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Interview de Philippe Pouletty, président du Conseil Stratégique de l’Innovation

Par Alain Trautmann, chercheur à l’Institut Cochin

le 7 juillet 2003

Ce printemps, le CSI a transmis au gouvernement un ensemble de préconisations relatives à la réforme de la recherche publique en France. Il est très regrettable que ce texte n’ait toujours pas été rendu public. En attendant sa publication, en voici les grandes lignes, données par le président du CSI. J’espère que ces préconisations amèneront des réactions, des commentaires et des contre-propositions.

Le gouvernement prépare pour fin 2003 une série de mesures visant à modifier les structures de l’appareil de recherche français. On en ignore la nature exacte. Certaines au moins pourraient s’inspirer d’un ensemble de mesures préconisées par le Conseil Stratégique de l’Innovation (CSI), présidé par le médecin-entrepreneur Philippe Pouletty, fondateur de plusieurs start-ups. Le CSI, dont la composition est donnée en annexe, comprend des dirigeants de start-ups, des capital-risqueurs, des scientifiques comme Jean-Pierre Changeux et des responsables d’organismes scientifiques à titre personnel dont Geneviève Bergé (CNRS), Christian Bréchot (Inserm) et Marion Guillou (INRA). Depuis plusieurs semaines j’ai cherché à me procurer le document synthétisant ces préconisations, mais le CSI continue à différer sa publication. Faute d’avoir ce document, il était possible d’obtenir des informations de première main auprès de P. Pouletty, que j’ai interviewé le 1er juillet 2003. Ce texte a été relu et amendé par l’intéressé.

En préambule, P. Pouletty tient à rappeler ce qu’est le CSI.

PP : Le CSI est une sorte de think tank indépendant regroupant des praticiens de la recherche, des entrepreneurs, des économistes, des acteurs de l’économie innovante, ayant fait le constat que la recherche et l’innovation ne sont pas des priorités en France depuis au moins quinze ans. Nous avons donc, pour pouvoir poser un diagnostic, lancé un certain nombre d’études, avant de passer à des propositions destinées à être présentées aux décideurs politiques. Plusieurs membres de cette association ont commencé à oeuvrer avant même la création du CSI, et ont proposé des mesures qui ont été adoptées respectivement par Dominique Strauss-Kahn (sur le statut des Sociétés par Actions Simplifiées) et par Laurent Fabius (sur des mesures en faveur de la biotechnologie), et par le gouvernement actuel sur le statut des Jeunes Entreprises Innovantes, qui devrait être voté par le Parlement à l’automne.

AT : Quelles sont les principales recommandations proposées au gouvernement ?

PP : Elles concernent 4 points portant (1) sur les moyens et objectifs de la recherche publique (2) sur les agences de moyens (fondations nationales de recherche) (3) sur les pôles d’excellence et (4) Sur la flexibilité dans les carrières de chercheurs.

Sur les moyens, nous insistons sur la nécessité d’une augmentation importante des ressources financières affectés à la recherche publique, tant fondamentale qu’appliquée. Si l’on veut pouvoir soutenir la compétition avec les USA, il faut prévoir un doublement des moyens affectés à la recherche publique en 5 ans. Dans la période récente, l’évolution des crédits affectés à la recherche publique place la France en mauvaise position en Europe, puisque sur 10 ans, la progression des dépenses de recherche publique et privée a été inférieure à 10% alors qu’elle est de 40 à 60% pour les pays européens les plus dynamiques ainsi que pour l’Amérique de Nord. Il faut inverser cette tendance si l’on veut tenir l’objectif de 3% du PIB réaffirmé récemment par la France pour 2010. La Jeune Entreprise Innovante va tout à fait dans le sens souhaité. Par contre, ces mesures prises au cours du premier semestre 2003 sur la rech pub ne vont pas dans ce sens.

Les fondations nationales de recherche seraient d’utilité publique et fonctionneraient comme des agences de moyens ayant pour but de collecter de l’argent et de le redistribuer de la meilleure façon possible aux laboratoires de recherche publique (CNRS, INSERM, Universités, etc..). Cette distribution se ferait sur la base de l’excellence scientifique des projets, après évaluation par des pairs, avec des experts internationaux. Les contrats correspondraient à des montants importants, et permettraient un financement sur plusieurs années, pour éviter la multiplication des demandes de petites sommes. Le processus d’évaluation devrait être transparent, avec publicité de la liste des membres du comité d’évaluation, de la liste des bénéficiaires, voire des conclusions des rapports. Les fondations couvriraient de larges secteurs. Il pourrait y avoir par exemple une fondation ’Sciences de la Vie + biotechnologies + Santé’, une autre sur ’Electronique et informatique’, une autre sur ’Sciences Sociales’, etc..

