Simplifier, décloisonner et dynamiser la recherche publique
par Henri Audier
Par
, le 3 avril 2004Ce texte n’est pas une "bible", un "contre-projet", ou des propositions "à faire passer", mais une aide à tous ceux qui veulent poser les problèmes dans leur généralité. Tant mieux si le débat conduit à formuler d’autres propositions et à critiquer ce texte.
1. Refuser le pilotage scientifique au niveau politique
Redonner tout son rôle, mais que son rôle, à un grand ministère de la recherche
Il faut redonner son rôle d’impulsion et de coordination de toute la recherche française à "un grand ministère" (d’Etat ?) qui devrait réunir enseignement supérieur, recherche et technologies. Son rôle serait de traduire les besoins économiques, culturels et sociaux, en termes d’objectifs de recherche, y compris par la détermination des montants à mettre dans telle ou telle priorité. Il serait indispensable que la LOLF (loi organique de lecture des finances publiques), qui divise en programmes les dépenses de l’Etat, ne place pas dans des programmes différents, l’enseignement supérieur, la recherche et la technologie.
Par contre, comme il est discuté dans la suite, il convient d’ôter au ministère son rôle de super-organisme gérant des fonds considérables et créant des cloisonnements supplémentaires dans un système qu’il faut simplifier. La solution d’une Agence centrale, imaginée par le gouvernement pour masquer ce pilotage scientifique au niveau politique, reviendrait à pérenniser, sous une autre forme la situation actuelle, tout en créant une stratification supplémentaire. Elle est donc à rejeter.
Passer directement de l’Europe aux régions ?
En l’état actuel de l’Europe, est-il souhaitable, voire réaliste, d’avoir une politique passant directement de l’Europe à l’échelon "grands campus régionaux", en sautant le niveau national. La réponse à ces questions est clairement et totalement non, même à l’horizon d’une décennie. L’utopie d’une Europe ayant une politique globale et se basant sur de "grandes régions" n’est pas pour demain, que l’on soit pour ou contre cet objectif. En matière scientifique, ni l’Europe (surtout à 25), ni les régions, ni la plupart des universités ne sont prêtes pour cela, sans doute pour au moins une décennie, même s’il convient de progresser sur le contenu à donner à la dimension européenne. Il convient donc d’avoir une politique nationale, ce qui ne se confond pas avec une vision jacobine et centralisatrice.
Faut-il une politique nationale de recherche ?
Une politique de la recherche peut-elle n’être que la résultante de l’addition des politiques des universités, fussent-elles "grandes", pluridisciplinaires et démocratiques ? Ces préalables réalisés, et ils peuvent l’être partout en quelques années, la nécessité d’une politique nationale demeure. Même si les universités peuvent y contribuer fortement, elles ne peuvent ni ne doivent l’assurer seules.
La première raison est que les universités, dans le cadre de leur mission de formation, doivent rechercher à renforcer le lien enseignement recherche. Pour fondamental que soit cet aspect, il n’y a pas de relation univoque entre les besoins en recherche et en enseignement. Des "priorités" correspondant à des besoins de la société sont à mettre en œuvre. C’est à partir de besoins, dépassant ceux de l’enseignement, qu’ont été créés le CEA, le CNES, l’INSERM ou l’INRA. De plus, la réactivité à l’émergence d’une thématique ou d’une discipline est plus impérative pour la recherche. L’évolution des poids relatifs des grandes disciplines ou des champs pluridisciplinaires ne peut, non plus, résulter seulement d’une politique régionalisée. Ainsi, depuis dix ans, le rôle du département de chimie du CNRS a été déterminant pour placer un grand nombre de laboratoires en interaction directe ou en amont de la biologie, de la médecine ou de l’environnement.
La deuxième raison est qu’à juste titre, les universités ont un fort ancrage régional. Si elles doivent être ouvertes sur les besoins de formation, de culture, de recherche et d’innovation de leur région, elles ne peuvent répondre spontanément à un besoin national.
