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Précarité des doctorant-e-s et post docs

Réponses aux justifications de la précarité des doctorant-e-s et post docs

Par papidan, le 10 mai 2004

Voici, pour exemple, la définition d’un travail précaire proposée par le CECP cecp.ouvaton.org : C’est un travail à durée déterminée (CDD ou vacation) voire au noir, souvent non renouvelable, souvent mal payé voire pas, qui ne donne aucun espoir d’avancement ou de titularisation et le plus souvent exonéré de cotisations sociales (n’ouvrant ainsi aucun droit à la retraite, à la sécurité sociale ou au chômage). La précarité, de plus, enferme les travailleurs dans une logique individualiste rendant difficile leur organisation collective.

Enseignement Supérieur et Recherche = ESR.

LES DOCTORANT-E-S

Je ne comprends pas l’argument : un-e doctorant-e n’est pas précaire puisqu’il-elle est en formation. L’un et l’autre n’ont aucun rapport. Et si c’est pour comparer doctorant et apprenti cuisinier en formation qui va bosser toutes les nuits pour une « aide » de 2000 f/mois (oui !), ce n’est pas une situation que j’envie. Des personnels en formation peuvent être précaires, et la plupart le sont.

Pourquoi un doctorant-e est il précaire :
- Souvent pas payé-e (de manière globale, variable suivant les disciplines), et donc est obligé-e d’accepter des contrats d’enseignement allant de précaire (ATER), très précaire (vacations), à ultra précaire (au noir), ce qui permet ainsi d’assurer une grosse partie de l’ES, notamment en 1e cycle. Qui oserait dire : le ou la doctorant-e est en formation, il est donc normal qu’il-elle fasse de l’enseignement dans n’importe quelles conditions ! Pourtant, en ce qui concerne la recherche, ça choque beaucoup moins !
- le ou la doctorant-e est dans une situation de soumission extrême avec son directeur/trtice de thèse et de labo. Le chantage au poste permet à la fois une soumission intellectuelle, une compétition absolue entre précaires, la peur de se faire remarquer. Combien de doctorant-e-s travaillent au moins 50H/semaine ? Dans certains labos, on interdit aux filles de tomber enceinte pendant la thèse, on oblige des doctorant-e-s à contracter des prêts bancaires pour justifier de ressources. Bien sûr, on me dira, ce n’est pas comme ça partout, il existe des directeurs/trices de thèse très sympathiques (le mien notamment), mais ce rapport de soumission/domination est structurel, et peut être inconscient (comme la plupart des rapports de domination, cf nos ami-e-s de SHS). Au passage le découplage recruteur/employeur/financeur entretient un flou complet et total qui empêche l’élaboration d’un véritable statut de travailleur-se en formation pour les doctorant-e-s. Quand une personne est embauchée par un directeur de recherche, pour travailler dans un établissement, payé par une fondation, et que chaque partie n’a de véritables comptes à rendre à aucune des autres, ça permet tout type de dérives possibles.
- Après 5 ans d’études, le ou la doctorant-e s’engage pour 3 ou 4 ans d’expérience professionnelle sans savoir ce qui l’attend au bout, si ce n’est de moins en moins de chances d’avoir un poste, et la certitude de devoir repasser par d’autres contrats précaires (CDD, post docs).

Pour le pb des financement, on nous dit : il suffirait que les directeurs/trices de thèse refusent tout thésard-e sans financement, et tous les doctorant-e-s seront payé-e-s. J’ai l’impression que tout cela part d’une bonne intention (tout travail mérite salaire) mais que c’est prendre le pb à l’envers. En effet, je pense que le problème n’est pas que des directeurs/trices de thèses acceptent des doctorant-e-s sans financement, mais qu’il EXISTE des doctorant-e-s sans financement, et que cette situation, quoiqu’on en dise, arrange plein de monde (la précarité comme mode de gestion de la main d’œuvre et comme baisse du coût du travail). De la même manière, on ne peut dire : ces gens qui font la manche c’est un scandale, si tous les maires de France interdisaient les mendiant-e-s, il n’y en aurait plus ! Ce qu’il faut, c’est un vrai contrat de travail pour tous les doctorant-e-s, et rien d’autre !

