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ORGANISATION DU SYSTEME DE RECHERCHE : mesures dangereuses et contre-propositions.

Par Alain Trautmann, le 25 mai 2004

Les Etats Généraux avancent au sein de Comités Régionaux indépendants qui n’ont pas encore rendu leurs conclusions. Je fais ici des propositions qui sont bien entendu ouvertes à la discussion. Je le fais sans attendre car il m’apparait difficile de trouver des accords sur tout, mais aussi de rester silencieux, ou simplement défensif, face à la multiplication de propositions et projets présentant des convergences frappantes et qui m’apparaissent dangereuses.

- La Recherche est ... fondamentale

L’activité de recherche comprend différents aspects, de production de connaissances, de leur transmission, de leur valorisation dans des applications. Si ces aspects sont complémentaires, on peut aussi choisir de mettre l’accent sur un de ces aspects au détriment des autres. Il existe actuellement une tendance nette à mettre en avant la valorisation. On parle volontiers de "Société de la connaissance", dans laquelle recherche, innovation et développement sont fortement liés, ce qui est exact, mais n’épuise pas pour autant tous les aspects importants de la recherche. Il nous parait nécessaire d’insister sur les fonctions non utilitaristes de la recherche fondamentale, pour sa contribution à la formation et pour le développement des connaissances, sans autre objectif, même à long terme. Ces pré-requis ont des conséquences sur les propositions d’organisation du système de recherche-enseignement.

- Tout miser sur des pôles régionaux et l’affaiblissement des organismes de recherche ?

Comme le dit le projet Futuris, "C’est (...) au plan local qu’il est important d’agir pour développer les relations de proximité entre la recherche publique et le milieu économique, notamment dans de grands pôles régionaux." Le rapport du Medef daté du 29 mars 2004 va dans le même sens : "C’est dans une dimension de proximité (...) autour de thématiques sectorielles, que la recherche et le transfert de technologies doivent pouvoir se développer. Il s’agit de favoriser une structuration régionale de la recherche (...) et d’accroître l’autonomie des universités pour leur permettre une plus grande liberté de recrutement, de négociation contractuelle, de développment de partenariats." Dans cette optique, les entreprises et investisseurs doivent faire partie du comité de pilotage de ces pôles.

Il existe en France quelques rares pôles d’enseignement-recherche-valorisation, en particulier celui constitué à Grenoble, autour des micro- et nanotechnologies (Minatec). On peut souhaiter que d’autres pôles se développent, tout en rappelant que les pôles existants se sont bâtis lentement et à la suite d’initiatives locales, et qu’il est sans doute illusoire d’imaginer que l’on puisse décréter la mise en place un autre Minatec ici ou là. En outre, mettre TOUS les investissements sur ces pôles implique l’abandon au moins partiel d’une politique de recherche nationale, donc l’affaiblissement des grands organismes de recherche, et du CNRS au premier chef. Certains le proposent ouvertement. Ainsi, on lit dans le résumé du rapport de janvier 2004 du Conseil d’Analyse Economique (www.cae.gouv.fr) : "Les grands organismes scientifiques, depuis que leur mission initiale a été remplie, immobilisent des moyens, freinent les redéploiements, n’irriguent pas les universités et au total contribuent à la sous-productivité du système."

Le texte de la CPU daté du 6 mai met en avant le même paradigme : des universités autonomes, des organismes de recherche devant être réduits à la fonction d’agence de moyens, une définition de la politique de recherche largement régionale. Par ailleurs, ce texte est très silencieux sur question de la réforme du système de recrutement des enseignants chercheurs, question pourtant capitale si les universités revendiquent une position centrale dans la définition d’une politique de recherche.

Le projet "du NERF" propose la création de quelques pôles d’excellence, ou campus, les grands organismes devenant là aussi des agences de moyens. Le silence de ce texte porte, lui, sur la situation qui doit être faite aux laboratoires et aux universités hors des pôles d’excellence. La concentration de tous les moyens en quelques points ne risque-t-elle pas de créer un désert universitaire parsemé de quelques oasis ? En outre, ne court-on pas le risque d’agglutination des efforts de recherche sur quelques sujets à la mode, en laissant en déshérence des secteurs entiers de recherche qui seront très difficiles à relancer le jour où leur importance resurgira ?