Il convient donc qu’il y ait aussi une politique nationale. Pour celle-ci, il est bien préférable, y compris pour les universités, qu’elle soit coordonnée par les organismes que par le ministère.
Réduire les orientations de recherche à celles d’universités sous la coupe du ministère ?
Des projets visant à limiter la recherche à quelques "grands pôles universitaires" à ceux renforçant le pilotage scientifique par le ministère, tous visent à supprimer ou à limiter le rôle des organismes dans la politique scientifique nationale. La conséquence serait de laisser en tête à tête chaque université et le ministère, ce qui permettra à celui-ci d’imposer d’autant mieux ses thèmes prioritaires qu’il sera en même temps le bailleur de fonds. Un tel schéma favoriserait, de plus, l’accroissement du financement contractuel par le ministère, ou une "Agence" dépendant en fait de lui, au détriment du financement récurrent sur la base de la qualité scientifique. Ni l’Europe, dont les thèmes restent globalement très finalisés, ni la région, qui effectue avec d’excellentes intentions une pression pour une recherche répondant aux besoins locaux, ne pourront servir de protection pour les recherches à long terme.
Repenser le système
Le rôle des organismes dans la politique scientifique est donc aujourd’hui l’une des garanties assurant l’autonomie des universités. Dans le cadre des missions de chacun, ils doivent préserver la recherche liée au progrès des connaissances. Il n’en reste pas moins que le nombre d’organismes est excessif, que le cloisonnement reste trop grand et l’interaction avec les universités est trop floue.
Du passé on ne fait pas table rase. Pour améliorer fondamentalement le système, point n’est besoin de le détruire, renvoyant par là-même à cinq ans des réformes importantes, immédiatement réalisables ou pouvant être progressivement effectuées sur quelques années, le cap étant fixé.
2. Développer une politique commune de la recherche publique
Penser globalement le rôle de recherche publique
Une étape, réalisable rapidement, est de mettre en œuvre une politique scientifique commune des organismes de la recherche publique et des universités. Cette politique commune devrait s’illustrer par une conférence annuelle en juillet des directions d’organismes (et de départements du CNRS) et d’un nombre égal de présidents d’université proposés par la CPU. Cette conférence pourrait notamment discuter l’évolution de la répartition par grandes disciplines des emplois ouverts au prochain budget. Dans la suite de ce texte, plusieurs mesures complémentaires entre elles, tant nationales que locales sont proposées
:
aller vers une réduction du nombre des organismes,
décloisonner notre système public,
créer des programmes fédérateurs dans la recherche publique en lieu et place du FNS et du FRT,
promouvoir par grands campus une symbiose entre organismes et universités,
fondre les sections du Comité national et les sections scientifique des divers EPST en une instance d’évaluation scientifique commune, dans la quelle les universités pourraient aussi se reconnaître.
Aller vers une révision du nombre et du contour des organismes ?
Il est souhaitable, de réexaminer de temps à autre les missions, le nombre, les contours et les coopérations des organismes, qui ont souvent été créés, depuis 1945, en fonction de besoins qui ont évolué depuis lors. Le problème est de savoir selon quels principes et quelles méthodes ces problèmes vont être traités, sans affaiblir globalement le potentiel scientifique. Il appartient aux secteurs directement concernés de proposer, y compris les étapes menant à une fusion éventuelle. Pour donner des pistes, avec toute la prudence nécessaire même pour un texte interne, est-il absurde de faire de l’INRETS et du LPPC un même EPST ? Faut-il faire de l’INED un institut du CNRS ? L’INRA et le CIRAD, qui travaillent déjà ensemble, ne pourraient-ils fusionner ? Et pourquoi pas aussi avec le CEMAGREF ? Est-il sacrilège de s’interroger sur la dualité SDV-CNRS/INSERM ? Comment réaliser ces rapprochements sans créer d’autres types de cloisonnements et sans perdre le fantastique apport du CNRS dans la pluridisciplinarité ? Quelles que soient les insuffisances de cet organisme en ce domaine, elles ne peuvent masquer que depuis un demi siècle, c’est dans celui-ci que les progrès ont été les plus grands, comme en témoigne le nombre de laboratoires ou de chercheurs en chimie, physique, informatique ou du secteur SHS qui travaillent en amont de la biologie, de la médecine ou de l’environnement, ou en relation directe avec ces champs ? Comment aussi éviter que des regroupements ne conduisent à des organismes très finalisés, mettant par la même en cause le progès des connaissances, qui a sa dynamique propre ?
