Comment rendre efficace l’organisation des états généraux de la recherche !
La méthode de consultation par émergence
Par
, le 8 avril 2004Les initiatives de propositions de réforme de la recherche, comme celle du CIP ou le document de MM. Jacob, Kourilski, Lehn et Lions (``Du nerf !’’) donnent un crédit inestimable à l’action des chercheurs auprès de l’opinion publique et des autorités politiques. L’organisation d’états généraux envisagée par le CIP et le collectif ``Sauvons la recherche’’ consiste à faire la synthèse des propositions émanant de comités locaux, régionaux, puis nationaux. Cette approche favorise la réflexion et a un rôle pédagogique important. En revanche, sa force de proposition est limitée. En effet, vouloir faire une synthèse "grise" ou couleur "arc-en-ciel" d’opinions forcément (et heureusement) divergentes risque de conduire à des compromis bancals aboutissant à une non-réforme.
Ce document propose une méthode alternative appelée ``consultation par émergence’’ ou ``ascendante’’. D’abord, partout en France, sous l’impulsion du comité national, des chercheurs partageant des idées proches se regrouperaient pour rédiger leur projet de réforme. Ces groupes se formeraient de manière spontanée ou dans le cadre des états généraux. Pendant cette phase de conception, des projets pourraient fusionner spontanément pour augmenter leur qualité, leur complétude et leur visibilité. Ensuite, plutôt que de passer par une synthèse régionale, puis nationale, les projets seraient directement mis en ligne sur le site Web du collectif ``Sauvons la recherche’’. Après une étape de soutien, d’amélioration et de fusion de ces projets, le CIP sélectionnerait une dizaine de projets de qualité et représentatifs de toutes les sensibilités. Les chercheurs et le CIP, de manière indépendante, pourraient alors voter pour l’un des projets finalistes, et le résultat serait présenté au gouvernement.
La consultation par émergence est tout-à-fait compatible et complémentaire des états généraux si l’approche classique joue le rôle d’animation des débats pendant que la méthode ascendante fait émerger les projets de réforme. Les deux approches sont également compatibles en tant que méthode de proposition en autorisant la mise en ligne simultanée des synthèses et des projets émergents.
La version détaillée (6 pages + 6 pages d’annexes) est récupérable à l’URL : http://www-sop.inria.fr/coprin/trom...
Version postscript : http://www-sop.inria.fr/coprin/trom...
Version sans annexes : http://www-sop.inria.fr/coprin/trom...
Le texte ci-dessous reprend les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article complet.
Motivation
Les initiatives de projet de réforme sont exemplaires sur le fond et donnent un crédit inestimable à l’action des chercheurs auprès de l’opinion publique et des autorités politiques.
Or, le CIP et les différents laboratoires sont tous confrontés au problème de la méthode de consultation et de synthèse des différentes idées de réforme émanant de la communauté de recherche. Tous, sans aucune exception, sont en train d’organiser des états généraux en suivant une approche classique qui a fait parfois ses preuves depuis ses origines (XIIIème siècle) quand il s’agit de consulter un petit nombre de personnes, mais qui a tant de fois montré ses limites dans les autres cas : organiser des assemblées locales dont les synthèses sont ensuite ``confrontées’’ à un niveau régional pour aboutir au final à une synthèse nationale (par le CIP en l’occurrence.
Il faut reconnaître que l’idée de tenir des états généraux présente l’avantage de favoriser la réflexion, le dialogue et les échanges d’idées dans les différentes communautés de recherche. En revanche, sa force de proposition me paraît bien plus contestable. En effet, vouloir faire une synthèse d’opinions forcément divergentes a toutes les chances de conduire à des propositions grises (peu innovantes à force de compromis) couleur ``arc-en-ciel’’ (si les synthèses font remonter dans un même document plusieurs idées alternatives), voire incohérentes.