AT : Lors de la sortie du Plan Cancer, le texte officiel indiquait que l’Institut du Cancer où, soit dit en passant, la part réservée à la recherche fondamentale était quasi-inexistante, préfigurait l’organisation de la recherche en France de demain, en grands instituts thématiques. Partagez-vous cette vision ?

PP : Absolument pas. Les fondations nationales que nous proposons, comme je l’ai dit, auraient un périmètre beaucoup plus important. Nous avons beaucoup discuté de la question des Instituts thématiques. Certains d’entre nous y sont très hostiles, et nous avons conclu qu’un tel découpage aboutirait à un système rigide, guetté par la sclérose, l’absence de transversalité, peu favorables à son évolutivité. Par contre nous proposons qu’une des fondations puisse être précisément réservée à des disciplines transversales, faisant appel à un niveau élevé d’interdisciplinarité.

AT : Qu’est-ce qui alimenterait les caisses de ces fondations ?

PP : En premier lieu l’Etat, puis des dons ou legs de contribuables qui pourraient y être fortement incités fiscalement, l’Europe, et des contrats industriels.

AT : Si l’Etat finance ces fondations, à investissement constant (voire en régression, comme actuellement), cela voudrait dire que les organismes publics existants (CNRS, Inserm, Universités), auraient encore moins de moyens qu’actuellement, seraient vidés de leur substance.

PP : La politique que nous préconisons n’est pas envisageable à moyens constants, mais uniquement si le gouvernement décide d’affecter des moyens supplémentaires à la recherche publique, et dans ce cas, il n’y a pas de raison que cela s’accompagne d’une régression des moyens des EPST. Etant donné le contexte économique et la rigueur budgétaire actuelle, il faut trouver des ressources inédites. Le CSI propose que lors de la privatisation de joyaux industriels et scientifiques que sont des entreprises comme Areva (groupe nucléaire) ou la Snecma (moteurs d’avions) (qui n’existeraient pas si la recherche scientifique n’avait pas été très active dans ces domaines il y a quelques années), le résultat de ces privatisations, qui pourrait s’élever à 15 milliards d’euros, soit pour partie affecté à la recherche publique française, pour financer des contrats gérés par ces fondations nationales.

AT : Votre proposition pose un autre problème, celui de savoir si une telle privatisation est politiquement souhaitable.

PP : Il ne s’agit pas de privatisation, il s’agit d’être pragmatique et efficace. Ces fondations de recherche seraient d’utilité publique, auraient un ou plusieurs représentants de l’Etat à leur conseil d’administration, seraient financées de manière importante par l’Etat et l’Europe. Il est bien évident que le citoyen, le contribuable, l’entreprise doivent être mieux impliqués dans le financement de la recherche publique. D’ailleurs, les grandes fondations anglo-saxonnes jouent un très grand rôle pour financer la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Il faut que nous sachions nous inspirer de ce qui fonctionne ailleurs.

AT : Concernant les pôles d’excellence, j’imagine que vous rêvez que se développent en France de grandes universités du type de Stanford, qui attirent autour d’elles un certain nombre d’entreprises innovantes, et vers lesquelles certaines entreprises françaises délocalisent actuellement leur activité de recherche ?

PP : Bien sûr, les universités renforcent les entreprises de haute technologie et ces dernières renforcent les universités. Il y a un problème de cloisonnement excessif entre universités, et EPST, écoles d’ingénieurs, etc..., qu’il faut chercher à résorber. Il y a aussi un problème de masse critique : il faut créer des pôles d’excellence en amplifiant ce qui existe et qui est le plus prometteur actuellement. Il faut que les universités soient au coeur de ce dispositif, avec par exemple des décharges de cours importantes pour que des maîtres de conférence puissent être actifs en recherche au lieu de faire de la garderie de premières années de faculté aux effectifs trop importants. Pour avancer dans cette direction, il faudrait établir au niveau européen, discipline par discipline, une carte des centres d’excellence existants ou potentiels.

AT : Pour les carrières de chercheurs, vous mettez en avant la flexibilité, ce qui signifie en général précarité, angoisse du lendemain, impossibilité pour beaucoup de jeunes de construire leur avenir.

