Analyse du projet de réforme du CNRS
Analyse du projet de réforme du CNRS par le Comité local SLRU d’Ivry-sur
Par
, le 1er juin 2004Le Comité local « Sauvons la recherche et l’Université » d’Ivry s’était déterminé sur deux points de discussion proposés dans le cadre des Etats Généraux de la recherche :
Dans le thème Architecture et structures de la recherche publique : 1) Universités, Grandes Ecoles et EPST : missions, organisations et articulation Dans le thème Les acteurs et les métiers de la recherche : 2 ) Statuts et rôle des acteurs de la recherche (ITA, chercheurs vs enseignants chercheurs, postdocs, étudiants et doctorants, Ratio statutaires / non-statutaires ; ratio ingénieurs / techniciens / chercheurs et enseignants-chercheurs,...).
En préalable et compte tenu des urgences, il nous a semblé important de nous pencher sur l’état du projet concernant notre institution, en particulier le projet proposé par MM. Larrouturou et Mégie qui abordent notamment ces questions. C’est une étape, nous reprenons aujourd’hui les débats dans une perspective plus large. Nous avons pensé utile de vous adresser ces premiers temps de la réflexion.
Analyse du projet de réforme du CNRS de MM. Larrouturou/Mégie par le Comité local Sauvons la recherche d’Ivry
Le comité local d’Ivry s’est réuni à plusieurs reprises au mois d’avril autour d’une analyse du projet pour le CNRS de Gérard Mégie et Bernard Larrouturou. Plusieurs points ont été abordés qui concernent soit la politique générale, soit des aspects plus spécifiques et techniques. Le CNRS est aujourd’hui critiqué de tous côtés, tant pour son image que dans la réalité de son fonctionnement. Certains dysfonctionnements sont réels mais pas plus qu’ailleurs. Dans la recherche d’améliorations du système, il nous semble donc primordial de veiller à préserver un outil qui continue de faire largement ses preuves en matière de production scientifique.
° Le rôle de la recherche fondamentale semble être marginalisé au profit d’une conception utilitaire de la recherche, définie en termes ambigus. Le texte indique que l’implication dans la recherche fondamentale reste « le socle de (son) activité » tout en indiquant plus loin que « le CNRS doit cesser de se présenter comme un organisme de recherche fondamentale ». Cette façon de concevoir la recherche fondamentale postulant un décrochage avec la recherche appliquée, apparaît réductrice. Cette césure a-t-elle seulement un sens ? L’intérêt de la recherche fondamentale réside aussi dans ses applications. Et c’est bien aussi cette dimension qui fait la force et la spécificité du CNRS, dans le paysage institutionnel de la recherche en France et à l’étranger. Cesser de présenter le CNRS comme un organisme de recherche fondamentale pourrait au contraire brouiller son image. Y a t-il un progrès à cela ?
° Contenu et lisibilité de la politique scientifique Le projet part du constat que la politique scientifique du CNRS n’est pas lisible. Cette affirmation, dont les auteurs ne donnent pas d’explications particulières, n’a pas été comprise. L’incompréhension vient entre autres du fait que sont fréquemment citées en exemple les difficultés liées à la lourdeur de l’organisation administrative et institutionnelle, problème qui n’est pas du même ordre. Les problèmes de l’administration ne sauraient être un argument pour réformer la recherche sur le fond.
° Vision programmatique de la recherche La solution pour combattre ce déficit dans l’image de l’institution est notamment recherchée dans l’affirmation d’une politique pluriannuelle, qui se traduit par la définition de priorités et le choix d’un certain nombre de programmes. Faut-il développer une vision exclusive de la recherche sur programme ou sur projet, forcément restrictive ? Question de choix politique qui peut peser lourd sur l’avenir de certaines disciplines (notamment en sciences sociales) et sur la recherche en général. Reviennent constamment les termes de clarification, de lisibilité. Mais développer une politique scientifique, n’est-ce pas aussi intégrer ce risque de financer des recherches dont la visibilité n’est pas immédiate ? Une des missions fondamentales du CNRS est précisément de couvrir la totalité du spectre de la recherche. Le texte indique que le CNRS ne pouvant financer l’ensemble des domaines de recherche, devrait recentrer ses missions, se concentrant alors sur les grands domaines scientifiques. Ces perspectives fragiliseront certains secteurs entre autres dans le champ des sciences sociales et humaines, s’il s’agit de « lâcher » des disciplines ou des thématiques. En particulier, dans le choix des axes prioritaires déjà mis en place en 2002 et cités dans ce rapport, les SHS paraissent être totalement exclues. Est-il en outre tout à fait réaliste dans une logique de recherche de présenter comme un progrès l’évolution du CNRS vers une logique d’entreprise, (la mesure du temps et la maîtrise du résultat ne sont pas du même ordre). De ce point de vue, on peut s’interroger lorsqu’on lit : « le CNRS se doit de choisir des thèmes prioritaires, en fonction de sa vision du monde scientifique, technologique, économique et social dans lequel s’inscrit son action ». Mission impossible dans certains territoires de la recherche sauf à tomber dans un projet peu ambitieux d’une recherche qui se coulerait dans les attentes immédiates et normatives de la société.
