Quelle programmation de la recherche jusqu’en 2010, quel budget 2005 ?
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, le 21 mai 2004Les Etats généraux discutent des réformes à mettre en œuvre afin que la recherche française soit plus efficace et irrigue mieux toutes les activités du pays. Mais il convient en même temps de d’obtenir les moyens financiers et humains de ces réformes.
Le gouvernement a promis un milliard pour la recherche pour 2005. Ce milliard est faible, vu le "trou" 2002-2003 et la faible croissance du PIB depuis 2002. Mais il peut être une base de départ, à trois conditions : que le gouvernement prenne des dispositions complémentaires pour mettre à niveau le taux d’encadrement des étudiants et la réhabilitation du patrimoine universitaire, qu’il relance la politique de recherche privée et industrielle, et que l’effort de croissance se poursuive jusqu’en 2010.
On ne peut demander un milliard de plus sans dire pour quoi faire. Et l’exercice est difficile avant les conclusions des Etats généraux. Le texte qui suit prend un certain nombre d’options générales, qui sont souvent en accord avec les tendances partielles qui ressortent actuellement des EGR régionaux. Il ne vise pas à anticiper des choix mais à donner des ordres de grandeur, pour que chacun puisse approximativement chiffrer des propositions qui pourraient être autres.
1- Porter à 1 % du PIB l’effort de recherche publique civile.
La France s’est engagée à respecter la directive européenne recommandant de porter à 3 % du PIB l’effort de recherche en 2010 (un peu plus de 2 % aujourd’hui), avec comme répartition indicative : 1 % pour le public et 2 % pour le privé. C. Haigneré avait estimé qu’avec "0,95 % du PIB pour la recherche publique actuellement"(récemment, F. d’Aubert a parlé de 0,9 %), on a déjà atteint l’objectif prévu pour 2010, et qu’il convient donc de porter l’effort uniquement sur la recherche privée (1,25 % du PIB actuellement).
Comme l’a souligné le commissaire Busquin, le 1% à atteindre dans le public se réfère à la recherche publique civile. Or, contrairement aux autres pays d’Europe, la France et la Grande-Bretagne consacrent 25 % de leurs crédits publics de recherche à la recherche militaire. De plus, contrairement à tous les autres pays, la France finance le nucléaire (classé dans le "privé" en GB), le spatial et les subventions à l’aérospatiale sur ses crédits de recherche publique. En réalité, à périmètre comparable aux autres pays (donc hors militaire, nucléaire et spatial, soit 0,2 % du PIB), c’est moins de 0,60 % du PIB que la France consacre à la recherche civile publique, au sens "européen".
Ce chiffre peut être obtenu autrement. Le BCRD représente 8,7 ME (milliards d’euros) en 2002 (LFI), pour un effort total de recherche de l’ordre de 33 ME représentant lui même 2,2% du PIB. Le BCRD représente donc 0,58 % du PIB. En fait, le BCRD ne représente ni tout, ni que l’effort civil public civil. En fait, comme on a dit plus haut, il faut retrancher
le nucléaire et activités industrielles du CEA : 80 % des 0,92 ME de ses crédits de recherche civile ;
le spatial dans sa composante industrielle et diverses subventions : la subvention à l’aéronautique civile, soit 266 millions d’euros (mE) toujours en 2002 et 80 % des 1,15 ME du CNES.
Il faut au moins retrancher 1,9 ME, total sous-estimé car ne tenant pas compte des divers services, peu liés à la recherche, mais incorporés depuis 15 ans au BCRD pour gonfler le budget.
Inversement, le BCRD ne prend pas en compte les salaires dans les universités (4 ME). En considérant le mi-temps "recherche" des enseignants-chercheurs, et sous l’hypothèse que 70 % des enseignants-chercheurs font de la recherche (chiffre CPU), il peut être considéré qu’un enseignant représente, en moyenne 0,35 équivalent temps-plein "recherche" et donc que les 51000 enseignants chercheurs représentent l’équivalent de 17800 chercheurs temps-plein. De plus 20 % des IATOS sont dans les laboratoires. Au total cela représente 1,8 ME.
En conclusion, 8,7 ME représente un chiffre par excès de l’effort civil de recherche en 2002 soit 0,6 % du PIB, qu’il convient de porter à 1% en 2010. D’autres évaluations, conservant le militaire, le spatial ou le nucléaire dans la recherche publique, proposent de passer de 0,9-1 % du PIB actuellement à 1,5-1,6 % en 2010, ce qui conduit à une croissance très voisine.