Ce texte a pour but de proposer un mode de fonctionnement sensiblement différent appelé ci-après ``méthode de consultation ascendante’’ ou ``par émergence’’. Cette forme de démocratie participative présente l’intérêt majeur de concilier la participation de chacun et l’efficacité globale, tout en évitant des compromis bancals. Elle est détaillée pour les états généraux du CIP, mais des variantes pourraient s’appliquer aux consultations au sein des différents organismes et des laboratoires de recherche. Elle pourrait surprendre nos dirigeants en montrant que les chercheurs, en plus de leur créativité et de leur esprit critique, sont capables d’être efficaces !
D’un point de vue logistique, cette idée simple s’appuie aussi sur un fait qui semble anodin et qui est pourtant inédit. Les premières actions du collectif ``Sauvons la recherche’’ en montrent l’influence sur le pouvoir politique : l’immense majorité d’une corporation mécontente (les chercheurs français) ont accès à la messagerie électronique et au Web.
La consultation par émergence versus les états généraux classiques
Le CIP définit d’abord le ``format’’ attendu des contributions. Un projet de réforme est composé d’un document, d’un résumé, d’une liste d’auteurs et d’une liste de personnes soutenant explicitement le projet. L’approche par émergence permet de produire des projets de réforme de la manière suivante (de nombreuses variantes sont possibles) :
Sous l’impulsion initiale du comité (et/ou de comités locaux animant
les états généraux classiques), chaque groupe voulant soumettre une
proposition rédige un document de 10 à 30 pages (de 5 à 10 pages avant
l’été, puis le document s’étoffe). Pendant cette étape, certains
projets, généralement dans une même ville, peuvent fusionner pour
augmenter leur visibilité et leur complétude.
Les N projets de réforme au niveau national sont mis
en ligne sur le site de "Sauvons la recherche". Pendant quelques
semaines, tous les chercheurs français peuvent se rajouter à la liste
des chercheurs qui soutiennent une proposition donnée. Pendant ce
même temps, les projets sont améliorés, certains sont fusionnés.
Le CIP statue et ne garde qu’une dizaine de projets
finalistes, en respectant deux critères : la qualité bien-sûr, mais
aussi la représentativité des différentes sensibilités.
Toutes les personnes (les chercheurs notamment) votent pour
l’un des projets. En parallèle, le comité fait de même.
Les projets finalistes sont proposés au gouvernement avec les deux
classements par voix : celui du ``peuple’’ (les chercheurs, etc) et
celui de ses représentants (le comité).
Comparaison avec l’approche classique
La croissance d’un projet (c.a.d. l’augmentation de ses auteurs et des détails de sa description) peut venir de deux opérations :
la fusion avec un autre projet ;
l’intégration d’autres personnes et de leurs contributions.
La croissance d’un projet a plusieurs implications :
Elle augmente sa reconnaissance et sa visibilité.
Elle augmente sa qualité et sa complétude, c.a.d. son niveau
de détails.
Elle oblige à des compromis entre les auteurs.
C’est pourquoi la méthode de consultation par émergence aboutit à un équilibre des forces dans chaque projet de réforme : tout projet doit faire des compromis s’il veut progresser en qualité et en visibilité.
C’est une différence majeure avec l’approche classique où les compromis ne sont pas spontanés, mais dépendent des membres présents dans le comité local et de leurs responsables.
De plus, dans l’approche classique, les membres du comité local ont des opinions souvent divergentes, ce qui aboutit généralement à des synthèses incohérentes ou peu innovantes.
La consultation par émergence repose sur des groupes de proposition dont les idées remontent au plus haut grâce aux outils logiciels (le Web) et un ``comité de sages’’ qui rendent les résultats exploitables grâce à une phase de sélection et de conseils d’amélioration ou de fusion. Plus l’écart hiérarchique entre les groupes de proposition et le comité est grand, plus grand est le nombre d’échelons hiérarchiques intermédiaires supprimés. La méthode présente donc un intérêt maximal si le comité est le CIP, mais non négligeable si elle est appliquée au niveau d’un organisme de recherche (l’INRIA, le CNRS ou une Université par exemple) ou d’une de ses unités de recherche (l’INRIA ou l’I3S à Sophia Antipolis).
