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P.Pouletty en a rêvé, C.Haigneré l’a fait...

Quelques commentaires peu révérencieux sur le récent discours de Mme la Ministre de la recherche au sujet des fondations

La privatisation de la recherche publique est en marche...

Par Michel Weinfeld, le 15 septembre 2003

Pas capable (ou pas désireux) de financer la recherche publique à la hauteur des enjeux qu’elle affronte, le gouvernement propose de passer la main à des fondations privées. La Ministre de la recherche a donné le coup d’envoi d’une politique de privatisation qui aura des conséquences difficilement réparables.

Les quelques commentaires qui suivent n’ont évidemment pas du tout la prétention d’aller au fond du sujet soulevé par cette consternante mode des fondations, qui représente un constat flagrant : l’absence de la volonté politique forte d’une recherche publique de qualité, et dans tous les domaines.

La première partie du discours est consacrée au colloque proprement dit, elle est omise ici. (Discours prononcé le 8 septembre 2003 à l’occasion du colloque célébrant les 20 ans de la fondation IPSEN*).

Le texte du discours est en italiques.

...Mais je n’oublie pas que l’événement qui nous réunit aujourd’hui est un anniversaire : celui d’IPSEN qui, depuis 20 ans, participe à l’essor des connaissances médicales et scientifiques en organisant de tels colloques. C’est pour moi également l’occasion de dire tout l’intérêt que je porte à ce statut particulier des fondations, c’est à dire à ces structures qui fédèrent autour d’un objectif ambitieux, noble, généreux et désintéressé toutes les énergies ; celle des laboratoires et des scientifiques qui trouvent là un environnement propice à leur recherche,

Cette description si exagérément idyllique des fondations est tout particulièrement affligeante. Et remplacez « fondations » par « EPST », juste pour voir : ces organismes suscitent-ils autant le lyrisme de la ministre ?

celle des entreprises qui s’engagent sur des projets ambitieux de long terme,

…ce qui reste à voir. Il y a aussi des entreprises qui financent des trimarans de course, ce qui est de l’assez long terme, mais ne remplit nullement un objectif philanthropique. Les fondations existantes sont souvent un outil commercial, renforçant ou faisant la promotion d’une image de marque et de produits. L’industrie pharmaceutique, par exemple, est assez connue pour savoir dépenser beaucoup d’argent afin d’en récupérer encore bien plus, et sans aucun dévouement particulier à la noble cause de l’humanité (ou de l’humanisme), mais bien plutôt à la cause sacrée des actionnaires.

celle des citoyens enfin qui à travers elles participent par leurs dons au progrès de la science et de l’humanité.

Moi, citoyen, je paye des impôts destinés en particulier à financer les organismes de recherche et leurs personnels, et je participe à la mission de l’un de ceux-ci, qui consiste spécialement à faire progresser la science. Si ces impôts (dont la réduction démagogique est tout particulièrement inappropriée en ces temps de récession) étaient utilisés convenablement, les organismes de recherche ne seraient pas en difficulté.

Chacun connaît le rôle majeur que jouent les fondations, en particulier dans le monde scientifique et médical.

Cf. ci-dessus : la recherche, dans certains domaines, surtout médicaux, s’est habituée à vivre aussi de charité, et on ne mord pas la main qui vous nourrit.

La France doit encourager ces initiatives : notre pays, en effet, ne recensait en 2001 qu’un millier de fondations dont 500 sous l’égide de la Fondation de France. C’est trop peu comparé aux 12 000 fondations américaines ou aux 3 000 "charity trusts" britanniques… Et le mécénat et la philanthropie ne représentent en France que 0,1% du PIB soit 20 fois moins qu’aux Etats-Unis.

La recherche, à l’évidence, souffre de cette faiblesse et s’est trop longtemps privée d’un modèle particulièrement fructueux pour la recherche.

A l’évidence, il vaut mieux encourager les chercheurs à tendre la main que leur fournir les moyens institutionnels de leurs missions. C’est d’une bien autre faiblesse que souffre la recherche : la courte vue des politiques.

Le Ministère de la Recherche s’est donc préoccupé de cette situation. Tout d’abord, la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations améliore le régime des fondations qui se rapproche désormais de celui de nos voisins européens avec des mesures qui s’appliquent directement à la recherche.

Les avantages fiscaux ont été significativement améliorés : le montant de la réduction d’impôt a été porté à 60% des dons pour les particuliers comme pour les entreprises (contre, respectivement, 50% et 33% auparavant).

Le plafond ouvrant droit à cette réduction double (passant à 20% du revenu imposable pour les particuliers et cinq pour mille du chiffre d’affaires pour les entreprises) ; l’effet de plafond est atténué par l’autorisation de report de la réduction fiscale sur 5 ans.

En outre, l’abattement au titre de l’impôt sur les sociétés consenti aux fondations d’utilité publique triple (de 15 000 à 50 000 euros). La loi autorise également les héritiers à déduire des droits de succession le montant de leurs dons aux fondations.

Enfin, les nouveaux statuts-types permettent une grande souplesse de fonctionnement.

Bref, ces mesures constituent une avancée considérable pour les fondations et un engagement déterminant de l’Etat !