2- Périmètre d’application
2.1- Par définition, le BCRD ne représente pas la recherche des entreprises, à l’exception de certaines aides de l’Etat. Augmenter l’effort de recherche privé, et le tripler dans les nouvelles technologies et la création de PME innovantes, suppose des initiatives (obligation faite aux assurances d’investir une fraction de leurs placements dans ce secteur, instauration de "contributions volontaires" aux actions du FRT ou aux Fondations à finalité technologiques pour les entreprises consacrant peu à la recherche, reformulation du "crédit d’impôt", etc.).
2.2- L’effort de recherche interfère - mais ne se confond pas - avec l’effort à effectuer dans l’enseignement supérieur. La France consacre 1 % du PIB à l’enseignement supérieur contre 3 % aux USA ; elle est le pays développé qui consacre le moins d’argent par étudiant. De plus, la réforme LMD ne peut pas s’effectuer à moyens constants. Une programmation pour la recherche, incluant la recherche dans les universités, doit s’accompagner d’une programmation prenant aussi en compte les besoins directs de l’enseignement en enseignants et IATOS, l’entretien du patrimoine, les cités universitaires, etc. Seul l’aspect concernant la recherche des universitaires, et les moyens des universités pour la recherche est directement pris en compte ici.
3- Principes de calcul
La chute des CP de la LFI 2002, à celle de 2004, les annulations de crédits fin 2002 et en 2003, le gel puis le paiement en 2004 des CP 2002, conduisent à revenir à la LFI 2002 pour planifier l’accroissement de l’effort de recherche. Les CP 2004 n’ont qu’une signification conjoncturelle.
Pour gérer correctement le trou budgétaire des CP (crédits de paiement) de la recherche publique depuis deux ans (plus de 600 mE, voir annexe), la croissance de l’effort à faire a été calculée sur la LFI 2002. Pour passer de 0,6 % du PIB en 2002 à 1 % en 2010, il faut passer de 8,7 ME à 14,5 ME soit 5,8 ME à mettre en plus. Cette somme de 5,8 ME a été divisée en deux parties.
D’une part, une première et rapide mise à niveau des CP de 0,6 ME, répartie sur 2005 et 2006. Cela est indispensable pour 2005 car la recherche publique a vécu en 2004 avec les CP 2004 plus le dégel de 300 mE de CP 2002. Maintenir le niveau 2004, qui a pourtant conduit à la stagnation voire à la baisse des crédits des formations et à un retard sur le mi-lourd, nécessite donc 300mE.
D’autre part 5,2 ME répartie de 2005 à 2010 entre DO (principalement salaires) et CP. Cela suppose une croissance de 8 % par an des (DO + CP).
Tous ces chiffres ne prennent en compte ni l’inflation, ni la croissance du PIB. Il a été supposé une croissance moyenne du PIB de 2,5 % par an. Ce taux modeste n’a pas été appliqué pour toute la période 2002-2005, mais seulement pour 2004-2005.
TABLEAU
Il est donc proposé une croissance de 1,24 ME en 2005, rien que sur l’objectif "recherche civile publique". Cette progression de l’effort de recherche doit viser impérativement, pendant les deux premières années, à redonner une compétitivité aux moyens de nos laboratoires, une plus grande réactivité, et une plus grande ouverture à la recherche publique. Il faut aussi redonner une attractivité à nos métiers, attirer les meilleurs étudiants, ce qui passe par la situation matérielle et financière du doctorat et des carrières, les conditions, l’intérêt et la liberté du travail, et par un affichage de la croissance des recrutements stables dans le public et le privé.
4- Principes de répartition de la croissance
4.1- Un accroissement plus rapide des CP que des DO (salaires).
Partant d’une répartition globale CP/DO = 25/75 actuelle pour l’agrégat du § 1, il est proposé de donner la priorité au rétablissement de la compétitivité des labos et équipements et donc un rapport CP/DO de 60/40 dans la progression des budgets 2005 et 2006 soit 750 ME.