Certaines recherches de base ne correspondent plus aux missions d’un organisme. Vouloir les maintenir à tout prix, risquer leur mort lente, est plus dangereux que de rechercher une solution "en biseau", faisant passer progressivement ces recherches sous la tutelle d’un autre organisme.
Un problème particulier est celui des sciences sociales, où existe un grand nombre d’organismes de taille modeste ou de financement contractuels directement liés à un ministère, et émargeant souvent au BCRD. Il n’est pas évident que cette parcellisation soit la meilleure pour l’efficacité et qu’elle correspondent à un ratio optimal entre recherches de base et recherches finalisées. D’une manière plus générale, comment éviter qu’on ne réduise le secteur SHS à la réponse à des demandes sociales ou à ses interactions avec les sciences dites exactes, sans considérer que la connaissance et la culture sont aussi des besoins sociaux ?
Pour une politique décloisonnée de la recherche publique
Sortir du cloisonnement entre organismes implique de développer une politique commune entre ceux-ci, dans le cadre des missions de chacun, en symbiose avec les universités. Cela suppose de créer par grands secteurs une coordination étroite, impliquant les directions et les instances scientifiques des organismes concernés. On pourrait généraliser à l’ensemble des organismes la notion de "d’organisme fédérateur" pour certains domaines, comme pourrait le faire l’IRD pour les recherches sur le développement. La coordination inter-organisme existant en Sciences de la vie devrait donc être renforcée et élargie à plusieurs secteurs. Dans cette optique, il convient de développer les laboratoires communs et les infra-structures nécessaires (mais en les plaçant sous la tutelle d’un seul organisme), favoriser la mobilité volontaire croisée entre organismes, ouvrir systématiquement les GDR, programmes ou actions interdisciplinaires d’un organisme à d’autres, et surtout élaborer une prospective commune.
Les universités les plus concernées pourraient être impliquées dans les coordinations thématiques. La présence d’un représentant de la CPU dans les Conseils d’administration des grands organismes, comme cela est déjà le cas pour le CNRS, serait chose utile. Inversement, si les représentants locaux des grands organismes étaient des scientifiques, ils devraient participer, fut-ce comme observateurs, aux Conseils scientifiques des universités.
Créer des "Programmes fédérateurs inter-organismes" avec les fonds ministériels ou "d’Agences"
Renforcer la synergie entre ses différentes composantes doit se faire tout en faisant l’économie d’un pilotage scientifique au niveau politique. Des "Programme fédérateurs" placés sous la responsabilité scientifique commune des organismes concernés, la gestion financière étant assuré par l’un d’eux, pourraient être créés. Ces programmes seraient alimentés par les financements actuels du Fonds National de la Science (FNS), le Fonds de la Recherche et de la Technologie (FRT), ou autres "fonds ministériels" ou "Agences", pourraient être complétés par des donations. Contrairement à la situation actuelle, une telle conception permettrait d’assurer une cohérence entre emplois et crédits, de mieux intégrer les actions prioritaires dans une politique pluridisciplinaire, et de les évaluer à la fois au travers de l’évaluation des formations et globalement.
Ces "programmes fédérateurs" auraient un Conseil scientifique, largement ouvert à des scientifiques étrangers, désignés par les directions d’organismes et les instances scientifiques. Ils détermineraient les voies et moyens d’atteindre les objectifs, organiseraient d’éventuels appels d’offre, développeraient la prospective, ou décideraient de l’association des partenaires privés. Le partenariat entre ces programmes et les universités concernées pourrait aussi être un moyen d’action.