° Le rôle du CNRS dans le dispositif national, en particulier parmi les autres instituts de recherche et dans ses relations avec l’université et vis-à-vis du monde socio-économique. Le projet aborde une question qui sort de son champ de compétence en traitant du renforcement de l’autonomie des universités. Ce point est évoqué comme devant clarifier les relations CNRS/université et le rôle du CNRS dans le dispositif national. Il évoque la mission d’agence de moyens que pourrait jouer le CNRS auprès de l’université notamment par la mise à disposition de chercheurs ou d’ITA pour les laboratoires ayant reçu un label de qualité après évaluation du Comité national. Cette forme de mise à disposition du personnel peut à nouveau être vue comme un désengagement du CNRS relativement à certains domaines qui se trouveraient délestés vers l’université.
On raisonne ici comme si la conception de la recherche était la même à l’Université comme au CNRS. Or les conceptions, les méthodes, la gestion du temps, les modalités n’obéissent pas aux mêmes exigences, ne s’inscrivent pas dans le même cadre. Le continuum formation recherche est un modèle propre à l’Université et les contraintes liées à l’enseignement font que la recherche ne se fait pas dans les mêmes conditions. Dans les établissements de recherche, le centre de gravité est dans la production scientifique et la communication des résultats. Par conséquent, penser que le basculement de certaines équipes vers l’Université ne change rien, c’est ignorer la spécificité de la recherche au CNRS. N’y aurait-il pas lieu d’engager un débat de fond sur cette question non pas seulement au sein du CNRS, mais plus globalement en tenant compte de cette réalité multiforme ?
Les rapports Université/CNRS, donnent déjà lieu à d’étroites collaborations qu’il est important de poursuivre. Renforcer les synergies est en soi une bonne chose, ainsi que rapprocher les institutions mais rapatrier purement et simplement à l’Université certains domaines est-il vraiment pertinent ?
1° Les moyens financiers Quid des moyens financiers ? Le projet ne livre aucune information sur le financement de la recherche sinon la référence au 3 % du PIB qu’il faudrait lui consacrer. Cette information semble indiquer que le projet s’inscrit dans une politique « ambitieuse » de développement. Un certain nombre des solutions avancées (resserrement des activités, abandon de certaines missions) ne vont pas dans le sens de cette perspective.
2° La nécessité de faire évoluer la structure administrative
au niveau de la recherche
Si certains dysfonctionnements sont réels, on se demande parfois si le traitement de ces questions appelle une réponse globale, notamment en termes de regroupement d’unités.
au niveau de l’administration, cette réforme aurait trois effets positifs :
suppression des doublons
gestion de proximité avec les laboratoires
allégement des procédures
mais rien n’est précisé sur le mode de structuration future de l’administration, d’où différentes interrogations :
lien entre les Délégations régionales et inter-régionales (notamment répartition entre la grande région « Paris » et l’Ile de France)
comment sera favorisée l’émergence de pôles scientifiques et administratifs inter-régionaux propres ?
3° Le statut des personnels ° Question de la mobilité Le thème n’est pas nouveau, la politique de mobilité est une des priorités affichées du CNRS, elle est réaffirmée sans cependant qu’on sache avec précision quels moyens nouveaux seront mis en place. Le cadre aujourd’hui existe mais la mobilité ne fonctionne pas mieux dans un sens que dans l’autre (passage CNRS/Université, Université/CNRS). Il est regrettable que certains passages du texte puissent laisser supposer que le CNRS utilise l’argument de la mobilité dans le seul but de « dégraisser » ses effectifs. On lit en effet : « La mobilité externe des chercheurs vers les universités et l’industrie, temporaire ou définitive, est un objectif en soi » (tout cela est en gras).