4.2- Répartition de la croissance des CP en 2005 (750 mE)
Pour partie(350 mE) il s’agit d’effecteur une étape pour rétablir les moyens au niveau des CP de la LFI 2002. Il faut rappeler qu’en 2004, les organismes et la recherche universitaire ont vécu sur les CP 2004 plus 300 ME des CP 2002 payés en retard. Pour seulement maintenir en 2005 le niveau médiocre de l’an passé, où les crédits avaient baissé pour nombre d’équipes, il faut accroître de 300 ME les CP 2004. Ces sommes relèvent de la politique des organismes et des universités, et est donc distribué en fonction de leur politique.
Pour l’autre partie (400 mE) la répartition se fait sur une base sélective et/ou structurante pour aider à la mise en œuvre des mesures préconisées par les EGR. Les exemples donnés ci-dessous, à titre strictement personnel et indicatif, ont pour seul but d’aider à ce que chacun explicite qualitativement et quantitativement les priorités qu’il souhaite et qui peuvent évidemment être très différentes de celles qui suivent :
100 mE ( de l’ordre de grandeur des CP de l’INSERM) de choix disciplinaires, par exemple pour commencer à rattraper le retard d’investissement en biologie, médecine (secteurs où le coût de la recherche a le plus monté), en environnement, et pour les laboratoires d’autres disciplines qui y contribuent ;
100 mE pour les équipements lourds et mi-lourds collectifs (plates-formes, Maisons des Sciences de l’homme, etc.) ;
50 mE sur le FRT (ou ce qui le remplacera) soit environ + 50 % pour favoriser les coopérations public-privé, notamment avec les PME innovantes ;
50 mE pour appuyer quelques expériences universitaires en fonction des conclusions des EGR ;
50 mE pour favoriser les coopérations inter-organismes ou la pluridisciplinarité (à repenser dans le cadre du devenir des programmes du FNS et de ceux de chaque organisme) ;
50 mE pour des équipes nouvelles ou des "ATP blanches" (à repenser dans le cadre du devenir de certaines ACI du ministère, des Atipes actuelles ou des procédures jeunes équipes) ;
Ces diverses priorités doivent pour partie se refléter dans la répartition des DO.
4.3 - Répartition de DO (salaires) en 2005
Utiliser une partie des DO (250 mE) à :
* l’amélioration de la situation financière des doctorants, et la couverture sociale (y compris cotisation retraite) des "bourses" doctorales et "libéralités", ainsi que des post-docs,
* l’amélioration des carrières, notamment de leurs débuts, suivant des modalités à discuter et à chiffrer : suppression ou raccourcissement du temps de passage des premiers échelons, meilleures validation des services antérieurs, modification de la grille indiciaire, assouplissement du passage CR2/CR1, etc. Les départs importants en retraite de personnes en fin de carrière devraient, en quelques années, aussi permettre un fort déblocage des carrières, mais cet aspect reste aussi à chiffrer.
Utiliser l’autre partie (250 mE) pour développer l’emploi, soit la création d’environ 2400 postes statutaires (hors besoins de l’enseignement), dont plus de la moitié ayant pour but de permettre aux universitaires de faire davantage de recherche, l’autre moitié visant principalement à répondre aux besoins en techniciens et ingénieurs. La troisième option forte est de créer un volant de "supports budgétaires" pour répondre au besoin de réactivité sans tomber dans une politique de CDD.
(a) Une croissance symbolique des chercheurs EPST et des personnels effectuant des activités du même type dans les EPIC (1 %), mais une croissance significative des IT pour les labos "mixtes" ( » 3 %), étant donné que pour des années encore, les créations d’IATOS seront surtout utilisées pour couvrir les besoins de fonctionnement et d’enseignement des universités, ou pour intégrer les CDD qui correspondent à des besoins permanents.
(b) Un renforcement considérable du temps affecté à l’activité de recherche des enseignants-chercheurs.
(i) Constitution en 6 ans d’un volant de 3600 postes budgétaires dans les organismes, donnant, en plus des "délégations" actuelles, près de 10 000 possibilités d’accueil d’universitaires à mi-temps de longue durée (4 ans à mi-temps ou deux ans à plein temps). Ces 3600 postes étant budgétaires, ils doivent libérer autant de possibilités de recrutements statutaires dans les universités.
(ii) La création de 500 emplois par an (portés progressivement à 1000 par an pour le futur, avec le progrès de la réforme des universités) d’enseignants-chercheurs, sur les seuls critères de recherche, qui, avec les propositions (iii), contribuera à :
* réduire de moitié le temps de service des jeunes MC durant trois ans ;
* permettre à un E-C n’ayant pas de laboratoire de sa discipline dans son université, d’effectuer sa recherche dans une autre, avec diminution de service d’enseignement ;
* diminuer progressivement le service d’enseignement pour tout universitaire (E-C ou PRAG) attestant d’une activité de recherche (membre d’une équipe évaluée ou une évaluation personnelle).