Que l’État s’engage, c’est bien. Mais que ne s’engage-t-il pas plutôt résolument et avec détermination dans le soutien direct de ses propres organismes de recherche ?

Pour donner son plein effet à cette réforme, le gouvernement souhaite encourager la création de nouvelles fondations consacrées à des thématiques de recherche qui ne sont pas encore couvertes par les fondations existantes.

Dans le cadre du budget 2004, j’ai donc l’ambition de lancer de grands programmes de recherche, sur des causes d’intérêt général comme la santé, l’alimentation, l’eau, l’air, le sol, l’énergie.

Bien entendu, il ne serait pas raisonnable de lancer ou de soutenir des recherches trop peu rentables du point de vue de « l’intérêt général » : il y a tant de domaines scientifiques en dehors de celui-ci qui intéressent si peu de monde ! Il y a d’autres pays qui collectionnent les prix Nobel sur ce genre de sujets, laissons-les faire si ça leur chante, mais évitons les gaspillages chez nous (et d’ailleurs, contrairement aux prix littéraires, qui rapportent de l’argent aux auteurs et surtout aux éditeurs), quelle rentrées procure un prix Nobel aux institutions ?

Je souhaite que des fondations comme IPSEN, viennent se joindre à ces projets et contribuer à forger leur succès.

Parallèlement mon Ministère présentera avant la fin de l’année une liste de recommandations en direction des Fondations de recherche.

J’ai surtout décidé la création d’une cellule Fondations pour apporter un accompagnement à la création de fondations, pour animer le réseau des fondations et accroître leur visibilité auprès de la communauté scientifique comme du grand public.

Enfin, nous réfléchissons à des mesures fiscales supplémentaires et spécifiques aux Fondations de recherche.

Par le rapprochement qu’elles permettent entre le public et la recherche, ces fondations de recherche sont au cœur de notre politique.

Y a-t-il autre chose « au cœur de la politique » du ministère de la recherche ? On serait heureux de l’apprendre.

Elles permettent, en un mot, de renforcer l’investissement en recherche et de pérenniser des pôles de compétence dans la recherche publique tout en fédérant les énergies autour de causes proches des préoccupations des citoyens. Elles sont aussi un élément important de l’attractivité de notre pays et de son rayonnement dans le monde et permettent de replacer la recherche dans la concurrence internationale.

Ici aussi, remplacer « elles » (les fondations) par « ils » (les EPST) : instructif, n’est-ce pas ? Ce discours est souvent plus significatif par ce qu’il omet que par ce qu’il énonce. La pérennisation « des pôles de compétence dans la recherche publique » ne pourrait-elle pas provenir de la volonté publique, qui dispose de tous les outils idoines ? La recherche française est-elle si en dehors de la « concurrence internationale » pour qu’il faille des fondations pour l’y « replacer » ? Son rayonnement et son attractivité sont-ils si faibles ? Non, trois fois non. Mais on peut craindre que ces questions deviennent fondées si la politique suivie aujourd’hui se confirme et se poursuit.

Elles sont enfin un lieu de partage entre scientifiques, industriels et citoyens.

La Fondation IPSEN nous montre la voie par son engagement au service de la science.


A titre de travaux pratiques, je vous propose de remplacer dans le discours, les mots « recherche » ou « science » par « justice » ou « police », ou encore « enseignement », « santé » ou même « forces armées »… Pourquoi en effet s’obstiner à grever le budget de l’État par les dépenses que suscitent ces grandes fonctions de la société, alors qu’on pourrait si bien faire appel à des fondations pour financer les tribunaux et rétribuer les juges, ou engager des mercenaires révocables à tout moment alors que l’on ne peut licencier les militaires, etc. ?

La logique, surtout en ces temps où les ressources sont difficiles à trouver, serait d’étendre la politique du ministère de la recherche (le cœur de sa politique, même) à beaucoup d’autres domaines dont la puissance publique a la charge. Je livre l’idée gratuitement à qui voudrait l’appliquer.

PS : le 24 juin 1986, M. Jean Foyer avait déposé à l’Assemblée nationale un projet de loi relative à la recherche scientifique publique (c’était l’époque où le Comité national de la recherche scientifique avait été dissous par le ministre de la recherche...), dans lequel on pouvait lire :

Art 4 : Les compétences du CNRS sont exclusivement les suivantes il attribue, par l’intermédiaire des fonds mentionnés à l’article 10, aux établissements d’enseignement supérieur et aux instituts prévus à l’article 15, les moyens financiers contribuant à la réalisation des programmes de recherche retenus. Il agit par voie de contrat.

Art 10 : Les interventions du CNRS s’effectuent par l’intermédiaire de fonds. Ces fonds sont définis par grands objectifs de recherche. Ils sont créés par le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, après avis du conseil du centre national de la recherche scientifique.

Des fonds aux fondations, les concepts ont beaucoup avancé en 18 ans… Notons au passage que M. Foyer proposait donc de transformer le CNRS (et l’INSERM) en agence de moyens, tous ses personnels étant reversés dans les corps des personnels universitaires. Attendons un peu, notre gouvernement va peut-être relire plus en détail ce projet de loi…

*IPSEN : Institut de Produits de Synthèse et d’Extraction Naturelle (anciennement laboratoires Beaufour)