Un Comité National de la Recherche Publique
Il est proposé de regrouper toutes les sections scientifiques des EPST en un grand Comité National de la Recherche Publique. Il aurait le même rôle et des principes de composition identiques à ceux des instances actuelles. Une même section pourrait alors évaluer des formations et des chercheurs d’organismes différents. Cette proposition entre dans la perspective d’une recherche publique décloisonnée, simplifiant l’évaluation de labos communs, voire même d’actions incitatives inter-organismes. N’étant lié à aucun organisme, les universités pourraient mieux se reconnaître dans cette instance. Celle-ci pourrait donc évaluer aussi les unités propres universitaires.
Universités et organismes : des missions à la fois complémentaires et différentes
Les universités et les organismes ont des missions communes de recherche, de formation, de valorisation et de diffusion de la culture scientifique, qu’ils doivent organiser ensemble chaque fois que possible : c’est le sens des propositions du prochain paragraphe qui donnent un vrai pouvoir aux universités dans leurs négociations contractuelles avec les organismes.
Ce n’est pas une raison pour limiter le rôle des organismes à celui "d’Agences de moyens". Ils ont certaines missions spécifiques qui n’intéressent pas toujours les universités ou qui peuvent ne pas coïncider avec leur politique. Cela est évident pour la dominante des recherches des EPIC ou des EPST finalisés. Mais cela peut l’être pour le CNRS et l’INSERM, qui ont le devoir à la fois de préserver le progrès des connaissances, mais aussi d’avoir une politique scientifique dont il se peut qu’elle ne s’identifie pas toujours à celles des universités. Les organismes doivent donc garder une marge d’intervention spécifique, y compris au travers de formations propres. La seule condition est, qu’au travers de grands campus, EPIC et labos propres d’EPST restent en interaction avec les universités, notamment en matière d’innovation et de transfert.
3. Promouvoir une symbiose organismes- universités
Ne pas réinventer l’eau tiède
A entendre certains, les organismes et les universités seraient deux mondes qui s’ignorent. Rappelons d’abord que les enseignants-chercheurs sont plus nombreux que les chercheurs dans les laboratoires des EPST, qu’ils sont souvent plus nombreux que les chercheurs parmi les dirigeants d’organismes, qu’il y a autant d’universitaires que de chercheurs comme directeur d’unité ou comme membres des instances d’évaluation. Inversement, comme le soulignait une tribune libre d’anciens présidents d’université (Le Monde du 20 mars), "la grande majorité des chercheurs des EPST travaillent dans des laboratoires communs avec les universités, (...) plus de 85 % des unités de recherche du CNRS sont communes avec les universités".
La création des "équipes associés" il y a 35 ans, puis celle des UMR il y dix ans qui donnait les mêmes droits et devoirs aux deux tutelles (organisme(s) et université), ont constitué des étapes capitales ; les directeurs d’UMR ont de plus en plus conscience de ces deux tutelles. Une étape pourrait être franchie en associant plus de formations propres des universités à un organisme de recherche, permettant par la-même leur évaluation et leur insertion, tout en demandant aux EPIC de renforcer leur politique en ce sens.
Quelles universités et combien ?
Pour aller vers une symbiose entre organismes et universités, les facteurs limitants ne relèvent pas des organismes mais d’abord des universités elles-mêmes, des modes de gestion qui leurs sont imposés et de la lourde tutelle ministérielle. Le découpage actuel des universités et leur nombre est actuellement, dans de nombreux cas, un obstacle à l’élaboration d’une politique de l’université, dont la recherche doit être une composante importante. Il conviendra localement de discuter de ce problème, qui du reste devrait se résoudre par étapes avec la création de réseaux ou de pôles permettant de couvrir de larges champs pluridisciplinaires. Cela doit aussi être le moyen pour intégrer mieux les grandes écoles dans le système universitaire et de progresser plus vite dans voie de la complémentarité. Avec la condition, bien sûr, qu’au nom de "l’excellence internationale", on ne transforme pas la moitié des régions en déserts.