(iii) Plusieurs facteurs accroîtront les marges de manœuvre des universités pour les années sabbatiques ou pour l’accueil : la création d’emplois d’IATOS qui déchargera aussi les universitaires de tâches administratives, une participation plus grande des chercheurs à l’enseignement et l’accroissement des services des universitaires qui ne veulent faire ni recherche, ni administration.
(c) Forte progression des supports financiers permettant de donner une réactivité des organismes et des universités, sans développer la précarité :
possibilités supplémentaires pour accueillir des scientifiques étrangers (de tout niveau et de toute durée) ou du secteur privé dans les organismes et les universités.
accroissement des ATER (en donnant à ceux-ci un demi-service pour un salaire plein) et "stagiaires d’organismes" (entre thèse et thèse +2).
développement des postes d’accueil pour universitaires déjà mentionnés.
Le nombre des doctorants, stagiaires et ATER doit être en rapport avec les débouchés prévisibles de façon à abaisser l’âge de recrutement (33 ans en moyenne pour CR+MC en 2002).
4.4. Exemple
Postes statutaires
150 créations chercheurs EPST (1 % de croissance, 5 à 6 % en recrutement : 1000 environ)
800 créations IT EPST(3,2 % de croissance, 8 % en recrutement : 2000 dont >1000 IE et IR)
100 créations dans des EPIC,
150 accueils temps plein d’universitaires dans les organismes, libérant 100 emplois statutaires dans les universités (50 dans secondaire : SHS),
500 postes d’accueil pour 1000 universitaires mi-temps, libérant 500 emplois statutaires dans les universités,
500 emplois enseignant-chercheur créés pour favoriser la recherche des E-C, auxquels s’ajoutent 600 recrutements supplémentaires d’E-C par les postes libérés par l’accueil dans les organismes
200 IATOS
Supports budgétaires
500 "supports budgétaires" pour accueil d’étrangers dans les organismes et universités,
1000 stagiaires : 500 stagiaires d’organisme (entre thèse et thèse +2) et 1000 ATER post-thèse pour notamment commencer à améliorer leur situation (payés plein-temps pour un demi-service).
400 allocations de recherche ; en accroître progressivement le nombre en fonction d’un plan pluriannuel de l’emploi scientifique.
4.5- Au total
Sur la base des besoins d’encadrement, donc hors du décompte recherche, il est suggéré : 1500 emplois enseignant-chercheur créés, 800 Iatos, 500 monitorats. Compte tenu de 2000 départs d’universitaires, cela porterait à 1500 + 500 + 600 + 2000 soit environ 4600 recrutements MC (taux de recrutement : 9 %). Au total, cela représente environ 2600 recrutements niveau thèse (chercheurs et ingénieurs) et 4600 recrutement dans l’université soit un total de 7200, hors besoins du secteur privé. Pour maintenir la meilleure qualité possible du recrutement, il faudra :
- faire tout de suite une large publicité pour favoriser le "retour" des expatriés, pour les quels les "aides au retour" devraient être renforcées ;
- faire un effort considérable pour attirer à moyen terme, les élèves et étudiants vers les carrières de recherche et d’enseignement supérieur ; accroître la nombre d’allocations en conséquence ;
- accroître progressivement le taux d’étrangers recrutés, vu qu’on va manquer d’ici peu d’années de docteurs dans nombre de disciplines, et créer de bourses attractives pour les étrangers au niveau des "masters".
Ces chiffres ne sont pas à prendre ou à laisser. Ils visent d’abord à attirer l’attention sur le fait qu’il est indispensable que des demandes budgétaires fortes "remontent" des EGR. Rien n’indique pour l’instant que le gouvernement ait l’intention de tenir ses promesses (même "le milliard pour 2005). Et il est peu vraisemblable qu’il propose lui-même une programmation qui ressemble, de près ou de loin, à celle de ce texte, même si nombreux sont ceux qui la trouveront insuffisante. Il ne faut pas se leurrer : la bataille budgétaire est devant nous. Et pas seulement pour cette année.
Henri-Edouard Audier, Directeur de recherche CNRS