, kafkaïen, pas comme une entreprise dont le bon fonctionnement, basé sur la communication, est prioritaire. Le manque général d’encadrement des chercheurs au CNRS est une lacune criante et très dommageable à l’institution. Et c’est le CN qui devrait être l’un des acteurs principaux de cet encadrement, à commencer évidemment au plan intellectuel. Il existe bien d’autres points à corriger, mais je voulais seulement montrer qu’au-delà ou à côté des problèmes financiers, il y en avait d’autres dont la solution ne coûtait pas d’argent mais une meilleure organisation, une meilleure discipline de travail, ce qui implique une réforme de l’institution et au-delà, j’en suis persuadé, de tout le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans notre effort présent pour sauver la recherche entre une part d’autocritique à mes yeux absolument nécessaire. Mais, sans un grand mouvement que les pouvoirs publics appuieraient, la part d’autocritique n’aboutirait qu’à punir et à pas à rénover.