La capacité des universités à définir une politique est un autre problème pour lequel la situation est très différentielle. D’une manière générale, il convient de développer fortement la démocratie au sein des universités, par le rôle central d’un Conseil scientifique largement ouvert vers l’extérieur : scientifiques venant d’autres université, d’organismes, d’autres pays ou de la recherche privée, société civile, etc. Son rôle étant capital notamment pour la discussion sur la politique générale, sur les plans Etat-régions, sur le contenu de la contractualisation avec les organismes, sur l’attribution des BQR (ou ce qui en tiendra lieu), etc... Il conviendrait aussi que les chercheurs trouvent toute leur place, par un collège électoral spécifique dans les instances universitaires (CA,CS), comme dans les commissions de spécialistes.
Quelle tutelle du ministère ?
Si les universités sont autonomes en apparence, elles n’ont que très peu de latitude en matière de recherche du fait que c’est le ministère qui décide les dotations labo par labo mais aussi, en dernière analyse, le contenu du plan Etat-région. Il est souhaitable que le ministère donne à chaque université une dotation globale pour la recherche, leur donnant ainsi une parité dans leurs négociations avec les organismes. Ce transfert financier pourrait se faire progressivement en fonction la capacité des universités à élaborer, réaliser et faire évaluer une politique.
Dans cette perspective, les universités devraient aussi disposer d’un nombre suffisant d’IATOS pour pouvoir non seulement faire face aux besoins de l’administration et de l’enseignement, mais aussi pour qu’il y en ait dans les laboratoires et pour faire fonctionner les appareillages lourds et mi-lourds communs. Cet effort repose trop souvent sur les EPST, et surtout sur le CNRS.
Quels campus ?
Dans la perspective d’une recherche publique décloisonnée et d’universités rénovées, les universités devraient jouer, localement voire régionalement, un rôle fédérateur beaucoup plus important dans le cadre de "campus". Cette option implique que les échanges de scientifiques se renforcent et que les universités développent leurs relations avec les laboratoires des EPST voire des EPIC dans leur périphérie géographique, en encourageant une fraction des enseignants-chercheurs à y faire leur recherche et une partie des chercheurs de ces unités de recherche à contribuer à l’enseignement. Si cette notion de "grand campus" est fréquente en biologie, elle est plus rare dans d’autres disciplines. C’est aussi au niveau des campus qu’universités et organismes doivent favoriser ensemble, et non en concurrence, le transfert, la valorisation et la création de PME technologiques.
Dans la mise en œuvre d’une politique nationale de recherche, c’est sur le terrain et donc au niveau local, qu’on peut le plus facilement pratiquer le décloisonnement entre organismes, favoriser la pluridisciplinarité et l’émergence de jeunes équipes, développer le lien enseignement-recherche et les échanges chercheurs-universitaires, impulser l’innovation et le transfert des connaissances. Ce schéma implique qu’au niveau local, les représentants des organismes se coordonnent mieux (pourquoi pas une "maison des organismes" ?) pour dialoguer avec les universités et que le représentant local ou régional (suivant le nombre d’universités dans la région) soit un scientifique ayant une réelle marge de manœuvre en restant dans le cadre de la politique de son organisme.
Quelle contractualisation ?
La contractualisation doit être le moment où doivent être conciliées la politique des universités avec la mise en œuvre concrète et locale de la politique nationale des organismes, chacun assurant sa partie de financement et d’investissement humain.
Mais une condition préalable à ces propositions, c’est de mettre fin, tant au dans les organismes que les universités, aux conceptions technocratiques et managériales qui sont formes modernes de l’autoritarisme, qui visent à faire tout décider par une petite poignée d’experts ou de dirigeants, pour ensuite juger les laboratoires, non d’abord sur la qualité des recherches, mais sur leur "évaluation stratégique", à savoir la conformité avec les décisions des experts.