Lors de réunions, on entend : "on critique les CDD, mais qui est prêt ici à accepter un CDD ?" Mais bien sûr que je suis prêt à accepter un CDD, ça ne m’empêche pas d’être contre leur utilisation ! Pour le moment j’accepte de travailler gratuitement, mais je refuse que l’on me culpabilise là dessus, sous prétexte que j’aurais pu trouver une bourse aux Etats Unis, que j’ai choisi de me mettre là dedans, que je n’ai pas à râler. Cette question du choix est pour moi une vision libérale qui érige la responsabilité individuelle en loi universelle, et qui oublie tous les mécanismes sociaux qui font qu’on accepte de vivre et travailler dans certaines situations alors qu’elles ne nous conviennent pas. Comment reprocher aux gens d’accepter des boulots de merde pour vivre ? Dans le cas des doctorant-e-s, la situation est souvent : après la licence que faire ? bon ben une maîtrise ? une bonne note à la maîtrise ? des chances d’avoir une bourse de DEA ? et c’est parti pour le DEA ! après ça, il n’y a rien d’autre à faire que la thèse. Pas de financement ? ben j’ai quand même déjà fait 5 ans d’études (minimum, si j’ai pas redoublé), ce serait trop bête de s’arrêter là, et puis j’aime bien la recherche, et puis un poste stable dans l’ESR c’est pas mal, et puis la pression familiale, la peur de repartir à zéro etc... que le ou la doctorant-e qui ne se reconnaît pas là me jette la première pierre !

Et selon moi le travail que l’on fait pendant la thèse (pour soi, pour son directeur/trice, pour son labo, pour plein de monde) est un vrai travail, et si on le fait c’est qu’il y en a ! on ne vient pas là en surnombre, par plaisir, s’incruster dans un labo ou il n’y a rien à faire mais où les gens sont sympas et nous donnent 2 ou 3 bricoles à exécuter ! C’est pour l’ensemble de ces raisons que, selon moi, la solution à ce pb n’est absolument pas de chercher à diminuer le nombre de doctorant-e-s pour qu’il s’adapte au nombre de misère de postes qui diminuent chaque année (ce serait d’ailleurs diminuer mécaniquement la production scientifique). Il faut augmenter de manière très significative les débouchés, et pas l’inverse. Qui oserait dire qu’il est choquant qu’il y ait de plus en plus d’étudiant-e-s, de doctorant-e-s, d’enseignant-e-s/chercheurs-se-s et chercheur-se-s ? n’est ce pas sain pour une société, plutôt que d’augmenter le nombre de policiers, de portes avions et de baisser l’impôts sur le revenu des plus riches ? ?

Statut du ou de la doctorant-e :
- statut de chercheur-se en formation, salarié-e (vrai contrat de travail, cotisations salariales)
- reconnaissance dans les conventions collectives (c’est quand même un diplôme Bac + 8 ! !)
- limitation du nombre de doctorant/encadrant
- éxonération des droits d’inscription à l’université (nous ne recevons pas de cours, nous en donnons !).
- reconnaissance dans les instances de gestion et de décision (université, EPST).

LES POST DOCS/CDD

Les post docs, ça a été la solution en SDV au début des années 90 parce qu’il y a eu des fortes incitations à faire des thèses (augmentation du nombre et du montant des allocs) alors que les débouchés n’ont pas suivis. Avec l’augmentation du chômage notamment chez les jeunes, qui a entraîné un rallongement des études, il y a eu une forte pression à l’embauche. Donc super idée => le post docs. Maintenant, il existe tout un discours fabriqué qui justifie les post docs : la mobilité c’est bien, il faut encore faire ses preuves, c’est comme ça que ça se passe maintenant...