Même les projets de réforme du CNRS (Mégie-Larrouturou) et de l’INSERM (Bréchot) insistent fortement sur la régionalisation de ces organismes : pour le CNRS, constitution de 8 pôles régionaux forts, correspondant à 8 "grandes régions", et pour l’INSERM, rassemblement progressif des unités de recherche de l’INSERM dans un petit nombre de centres de recherche, qui participeront à la constitution de pôles régionaux, et "contribueront à un aménagement élitiste du territoire national".

La régionalisation de la recherche et de l’enseignement est en marche partout. Le 17 mai 2004, le ministre de l’Agriculture, Hervé Gaymard a présenté un projet de réorganisation de l’enseignement supérieur agricole en 8 pôles ou sites. " L’objectif est de monter un système de formation et de recherche lisible et compétitif dans l’espace européen et mondial. (...) Il n’y a pas besoin de mettre des moyens supplémentaires. Nous créons seulement une synergie."

Un modèle de restructuration du système de recherche en France est donc en cours d’élaboration. Un de ses objectifs semble être de "remplacer" un important effort d’investissement public national, par un redéploiement des moyens sur des pôles régionaux dont la mise en concurrence garantirait la qualité, sans que soit analysée la situation des pôles qui ne gagneront pas la course. Dans ces conditions, le rôle des organismes de recherche devient très réduit, surtout si on ne leur donne pas les moyens de faire une politique scientifique. La règle devient : "big is beautiful". Il est symptomatique que le rapport du Conseil d’Analyse Economique définisse les universités en difficulté comme "les universités trop petites ou à fort taux d’échec". Ce que le budget de l’Etat ne mettrait pas dans l’investissement de recherche devrait être mis par les régions et par les entreprises participant aux pôles. Pourtant, le MEDEF a bien prévenu : "Les investissements des entreprises en R&D ne se décrètent pas. Et faire peser sur les entreprises une quelconque obligation quantitative serait se tromper de débat : ce sont bien les impératifs de compétitivité et d’acquisition de parts de marché, relayés par les actionnaires, qui déterminent les décisions des entreprises et rien ne saurait les contraindre à poursuivre un objectif politique européen, fût-il avalisé par les chefs d’Etat." (rapport du 29 mars). Même aux USA, les importants investissements privés dans la recherche résultent en bonne partie, en réalité, d’un transfert du soutien public aux entreprises innovantes, notamment dans le cadre de dépenses consacrées aux très importants programmes militaires. Le MEDEF indique que les entreprises investiront plus volontiers dans la recherche si ces investisements sont entièrement défiscalisés, cad s’il s’agit en fait d’affecter directement une partie de l’impôt à la recherche.

- Contre-propositions

Une relance de la Recherche publique en France est incompatible avec des moyens constants ou en faible croissance. Une réforme efficace des structures et de leur fonctionnement ne se fera pas sans une augmentation significative des moyens. La fraction actuelle du PIB affectée à la recherche publique civile (hors grands programmes) est de l’ordre de 0.6% et non de 1%. Quelles que soient les difficultés budgétaires, il faut un investissement effectif dans la recherche publique en accord avec les objectifs politiques affichés. La LOP devra chiffrer et planifier, année par année, l’augmentation de 0.6% vers 1% du PIB.

Il faut redonner son rôle d’impulsion et de coordination de toute la recherche française à "un grand ministère" qui devrait réunir enseignement supérieur, recherche et technologies. Son rôle serait de traduire les besoins économiques, culturels et sociaux, en termes d’objectifs de recherche. Par contre, ce ministère ne doit plus être un super-organisme gérant des fonds considérables et créant des cloisonnements supplémentaires dans un système qu’il faut simplifier.

Pour sauver la recherche, il faut sauver l’Université. Cette dernière, tout en disposant d’enseignants souvent excellents, est actuellement prise en tenaille entre les Grandes Ecoles (qui sélectionnent, statistiquement, les meilleurs étudiants) et les organismes de recherche (qui sélectionnent, statistiquement, les meilleurs chercheurs). Il faudra qu’une formation à la recherche soit introduite dans les Grandes Ecoles, et que des relations plus étroites soient établies entre elles et les Universités.

