Contre la création d’un nouveau statut de post-doctorant
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, le 4 juillet 2003Il y a, me semble-t-il autant d’arguments objectifs et/ou rationnels, s’opposant à la création d’un statut de post-doctorants que d’arguments la justifiant, parce que ce débat est essentiellement politique (au sens où celle-ci est l’art de gérer les rapports sociaux). Je suis personnellement très défavorable à une telle évolution, en raison non seulement des conséquences humaines et sociales, mais également pour la qualité de la science. . .
Depuis les années 1980-90, deux phénomènes se sont conjugués pour créer une situation particulière dans les Sciences de la Vie : d’une part l’augmentation massive du chômage, des jeunes en particulier, qui a entraîné une augmentation considérable de la durée des études, d’autre part le développement important des biotechnologies et la pharmacologie qui a orienté de nombreux étudiants vers la biologie. Pour de nombreux laboratoires, cet afflux massif d’étudiants a été perçu comme une aubaine leur permettant de disposer d’une main d’œuvre corvéable, souvent au détriment de la formation. C’est d’ailleurs à cause de ces excès, loin d’être minoritaires, que les écoles doctorales ont été contraintes d’imposer des règles drastiques d’encadrement et de limiter les inscriptions des laboratoires à une seule école doctorale. Bien évidemment, cela s’est traduit rapidement par une augmentation du nombre de candidats au recrutement dans les organismes de recherche, à une époque où le nombre de postes était en diminution. Cette situation d’augmentation des demandes pour un nombre réduit de postes a conduit les commissions chargées de l’évaluation des candidats à établir de nouvelles règles internes de sélection. Alors que, statutairement le diplôme exigible pour le recrutement est la thèse de doctorat, depuis quelques années la plupart des commissions des sciences de la vie ne prennent en considération que les candidats ayant, au minimum, réalisé un stage post-doctoral.
Vouloir aujourd’hui créer aujourd’hui un statut de post-doc, quand les inscriptions en facultés de science diminuent régulièrement, et qu’il n’y a plus assez de candidats étudiants pour tous les stages proposés dans les laboratoires, n’est ce pas chercher à maintenir coûte que coûte dans les laboratoires un volant important de jeunes hors-statuts ? S’agit-il d’entériner une évolution factuelle parce qu’objectivement, la création d’un nouveau statut de post-doctorant apporterait une amélioration à la situation actuelle ? Est-il inéluctable de maintenir cette sélection des candidats au recrutement en imposant un stage post-doctoral ? Il y a, me semble-t-il autant d’arguments objectifs et/ou rationnels, s’opposant à une telle évolution que d’arguments la justifiant, parce que ce débat est essentiellement politique (au sens où celle-ci est l’art de gérer les rapports sociaux). Je suis personnellement très défavorable à une telle évolution, en raison non seulement des conséquences humaines et sociales, mais également pour la qualité de la science.
L’argument le plus fréquemment utilisé est celui de l’indéniable vertu formatrice des stages post-doctoraux. Il n’est pas question de contester l’intérêt d’un séjour à l’extérieur de son propre laboratoire. Mais sur quels arguments restreindre cette nécessité au début de carrière ? Rappelons que jusqu’à la fin des années 60, la grande majorité des chercheurs étaient recrutés dès leur DEA, voire après leur maîtrise. Dans les années 70, le recrutement avait lieu au milieu, au pire à la fin de la thèse de 3ème cycle. Ces recrutements « précoces » (en comparaison avec ce qui se fait aujourd’hui), après au plus 3 années de recherche dans le même laboratoire, ont permis à la très grande majorité des chercheurs, aujourd’hui en position de responsabilité, d’effectuer des stages à l’étranger ou dans d’autres laboratoires (pendant leur doctorat d’Etat ou plus tard), dans des conditions de liberté et de tranquillité concernant l’avenir qui ont très probablement contribué aux profits qu’ils en ont retirés. Aujourd’hui, les statuts officiels des organismes de recherche, imposent aux jeunes chercheurs candidats au recrutement d’avoir réalisé une thèse de doctorat (DEA + thèse, soit 4 à 5 ans d’expérience de la recherche). La durée de cette expérience me paraît largement suffisante, et ceux qui le remettent en question devraient, me semble-t-il, commencer par expliquer en quoi la non-précarité, la stabilité et la liberté dont ils ont bénéficié, sont mauvaises. Autant la démarche scientifique impose l’indépendance entre l’objet de l’expérience et son observateur/concepteur, autant cette même indépendance me paraît problématique dans les démarches intellectuelles visant à définir des formes d’organisation sociale.