« La mobilité. »

Pourquoi pas. Dans certaines disciplines, il apparaît effectivement que la mobilité est, professionellement, une bonne chose (SDV). Mais après thèse, à 28/29 ans, il n’est pas rare d’avoir une vie personnelle, une famille, des attaches, des conjoints qui ont un travail... Pourquoi exiger que des jeunes partent loin de chez eux, et sans beaucoup d’espoir de revenir ? pourquoi imposer une mobilité ? pourquoi doit elle se faire dans la précarité ? pourquoi ne pas simplement dire : pour les titulaires, il serait bon d’instaurer des facilités de déplacements, qui prévoient différentes situation (familiales etc...). Encore une fois, ne sommes nous pas là devant un discours de type libéral, qui fait de chaque individu sa propre entreprise, et qui doit faire ses preuves tout au long de sa vie pour montrer son efficacité, sa compétitivité... Et que les personnes qui ont été embauchées dans les années 60/70 pendant leur thèse, et qui sont devenus des chercheur-se-s tout a fait normaux nous expliquent en quoi la stabilité et de bonnes conditions de travail leur ont été néfastes à eux et à leur production scientifique.

« il faut encore faire ses preuves » ou la rhétorique à fabriquer des étudiants à vie, pour ne pas reconnaître le travail effectué.

D’abord, les doctorant-e-s continuent à être considéré-es comme des étudiants (et pas comme des personnels en formation, ce qui n’est pas du tout la même chose), pour eux on parle de bourses, d’allocation, jamais de salaires. Quand on parle de rémunération, on nous dit que nous sommes en formation, que nous sommes des éudiant-e-s, mais quand il faut mettre en valeur les travaux du laboratoires, la production des doctorant-es est bien sûr utilisée et reconnue. Les titulaires qui passent l’HDR s’inscrivent aussi à l’université (puisqu’ils et elles veulent se faire délivrer un diplôme universitaire), mais cesse-t-on alors de parler de travailleur-se ? de salaire ? les paye t-on avec des « bourses » ? Le pb est le même pour les post docs, qui peuvent être encore appelé-e-s « étudiants en post docs » ou « en complément de formation » et sont souvent rémunérés en libéralités (travail au noir) (voir le rapport de la CJC sur ces questions).

Ensuite, bac+8 ou 9 (après thèse) n’est ce pas avoir fait ses preuves ? la thèse est officiellement le seul diplôme exigible pour concourir à des postes de chercheur-se et d’enseignant-e/chercheur-se. 3 ou 4 ans d’expérience professionnelle ce n’est pas faire ses preuves ? De plus, il me semble étrange de demander encore plus de sélection. Depuis 17 ans et la première au lycée, chaque année d’étude (7) a été sanctionné par un examen ! et la thèse est censée sanctionner un travail de recherche de 3 ans, et les postes ne sont attribués que sur « concours ». et il faudrait encore de la sélection ? mais elle se fait déjà ! toutes les licences ne vont pas en maîtrise, les maîtrises en DEA... il serait intéressant de savoir combien, parmi les 500 personnes de mon amphi de DEUG 1er année, sont en train de faire une thèse (je dirais 50 au grand, grand maximum) alors SVP arrêtons de parler de sélection supplémentaire ! ! Ou alors mettons nous d’accord sur une gestion tout a fait élitiste et assumée de l’ESR ! Faites un test autour de vous, auprès de gens qui ne sont pas du milieu de l’ESR, demandez leur si après 5 ans d’études et 4 ans de formation professionnelle on ne mérite pas un boulot ? Tout le monde vous dira oui ! il n’y a que dans notre milieu qu’on justifie l’inflation de contrats précaires pour accéder à un poste.