° Question des ITA non mentionnée La question des ITA, de la gestion déplorable des carrières due au manque de création de postes et de possibilités d’évolution n’est pas évoquée dans le projet. Dans les problèmes des équipes, on a trop tendance à raisonner à partir du seul statut des chercheurs, alors que la recherche est aussi un processus collectif.
4° L’évaluation - Quel sera le rôle exact du Comité national : le projet prévoit une séparation plus nette entre le Comité national et le CNRS et une évaluation par le comité national des laboratoires universitaires. Il n’est pas dit comment ce projet pourrait être accepté par les universités. - La place des membres nommés : dans le texte, la présence d’une proportion importante de membres élus est pointée comme une anomalie par rapport aux auxtres pays. Un accroissement des personnalités nommées dans les diverses instances d’évaluation est proposée (comités d’évaluation, sections du comité national et présidents de sections, jury de concours). Ce « rééquilibrage » est-il la garantie d’une meilleure qualité des expertises ? La question suscite de réelles interrogations. - L’interdisciplinarité : le texte n’indique pas comment seront composées les commissions interdisciplinaires.
5° La régionalisation du CNRS Le projet évoque la prise d’autonomie des universités, mouvement que devrait rejoindre et accompagner la régionalisation au sein du CNRS. Est-il indispensable de caler le mode d’organisation sur l’échelle régionale, là où d’une part le CNRS raisonne en inter-régions, et où d’autre part le réseau de coopération se développe à l’extérieur (vers l’étranger principalement) ?
Effet sur la structuration actuelle : Les directions ou départements scientifiques devraient avoir un rôle plus stratégique, et se trouvent déléguées en région les tâches de gestion financière et du personnel. Par exemple les décisions d’affectation, les dotations, devraient être décidées en inter-régional.
Des directions inter-régionales seraient créées, avec à leur tête une personnalité scientifique, aidée d’adjoints représentant plusieurs disciplines, un des objectifs étant de faire émerger des laboratoires pluridisciplinaires.
L’idée générale est à la fois de décloisonner et de rapprocher le CNRS du terrain.
Cette nouvelle structuration de la recherche suscite problèmes et interrogations :
° Sur les rapports entre délégations et directions inter-régions : à nouveau on semble mêler les questions liées à l’amélioration de la structure administrative et les choix de fond sur la recherche. Sans doute le projet améliore t-il le fonctionnement de la vie administrative du laboratoire, mais un certain nombre de questions concernant l’aspect scientifique sont laissées de côté.
La raison d’être de cette régionalisation étant de combattre les dysfonctionnements institutionnels, on peut se poser la question de savoir si le remède proposé y répond. Si les responsabilités sont réparties différemment, leur redistribution en inter-régional a néanmoins pour effet de créer un niveau supplémentaire, donc deux nouveaux niveaux de relations à gérer : ° du niveau inter-régional et du niveau national, lequel conserve un rôle de pilotage ? ° du niveau inter-régional et des délégations, qui arbitre ou coordonne ?
L’interdisciplinarité au niveau régional nous apparaît périlleuse, dès lors qu’elle est présentée comme le seul modèle pertinent, simple principe de fonctionnement érigé en dogme scientifique … ° Si l’échange disciplinaire est fondamental, doit-il passer par la disparition des champs disciplinaires ? L’organisation en unités pluridisciplinaires n’est-elle pas de nature à recréer d’autres cloisonnements, selon une configuration différente ? ° A notre sens, l’interdisciplinarité a plutôt besoin de souplesse (les coopérations évoluent) et c’est davantage une logique de réseaux qu’il faudrait développer. ° Nous percevons également un risque d’instrumentalisation de certaines disciplines minoritaires.