L’exigence de ce nouveau statut précaire pourrait-elle être envisager différemment selon les disciplines ? Outre qu’une telle démarche me paraît dangereuse parce qu’elle amplifierait le cloisonnement disciplinaire, j’en comprends mal la justification. Quelle est la logique qui permet de privilégier l’expérience en biologie et la rapidité intellectuelle en maths et en physique ? Est-ce parce que les biologistes sont plus nombreux à souhaiter un recrutement tardif que leurs collègues matheux ou physiciens ? La rapidité intellectuelle est-elle une qualité essentielle de la jeunesse qui n’aurait son importance qu’en maths ou en physique ? Ne s’agit-il pas ici de justifier, à posteriori, une différence factuelle entre les disciplines qui dépend probablement plus de facteurs historiques et sociologiques que d’une nécessité disciplinaire ? De quelle expérience aurait besoin les biologistes qui ne soit nécessaire aux matheux et aux physiciens ? Favoriser l’expérience dans l’insécurité, n’est ce pas aussi, quelle que soit la discipline, apprendre la soumission ? Toutes les disciplines en évolution rapide, ce qui est le cas de la biologie mais pas d’elle seule, favorisent l’émergence de concepts hyper-spécialisés qui nécessitent un apprentissage permanent qui exige vivacité et rapidité intellectuelle. En bonne logique, en continuant jusqu’à l’absurde le raisonnement précédent, pourquoi ne pas promouvoir l’idée selon laquelle il faudrait créer un statut stable pour les jeunes, plus rapides intellectuellement, et instaurer un statut précaire pour les moins jeunes, permettant de sélectionner ceux qui seraient détenteurs d’une expérience profitable à la communauté et/ou encore capables de prendre des risques ?
Sans vouloir diaboliser la position des ultra-libéraux, la précarisation est un des outils permettant d’accroître la productivité et la rentabilité en maintenant les travailleurs dans une position où ils ne peuvent remettre en question ni ce qui est produit, ni les modes de production. C’est quasiment une lapalissade de constater que tout allongement de la durée de travail sous statut précaire (post-doc) permet de diminuer celle sous statut stable ! Plus on recrute tard, plus on diminue le risque d’une mauvaise rentabilité globale du chercheur ! Favoriser l’expérience, dans un contexte où celle-ci est associée à une sélection par les publications, n’est ce pas favoriser l’apprentissage d’une certaine facilité qui consiste à se conformer aux dogmes établis pour publier rapidement ? Comme l’explique très bien P. Joliot dans son article sur « les atouts méprisés de la recherche française », « pour être créatif, un chercheur doit disposer d’un espace de liberté suffisant, et en particulier du droit à l’erreur, s’il ne veut pas se contenter de confirmer d’une manière répétitive les dogmes dominants du moment … le grand nombre d’emplois permanents attribués à des chercheurs et à des enseignants …[a permis aux] … chercheurs d’aborder des sujets à risque en dehors des sentiers battus. » Maintenir un ensemble important de chercheurs hors-statut (qui se doivent d’être productifs avant d’être créatifs), n’est ce pas un moyen de justifier, à contrario, le statut « créatif » des responsables d’équipe ?
Ce nouveau statut de post-doctorant permettrait-il d’augmenter les chances de recrutement d’un certain nombre de jeunes qui seraient éliminés de la course si la sélection était réalisée au sortir de la thèse ? Si une large fraction des jeunes qui ont fait leurs preuves au cours de leur thèse étaient recrutés dès cette étape (CR2, 26-28 ans), le nombre de candidats postulant plus tardivement parce qu’ils ont réalisé un parcours plus complexe serait plus faible. Le système actuel permet ces recrutements plus tardifs, soit au niveau CR2 après post-doc mais avant 30 ans, soit au niveau CR1, voire même au niveau DR. Les deux types de parcours seraient clairement séparés ce qui limiterait peut-être la course infernale qui consiste à augmenter les années de post-doc pour augmenter le nombre de publications.
Aucun argument ne paraît décisif, ni objectivement, ni rationnellement. Puisque deux raisonnements permettent d’aboutir à des vérités contradictoires, la démarche scientifique voudrait y voir la preuve que l’un est faux. Comme souvent dans ce genre de débat, l’objectivité est relative. Comment éviter de ne prendre en compte que les critères permettant d’arriver à ses fins ? Et si, au lieu de chercher à convaincre nos jeunes collègues du bien fondé des choix qui on été faits par le passé, nous recherchions avec eux, sans démagogie, aux moyens de faire évoluer ce système pour qu’ils n’en soient pas les seules victimes.