Bien au contraire, la contractualisation doit être l’occasion pour "responsabiliser" les scientifiques en donnant la parole aux laboratoires et à tout leur personnel. La contractualisation doit être précédée d’un large débat à la base déterminant les fusions ou modifications de contours des formations, des thématiques et des synergies à mettre en œuvre.
La place de la région
L’évolution vers un poids régional plus grand dans le financement et l’élaboration de la politique scientifique devrait s’accompagner de modes de consultation et de concertation à ce niveau et implique de redonner leur rôle aux conseils régionaux de la recherche (C2R2DT, qui sont souvent moribonds) notamment pour l’affectation des crédits régionaux et l’élaboration des plans Etat-région. Il est certain que le rôle de la région sera très différent suivant qu’elle implique un seul campus ou plusieurs (Région parisienne, PACA, Rhône-Alpes, etc.)
4. Faire du laboratoire la base de la production scientifique
Politique de projet ou de programme de travail ?
L’objectif du gouvernement est aujourd’hui de passer d’une culture de laboratoire (ou d’unité) à une culture de "projets", jouant sur l’ambiguïté du terme. Il existe quatre différences fondamentales entre les "projets" que les scientifiques proposent dans leur rapport d’activité ou lors de l’association de leur laboratoire, que nous appellerons dans la suite "programme de travail", avec le développement de contrats sur "projet" voulu par le gouvernement. Dans le premier cas l’initiative est aux scientifiques, le programme s’inscrit dans la durée, même s’il s’infléchi au cours du temps, son l’évaluation est collective par une instance nationale, il s’effectue d’abord avec des personnels statutaires. Dans le deuxième cas, les projets doivent s’inscrire dans les thèmes des appels d’offre, ils sont de durée limitée, évaluée par des "experts" et réalisés d’abord par des CDD : "550 "contractuels de 3 à 5 ans, qui visent à faciliter les recrutements sur la base de projets (...) pour réorienter les recherches vers les besoins prioritaires" a pu écrire Claudie Haigneré.
"Un éternel demandeur est éternellement docile"
Considérer que le laboratoire doit rester la base de production scientifique ne signifie pas qu’il n’y ait plus de contrats : l’Europe a choisi pour le prochain PCRD de développer les appels d’offre pour mettre en concurrence les laboratoires de différents pays, les contrats avec le privé ou les régions demeureront et les "programmes fédérateurs" comporteront des appels d’offre.
Une politique de "projets" par appel d’offre, par construction, se situe dans les thématiques "prévisibles". Elle s’oppose donc aux thématiques émergentes ou originales et la prise de risque. Le problème est donc de savoir si on va continuer à infantiliser les scientifiques, à leur apprendre à surfer sur les modes, à bien rédiger les appels d’offre, fût-ce en faisant appel à des officines privées spécialisées, ou si on va faire appel à leur compétence, leur responsabilité et leur initiative. Cela suppose que la part des crédits récurrents, distribués sur la seule base de la qualité des recherches, redevienne nettement dominante.
Le laboratoire, une solidarité humaine et scientifique
Le laboratoire (ou unité) doit donc rester le lieu de la production scientifique. Il ne doit pas y avoir de dogme sur sa taille ou son mode d’organisation ce d’autant que le mode de production scientifique dépend de la discipline. En ce sens, le regroupement forcé envisagé, et qui est mis en œuvre en SHS au CNRS, est une aberration pour laquelle il faut un moratoire.
Le laboratoire doit avoir une unité scientifique minimale et est porteur d’un programme de travail à moyen terme. Ce programme, élaboré collectivement, évalué par le comité externe du laboratoire puis par l’instance nationale d’évaluation lors de la contractualisation, doit faire l’objet d’une négociation avec les tutelles quant aux moyens qu’elles assurent pendant quatre ans. C’est aussi à ce niveau que s’exerce d’abord l’évaluation a postériori.