Sur la taille des laboratoires et la masse critique
° En ce qui concerne l’objectif affiché d’améliorer la lisibilité de la recherche, on peut se demander si le regroupement en grands laboratoires est toujours efficace. Le facteur de lisibilité déterminant demeure bel et bien le label CNRS, ce qui est un signe parmi d’autres de l’excellente réputation internationale de l’établissement. Les équipes censées être les cellules de base constituant ces grands laboratoires ne risquent elles pas de se fondre dans des thématiques très générales dans lesquelles ni leur spécificité, ni leur compétence ne seront correctement identifiées ? Si la pertinence d’une telle organisation s’applique effectivement à certains domaines, est-ce pour autant la bonne solution partout ? Là encore sont menacées non seulement les disciplines ou thématiques minoritaires mais encore celles qui n’entreront pas dans le moule.
Ce qui apparaît évident, c’est que la conjoncture pousse à regrouper, ou plutôt à mutualiser certaines fonctions. Mais alors, pourquoi ne pas entamer la réflexion par ce côté du problème ? Quelles sont les fonctions mutualisables ? Si certaines le sont assez facilement, d’autres le seraient au péril de l’activité de recherche.
Sur les fonctions à mutualiser, ont été évoquées : Par exemple, la gestion des labos, Labintel, la mise en place de sites Web. On observe que depuis quelques années, les tâches d’administration et de gestion sont de plus en plus déléguées vers les labos. Pour y faire face, il faudrait, nous dit-on, de véritables gestionnaires au sein des laboratoires. Mais ce gonflement des responsabilités administratives des labos est-il cohérent avec l’objectif de mutualisation ? Le deuxième point important soulevé a porté sur le mode de mutualisation. N’y a t-il pas d’autres formules plus souples pour faire des économies d’échelle que de créer de gros labos, par exemple en passant par la mise en commun de certains services offerts à plusieurs labos ?
Le rôle du Directeur de laboratoire Les fonctions du « super » directeur ne sont pas apparues d’une claire évidence, notamment dans l’arbitrage des intérêts en présence au sein du laboratoire, dès lors qu’il chapeaute plusieurs équipes. Il semble que son rôle serait renforcé. Si oui, dans quel sens en termes d’affectation de personnel, de dotation, de répartition de crédits, de responsabilité du personnel ?
Par ailleurs, face au risque que ne se constituent des baronnies, on met en avant le lien fort entre les directeurs et le CNRS au niveau central. Mais n’y a t-il pas aussi à mettre en place d’autres outils permettant d’associer davantage les équipes constituant le laboratoire, par exemple des modes de décision collégiale au sein des instances telles que le conseil de laboratoire, ou l’assemblée générale.
Conclusion Nous l’avons vu, la nécessité de réformes, tant circonstancielles que de fond, est évidente et nous comptons sur la volonté de la direction de les mener à bien. Mais entreprendre une réforme de l’ampleur de celle envisagée risque de rendre l’organisme vulnérable en un temps où tout affaiblissement, guetté avec impatience par les sphères d’influence traditionnellement peu favorables à notre organisme, pourraient lui être fatal. A l’heure actuelle, aucune analyse approfondie des dysfonctionnements invoqués n’est véritablement disponible : il serait souhaitable de disposer par exemple du rapport de l’IGF pour se faire une opinion précise. Une chose est sûre : le CNRS, avec les quelques défauts qu’on lui connaît, demeure irremplaçable. Parce qu’unique en son genre (tant dans sa conception que dans son importance), parce que sa souplesse de fonctionnement, si on le compare à d’autres établissements plus « militarisés » ou « hiérarchisés » ou « opaques » permet que s’y développe et y prospère l’usage bien compris de l’intelligence collective couplée à l’initiative individuelle. Parce que son prestige à l’étranger n’est pas dû au seul exotisme. Parce que ses résultats, mis bout à bout, sont impressionnants. Parce qu’un organisme, né à la veille de la guerre sur un constat de carence de la recherche universitaire, qui a pu atteindre à son importance actuelle malgré des modifications permanentes des politiques de recherche recèle forcément dans sa structure profonde le secret de sa vitalité.
A l’heure où les contours de la recherche européenne commencent à se préciser, il nous semble que le CNRS, loin d’être un point faible, est au contraire un atout à faire valoir et un modèle à proposer, voire à exporter. Pas plus qu’il ne faut jeter le bébé avec l’eau du bain, il ne faut accorder une importance excessive à des dysfonctionnements qui sont en fin de compte peu de choses comparés à ceux qui affectent trop souvent d’autres grands organismes moins soumis au feu roulant de la critique.