Il arrive aussi qu’il soit dit : « oui mais après une thèse, on ne sait pas si la personne est faite pour la recherche, si elle va devenir un ou une bonne chercheur-se, et même le docteur lui même ne sait pas s’il veut être chercheur-se ». Curieusement d’ailleurs on ne se demande pas si il ou elle va devenir un ou une bonne enseignant-e ? ce n’est pas curieux en fait, compte tenu de la hiérarchie implicite faite entre travail de recherche et travail d’enseignement. à cela il est facile de répondre : il y a des gens mauvais qui ont une thèse ? et bien c’est un pb de formation et d’évaluation, pas un pb de statut ! Une bonne évaluation (qui n’existe d’ailleurs pas) ne veut pas dire emploi précaire. On ne justifie pas qu’on veut prendre les soit disant « meilleurs » en faisant travailler les gens dans de mauvaises conditions pour voir qui s’en sort. Il y aurait des « dispositions pour la recherche », et il serait alors très important que les personnes qui n’ont pas ces disposition soient « écartées » du cursus. On entre dans un véritable discours naturaliste de reproduction des élites et de sélectionnite aigüe. Alors quand un-e doctorant-e est dans une situation précaire on lui dit : « mais tu as choisi, faut pas te plaindre », et quand ce doctorant-e obtient sa thèse, le système lui dit : « ah non, tu ne sais pas ce que tu veux faire, on ne sait pas si tu es assez fort, alors continue à enchainer des contrats précaires (postdocs, CDD, au noir...) ». En gros : ce n’est pas à toi de choisir, on sait mieux que toi ce qu’il te faut. On en revient encore à cette question de choix individuel, qui est un faux problème.

Une autre chose que l’on peut entendre c’est : « Il faut garder le principe des post docs parce que tout le monde ne se destine pas à la recherche publique. » Oui c’est vrai tout le monde ne se destine pas à la recherche publique, mais encore une fois, quel rapport avec le fait d’institutionnaliser l’utilisation ce contrats précaires ? ce problème est celui de la reconnaissance du doctorat comme diplôme professionnalisant, rien d’autre.

Maintenant on nous propose, en plus, de remplacer des postes stables par des CDD (au passage, l’usage de ces CDD a changé au cours des mois, le gouvernement a sans cesse testé de nouvelles annonces pour voir nos réactions). Comment est il possible d’utiliser encore et toujours les mêmes arguments : « c’est une bonne expérience, il faut accepter, il faut encore faire ses preuves, on ne sait pas si le jeune est assez bon, c’est pareil ailleurs... ». pour justifier ces CDD ?

Ensuite il faut être clair, soit on dit : « ok, la thèse ne sert à rien, il faut encore faire ses preuves, les CDD sont bons pour la recherche, fonctionnons par contractualisation ». Soit on dit : « la thèse doit être un vrai diplôme professionnalisant, reconnu dans les conventions collectives et permet d’accéder facilement à un emploi stable ». Mais arrêter cette inflation d’exigences, qui impose de mauvaises conditions de travail et de vie, et qui mélange les deux positions.

De plus je donnerais ici deux courts exemples qui parlent d’eux mêmes :
- en hollande, toutes les thèse sont financées par des salaires, qui augmentent au cours des années, avec une prise en compte dans les calculs d’ancienneté, de retraite etc. comme n’importe quel contrat de travail le plus banal possible
- les jeunes chercheur-se-s chinois partent en « post docs » aussi. A la seule différence qu’un poste les attend chez eux après leur contrat à l ’étranger. Ça s’appelle la mobilité avec garantie de l’emploi !

Enfin, je m’oppose aussi à tout type d’arguments : « oui mais ya pire ailleurs, vous avez de la chance de faire ce que vous aimez, vous saviez dans quoi vous vous engagiez... » Non ! effectivement il y a pire ailleurs, et alors ? je suis désolé, mais je vais pas accepter de bosser gratuitement pendant 3 ans parce qu’il y a des gens qui dorment dans la rue, ou que les conditions de travail et de vie se dégradent partout ! On mélange tout, en essayant de faire culpabiliser ceux qui se battent pour de meilleures conditions de travail (voir la stigmatisation continuelle des fonctionnaires ! !). Et je pense que la précarité accrue dans l’ESR n’est qu’un reflet de la précarisation généralisée de la société, qu’il faut aussi refuser.

Revendications :
- Arrêt du recours aux emplois précaires (plus de CDD pour les personnels de l’ESR, les ITA, interdiction des libéralités)
- résorption de la précarité (titularisation des post docs, chercheurs en CDD, ITA CDD, statut de chercheur en formation salarié pour les doctorant-e-s)
- un plan pluriannuel de recrutement très conséquent.