PP : J’observe que la précarité, elle existe aujourd’hui puisque la plupart de nos post-doctorants ne trouveront pas de poste. Par ailleurs, laissez-moi préciser ce que nous entendons par flexibilité. Cela signifie d’abord flexibilité suivant les disciplines : il n’y a pas de raison de vouloir appliquer les mêmes règles pour le recrutement de biologistes ou de mathématiciens. Cela signifie ensuite qu’il ne devrait plus y avoir des gens qui, entrant à l’Université ou à l’Inserm, soient contraints de faire nécessairement toute leur carrière à l’Université ou à l’Inserm. Nous préfèrerions des carrières où l’on puisse passer très facilement d’un organisme à un autre, voire même dans la recherche privée. En début de carrière, il nous paraît même souhaitable que les nouveaux recrutés rejoignent d’abord un ?tronc commun’, et ce serait seulement après quelques années d’exercice dans ce tronc commun que l’on s’orienterait vers l’Université ou vers la recherche pure. Nous proposons qu’il y ait une forte augmentation du nombre de post-doctorants, qui devraient être enfin correctement payés, et bénéficient de contrats qui pourraient être de 2, 3 voire même 5 ans et pourraient ensuite d’orienter vers la recherche publique, la recherche privée ou l’enseignement.

AT : En confirmant que c’est le nombre de post-docs dont vous préconisez l’augmentation, vous vous montrez favorable à un type d’emploi précaire. Des post-docs avec un statut décent, c’est très bien. Mais la signification d’une telle mesure change du tout au tout si au terme de ces post-docs, la probabilité d’embauche est élevée ou si, comme actuellement, elle décroît de façon scandaleuse, puisque, selon des rumeurs, il pourrait n’y avoir aucun recrutement de statutaire en 2004 dans les organismes de recherche. Le gouvernement semble ne pas comprendre qu’un telle mesure serait tellement désespérante qu’elle risquerait d’entrainer des réactions violentes.

PP : Le CSI ne se place pas dans cette perspective. Il ne faut pas confondre précarité et CDD pour jeunes chercheurs. Il faut pouvoir rémunérer, stimuler les jeunes chercheurs, ce qui n’est pas le cas actuellement . Ces contrats pourraient être financés par les fondations nationales de recherche dans le cadre de projets de recherche. Nous considérons qu’il n’y a pas assez de chercheurs en France, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Il doit y avoir un rajeunissement et une meilleure attractivité de la recherche pour les jeunes générations. Les post-doctorants doivent avoir une perspective d’embauche raisonnable en fonction de leurs qualités scientifiques, que ce soit dans le secteur public ou le secteur privé.

AT : Mais pourquoi suggérer comme vous le faites par ailleurs, que la date d’embauche définitive devrait être retardée ?

PP : Nous ne disons pas qu’elle doit être retardée systématiquement, mais seulement en moyenne : les mathématiciens, par exemple, doivent continuer à être recrutés jeunes. Mais en biologie par exemple, je constate que le nombre de médecins recrutés à l’Inserm est ridiculement bas. En particulier, la barre actuelle à 31 ans ne facilite pas leur recrutement. Il faut donc pouvoir recruter plus vieux pour pouvoir recruter plus de médecins, et ceci impose aussi de pouvoir leur proposer un salaire meilleur que le salaire actuel. Sinon, ils feront de la clinique et pas de recherche ou ils partiront aux USA.

AT : Je ne crois pas que le problème le plus criant soit celui du niveau des salaires. Les primes qui sont en train d’être distribuées dans le cadre des contrats d’interface pour des chercheurs Inserm n’auront pas pour résultat de garder en France des gens qui se seraient expatriés sans ces contrats. Ils arrondiront les comptes en banque de chercheurs qui n’avaient aucune intention de quitter la France. Le problème criant est l’absence de perspective d’embauche pour les jeunes, l’écoeurement de ces derniers devant l’absence d’avenir qu’on leur propose dans la recherche.

PP : Les budgets ne sont pas votés, c’est le moment de vous faire entendre en faisant des propositions réalistes et pragmatiques, de faire comprendre à qui de droit, que la recherche fondamentale est importante pour le progrès de la société, pour son économie, comme nous en sommes convaincus. Mais souvent, les chercheurs défendent mal le rôle de la recherche dans notre société et en faveur de l’économie. Ils ont des progrès à faire de ce côté-là.

AT : Une difficulté est que nos gouvernants ne prennent en considération pour la recherche que ses applications à court terme, et pensent que la recherche peut et doit être pilotée par l’aval, c’est-à-dire par ses applications. J’ai d’ailleurs retrouvé cette position dans un article au journal la Tribune daté du 24 juin, de Jean-Bernard Schmidt, capital-risqueur, membre du CSI. Il a la phrase standard habituelle ’Il n’y a pas de recherche appliquée sans une recherche fondamentale puissante’. Mais par ailleurs, il indique on ne peut plus clairement que l’objectif des chercheurs, y compris fondamentaux, doit être d’obtenir des résultats pour créer et renforcer des entreprises. Il dit qu’un brevet sert mieux notre communauté que dix publications. Il dit la même chose que Francis Mer, le Ministre des Finances. Ils semblent n’avoir pas compris que la recherche fondamentale ne peut progresser qu’à partir de sa propre dynamique indépendante.