Cette conception peut respecter parfaitement l’autonomie des équipes (pour lesquelles un équipement spécifique peut être prévu dans le contrat) par leurs coopérations au sein de GDR ou avec la mise en commun de moyens et de thèmes au sein d’IFR, de fédérations d’équipes ou de campus. Ce sont ces derniers cadres qui doivent offrir de larges possibilités de mobilité, d’évolution des thèmes, de redéploiement en faveur de thématiques émergents, de recomposition des unités.
5. Rendre le système plus réactif Jeunes équipes et thématiques émergentes : des souplesses à introduire
La contractualisation ne doit pas figer la situation pour quatre ans. Sous cet aspect, des procédures du genre ATIPE ou "nouvelles équipes" doivent être maintenues et améliorées en les intégrant mieux dans une logique de laboratoire. On pourrait même aller plus loin en donnant un "crédit d’installation" à un CR1 ou un MC confirmé, nouvellement recruté, sachant que le souhait de la majorité des "entrants" est de rejoindre une équipe qui marche.
La limitation de ces procédures souvent l’obtention rapide du potentiel humain pour aider au démarrage d’une thématique émergente, même si des redéploiements locaux peuvent y contribuer. Il conviendrait que l’instance scientifique propose de donner un "joker", utilisable un ou deux ans, avec lequel pourrait être recruté pour deux ans, un ATER, un "stagiaire de recherche" (ATER d’organisme de thèse à thèse plus deux), un CIFRE post-doc (voir propositions sur ce sujet), un jeune scientifique en accueil, étranger ou venant de la recherche privée. La solution de l’accueil d’un universitaire à mi-temps devrait être soumise au préalable à l’instance d’évaluation. Sous cet aspect, s’il convient d’éviter le système des CDD, il convient par contre d’augmenter les capacités d’accueil des organismes et universités, qui sont très insuffisantes.
Responsabiliser les scientifiques
Comme dit plus haut, la réactivité scientifique ne se mesure pas à la vitesse d’opportunisme pour s’insérer dans des thématiques décidées technocratiquement ou autoritairement. Elle doit relever d’un énorme effort de prospective, partant des laboratoires et remontant vers les organismes. C’est le seul moyen pour détecter très tôt des thématiques émergentes internationalement. Plutôt que de créer des instances supplémentaires pour faire cette prospective comme le suggère le rapport du DG du CNRS, mieux vaudrait adjoindre, auprès de chaque section scientifique, une commission à cet effet placée sous la responsabilité de membres de la section. Les Conseils scientifiques d’organisme ou de département devraient faire les synthèses nécessaires, en organisant les recoupements voulus, à condition que ces instances soient, certes largement ouvertes à des scientifiques extérieurs, mais indépendants par leur composition du pouvoir politique et des directions d’organismes.
Débureaucratiser, assouplir la gestion
C’est d’abord diminuer le nombre de formulaires d’appel d’offre et de projets à remplir pour obtenir des moyens, d’accroître les crédits récurrents, de verser en début d’année tous les financements d’Etat au laboratoire (dotation, appels d’offre) et avoir le droit à des "reports" en les justifiant. Le nombre des tutelles pourrait se limiter à un organisme et une université, même quand des personnels de plusieurs organismes sont présents dans la formation.
D’autres aspects visent à assouplir les méthodes de gestion qui doivent être partout performants : applications aux universités de la procédure souple des marchés faisant de chaque directeur de labo " personne responsable des marchés", simplifier les circuits des bons de commande en évitant de faire le travail en double, avoir un logiciel commun de gestion à tous les organismes et les universités, pouvoir passer des commandes toutes l’année y compris en décembre et janvier.
Enfin il faut mettre en commun au niveau d’un campus de tout ce qui peut l’être : valorisation, diffusion de la culture scientifique, voire même la gestion des unités mixtes. Le but n’est pas "d’économiser" des ITA ou des IATOS, ou de les exploiter, mais de leur faire remplir des travaux plus utiles, notamment dans les laboratoires.
H.E. Audier, 30 mars 2004