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Où suis-je ?

Par Macdonald, le 29 mars 2004

Je suis chercheur au CNRS depuis trente ans. Actuellement je suis très désorienté. Je pense que c’est l’effet bien connu de la distraction des savants, des rêveurs irresponsables de mon genre. Ainsi malgré mon Bac + 20 (je compte les années de thèse d’Etat) je n’arrive pas vraiment bien à utiliser la machine à laver la vaisselle. Mais cela n’est pas grave car cela ne dépasse pas le cadre domestique. J’ai remarqué cependant plusieurs faits convergents qui commencent à me faire douter plus sérieusement de ma mémoire ou même de ma santé mentale dans le domaine professionnel. C’est pourquoi je vous écris.

J’avais cru en effet (sans sérieusement mettre cela en doute comme j’aurais du le faire en bon scientifique) que j’appartenais au plus grand organisme de recherche français, le CNRS. On m’a même assuré que j’y avais un rang élevé (Directeur de Recherche de 1ère classe). Je savais (croyais savoir plutôt) que j’étais Français et que je vivais en France. C’est vrai que je ne suis pas un économiste et que je m’intéresse assez peu à des questions importantes comme le revenu national, le PIB, le rang de ce pays en tant que puissance industrielle dans le monde, etc. Cependant un ami m’a confié récemment que la France était un des pays les plus prospères du monde et qu’elle tenait même le 4e rang mondial en tant que puissance industrielle. J’en suis resté stupéfait. Et j’ai commencé à douter de moi et de ce que je voyais. J’appelle donc tout lecteur à me rassurer.

J’ai commencé à douter de moi et des préjugés hâtifs que j’avais formés sur ma situation et mon lieu de résidence au début de cette année. Ayant changé d’affectation (c’est-à-dire étant passé d’un labo à un autre récemment) les excellents collègues et le patron de ce labo qui m’ont accueilli nont pu m’offrir pour mon installation, ni bureau, ni ordinateur, ni secrétaire. Mais ils ont pu, il faut être juste, me laisser prendre une ramette de papier pour mon imprimante personnelle. Ayant fait la demande d’assister à un colloque dans un pays voisin de la France (j’appartiens au comité international permanent de cette association de chercheurs) et calculant mes frais au plus juste, j’ai demandé 750 Euros de mission. C’est parce que je suis sans doute tout à fait privilégié qu’on me les a accordés car, m’ont précisé les collègues, je n’avais en fait droit qu’à 615 euros par an de frais de fonctionnement et de déplacement. Je pensais que cette situation était normale au fond. Arrivé en fin de carrière au rang le plus élevé de la plus grande institution française de recherche dans un des pays les plus riches au monde, on a droit à 615 Euros par an en tout et pour tout. Tout allait bien.

Mais comme je suis un vrai scientifique, toujours en train de me poser des questions inutiles et pas rentables, je me suis mis à réfléchir et à comparer ma situation présente avec d’autres que j’ai connues dans le passé. J’ai été ainsi invité il y a deux ans par une université japonaise. Celle-ci m’a offert, pour un séjour de six mois, deux fois le salaire que je gagnais au CNRS. A mon arrivée, un bureau a été mis à ma disposition, avec un ordinateur branché sur l’Internet, une imprimante et tout le confort propice à l’écriture, la réflexion, la recherche. Le staff technique était à ma disposition pour installer mes documents, mes polices de caractère, veiller à la bonne marche du programme anti-virus et ainsi de suite. Deux assistants de recherche s’étaient mis aussi à ma disposition pour mettre au point une présentation Powerpoint. J’avais bien sûr accès libre et gratuit à un très grand fonds documentaire que la bibliothécaire en chef m’a elle-même tout de suite fait visiter. En outre, je bénéficiais d’un crédit de fonctionnement confortable destiné à m’approvisionner en crayons, papier, disquettes, livres, dossiers, etc. En contrepartie de tous ces avantages (il y en avait d’autres non matériels comme de bénéficier de la compétence et de l’attention de mes collègues sur place, certains invités comme moi) que me demandait-on ? A vrai dire, rien, seulement de faire mon travail de recherche, assister occasionnellement à un séminaire, prendre le thé une fois par semaine avec des collègues, et donner une seule conférence.

Le doute me mine voyez-vous quand je commence à comparer ces deux situations. J’en suis arrivé à construire une hypothèse qui me paraît scientifiquement valable. JE NE SUIS PAS EN FRANCE. Peut-être suis-je en Haïti ? au Burkina Faso ? Enfin, dans un pays très pauvre qui ne peut évidemment pas se permettre d’entretenir des chercheurs (songer à inviter un collègue japonais dans les mêmes conditions d’accueil que j’ai trouvées au Pays du Soleil Levant serait une question inconvenante ; imaginer le sort d’un jeune chercheur là où je me trouve est trop stressant pour que je m’y attarde). Présentement je consulte des atlas et des ouvrages d’économie pour déterminer l’endroit où je me trouve. Tout lecteur qui pourrait m’aider à identifier le lieu où je suis, peut-il m’écrire afin de m’aider dans cette recherche angoissante. Merci d’avance.