PP : Il n’y a pas de contradiction. La recherche apppliquée est essentielle à la croissance économique (50% de la croissance économique est liée à la recherche scientifique d’après le CSI, le Commissaire Européen à la Recherche et le Ministre des Finances, Francis Mer) mais la recherche fondamentale est cruciale. C’est elle qui alimente les grands sauts technologiques et qui soutient la qualité de la recherche appliquée. D’ailleurs, un pourcentage très important des brevets est issu des travaux de recherche fondamentale. Je suis totalement convaincu de l’importance de la recherche fondamentale et de la nécessité de son exercice libre et indépendant, à condition que l’Etat fixe de grands objectifs. Je tente d’ailleurs, sans succès pour l’instant, de diriger mes enfants vers l’astrophysique. Mais les chercheurs devraient mieux expliquer que l’indépendance de la recherche (par rapport à l’économique et au politique) ne signifie pas que chaque chercheur puisse faire ce qu’il veut dans son coin, et qu’il ne faut pas confondre liberté des choix scientifiques et refus de l’évaluation des projets et des travaux de recherche. Cette liberté de choix doit être associée à une évaluation très exigeante, effectuée par les pairs, au niveau international.

Annexe : composition du CSI

Président : Dr Philippe POULETTY - Entrepreneur - Président, France Biotech

Vices-présidents :

Dr Geneviève BERGER - Directrice Générale - CNRS

Pr Jean-Pierre CHANGEUX - Institut Pasteur et Professeur au Collège de France

Pr Claude GRISCELLI - Vice-président chargé des Affaires Scientifiques, Wyeth - ancien DG de l’INSERM Conseiller d’Etat - Institut Necker

Philippe JURGENSEN - Président Directeur Général - Anvar

Christian POLICARD - Entrepreneur - Directeur de la Valorisation et des Partenariats Industriels de l’Institut Pasteur

Secrétaire général :

Lionel SEGARD - Directeur Général - Inserm Transfert

Trésorier :

Pierre KOPP - Professeur Agrégé de Sciences Economiques - Université Panthéon - Sorbonne-Paris I

Membres :

François d’AUBERT - Ancien Ministre, Député

Cédric BANNEL - Entrepreneur - Président Directeur Général - Caradisiac

Dr Christian BRECHOT - Directeur Général - INSERM

Jean-Loup CHRETIEN - Président - TIETRONIX

Pascal COLOMBANI - Ancien Administrateur Général - CEA

Jean-Jacques DAMLAMIAN - Directeur Exécutif - France Telecom

Marion GUILLOU - Directrice Générale - INRA

Maryvonne HIANCE - Entrepreneur - Présidente, MLPH - Vice-Présidente, Objectif 2010

Gérard JACQUIN - Directeur de l’Innovation et des Systèmes d’Information - INRA

Francis MAYER - Président - Caisse des Dépôts et Consignations

Françoise MONOD - Avocat Associé - Cabinet Sokolow, Dunaud, Mercadier & Carreras

Albert OLLIVIER - Président - CDC PME

Bernard PAU - Directeur du Département Sciences de la Vie - CNRS

Christian PIERRET - Ancien Ministre - Avocat au Barreau de Paris - Cabinet August & Debouzy

Matthieu PIGASSE - Managing Director - Lazard Frères

Denis RANDET - Délégué Général - ANRT

Stéphane ROUSSIER - Président - Groupe FF&T

Jean-Bernard SCHMIDT - Managing Partner - Sofinnova Partners - Chairman Elect - European Venture Capital Association

Jean-Marie SEPULCHRE - Secrétaire Général - ANVAR

Daniel M. TUROVER - Président - NOVASIC

Observateurs :

Pierre-Noël LIRSAC - Chef de la division Biotechnologies - DiGITIP - Ministère de l’Industrie

Marc AUBERGER - Directeur Général Délégué - Sofaris

Jacques SERRIS - Directeur Adjoint de la Technologie - MINISTERE DE LA RECHERCHE

Nouveaux membres :

Benoît HABERT - Président Directeur Général - Dassault Développement

Gilles MOUGENOT - Président Directeur Général, Argos Soditic France - Président, AFIC

Jean-Michel YOLIN - Ingénieur général des Mines - Conseil Général des Mines

Nouveaux Observateurs : Jean-François LAFAYE - Directeur - ILE DE France SUD INCUBATION