Mise en application et compatibilité avec l’approche classique
La consultation par émergence est tout-à-fait compatible et complémentaire des états généraux classiques.
Le comité et le collectif ``Sauvons la recherche’’ susciteraient les premières contributions et mettraient en place les outils logiciels pour mettre en ligne les projets de réforme au niveau national. Ils créeraient également des groupes de discussion sur les différents sous-thèmes.
Les collectifs locaux de ``Sauvons la recherche’’ perdraient leur rôle de synthèse et ne joueraient pas de rôle de sélection, ce rôle étant réservé au comité national. Ils garderaient d’abord un rôle de discussion et de pédagogie important. De plus, autre rôle crucial, les discussions qui auraient lieu lors des états généraux pourraient susciter des vocations de projet. Les collectifs locaux pourraient enfin centraliser et faire connaître les différents projets émergents de la ville afin que des personnes s’y rattachent plus ou moins activement dans la première phase de conception. Il suffirait de tenir à jour un site local avec deux pages de résumé par projet et les personnes à contacter.
Enfin, si la force de proposition de la consultation par émergence me paraît plus pertinente, rien n’empêche de mettre en ligne, et donc en concurrence, les projets émergents et la synthèse des comités locaux. Il suffit que le comité national impose un ``format’’ identique afin de voir des propositions homogènes.
Le format imposé par le comité dépend évidemment de la visibilité de la proposition. Au niveau du CIP, une proposition complète devrait contenir de 10 à 30 pages environ, le minimum imposé évitant la multiplication de propositions trop incomplètes. En revanche, des propositions au niveau d’une unité de recherche pilotées par un comité plus local pourraient prendre de 1 à 5 pages seulement...
Exemple
Prenons un exemple qui souligne la notion d’émergence et met en lumière la différence avec l’organisation ``classique’’ des états généraux.
MM. Martin et Durand sont chargés de recherche en électronique dans une même équipe au sein d’un organisme à Sophia Antipolis. Ils ont des idées proches sur une réforme possible de la recherche scientifique. Ils élaborent une première version et se rendent rapidement compte qu’ils ne connaissent pas le fonctionnemement détaillé du système universitaire, ni les spécificités budgétaires de leurs collègues mathématiciens ou historiens. Ils vont faire alors une démarche pour convaincre d’autres chercheurs de se joindre à leur proposition et de leur apporter leurs connaissances. Ils obtiennent ainsi une deuxième version du projet X.
Leur réseau de connaissances permet d’améliorer encore le projet et de lui assurer une première visibilité au niveau du département (version 3). Le nombre d’auteurs est maintenant de 5 chercheurs.
Pendant ces différentes phases, ils se rendent compte qu’un projet Y aux idées voisines s’est formé dans un autre laboratoire de la ville. Après discussion, les différents chercheurs décident de fusionner les deux projets X et Y : quelques concessions sont faites par les deux parties, mais avec un gain de complétude et de visibilité appréciables.
Le projet est alors mis en ligne sur le site de ``Sauvons la recherche’’. De nombreux chercheurs y apportent leur soutien (électronique), demandent des précisions, font des remarques. Le projet XY fusionne avec un autre projet Z de Brest qui comporte de nombreux points communs. Il adopte également, avec son accord, le chapitre sur la gestion des carrières proposé par le projet W.
Le comité accomplit alors son travail de relecture ! Le CIP est rapidement attiré par la qualité et la consistance du projet XYZ qu’il détecte dès son résumé de 2 pages. Il apprécie aussi son grand nombre de soutiens. Le comité sélectionne le projet XYZ comme finaliste en lui faisant des recommandations d’amélioration.
Un vote final au niveau national permet de donner un classement entre tous les projets finalistes. L’intouchable projet ``Nada, ne changeons rien’’, présenté par personne (ou plutôt par le comité, à titre de représentativité) finit à la première place. Belle performance, la deuxième place est obtenue par le projet ``XYZ avec un chapitre de W, des recommandations du comité et présenté par 18 auteurs’’. Les projets ``Du nerf !’’ de Jacob et al. et celui proposé par M. Belloc terminent juste derrière.