L’amélioration de la recherche à l’Université se fera par ailleurs en prenant appui sur l’association renforcée avec des organismes de recherche aux contours sans doute revus (en supprimant des fontières et non pas en les déplaçant simplement) et disposant des moyens réels de mener une politique scientifique, ce qui n’est plus guère le cas actuellement. Les organismes devraient donc être partie prenante dans une grande Agence de moyens, type NSF, qui pourrait être constituée d’une coordination inter-organismes. Il faut donc renforcer les organismes de recherche et non les affaiblir si on veut un appui solide pour dynamiser les universités. La création, dans les organismes, de nombreux postes d’accueil (à temps plein ou à mi-temps) pour enseignants-chercheurs, associée à un rapprochement des statuts des chercheurs et des enseignants-chercheurs constitueront des outils de cette dynamisation. Les questions fondamentales des ingénieurs et techniciens, de leurs missions, de leur nombre, de leurs statuts, ainsi que celle de l’évaluation de tous les personnels, méritent d’être traitées en profondeur, ce qui ne peut être fait ici, et le sera ailleurs. L’association université-organismes prendra forme notamment, mais pas exclusivement, dans des pôles de recherche pouvant inclure des activités de recherche finalisable.

Je suis favorable à la constitution progressive de pôles de recherche, qui doit être encouragée et facilitée. Mais il importe que ces pôles émergent au-dessus d’un tissu d’enseignement-recherche qui soit continu et non pas appauvri par les pôles. Par ailleurs, s’ill est banal de rappeler que le rapprochement des activités de recherche publique et privée peut se faire au niveau de tels pôles, je souhaite souligner qu’il existe un facteur culturel de rapprochement entre la recherche et ses applications sans doute encore plus important que le facteur géographique. Il faut que la thèse de doctorat soit valorisée et prise en compte par les entreprises, qui seraient incitées (y compris fiscalement) à embaucher des jeunes ayant une formation de recherche et non plus seulement des ingénieurs. La situation observée dans des pays comme l’Allemagne montrent qu’une telle prise en compte par les entreprises de la valeur du doctorat est très utile au rapprochement des activités de recherche publique et privée.

Il sera important de ne pas créer de discontinuités thématiques et de fonctionnement dans ce système. Pour la recherche : dès lors que l’activité d’une équipe est jugée de qualité (à la suite d’une évaluation exigeante et transparente), elle doit pouvoir disposer de crédits récurrents, et ne pas dépendre que de contrats sur projet. Pour l’enseignement supérieur il importera de proposer des solutions satisfaisantes pour les petites universités assurant uniquement les parties L et M de la formation. Elles pourraient chacune être en réseau avec un pôle de recherche en sorte que tous les enseignants-chercheurs soient rattachés à des labos présents dans des pôles de recherche.

Tout le monde s’accorde sur la nécessité de prendre un ensemble de mesures permettant de réduire la complexité du système et la lourdeur des tâches administratives : une seule tutelle responsable de la gestion d’une équipe ou d’un laboratoire donné, un même logiciel de gestion pour toutes les tutelles, une évaluation a posteriori, des contrats de type grant (suffisamment importants et longs pour assurer des moyens de travail décents). On pourrait aussi, comme le propose un rapport du Conseil Economique et Social de décembre 2003,"faire bénéficier les laboratoires et les organismes d’une comptabilité se rapprochant de celle des EPIC". Ces simplifications n’impliquent pas que l’on passe d’un système ultra-jacobin où le ministère de la recherche prétendait piloter en détail (mais sans la stabilité ni les compétences nécessaires) toutes les actions incitatives, à un système où l’Etat délèguerait soudain une part trop importante de ses responsabilités (y compris financières) à des pôles régionaux indépendants et concurrentiels.

La recherche en France, dans les années qui viennent, a besoin de plusieurs points d’appui : le niveau régional, auquel contribueront des universités plus autonomes en partenariat avec des acteurs de la vie économique locale, et des scientifiques qui seront les représentants régionaux d’organismes de recherche forts menant une politique nationale pour la recherche. Les deux niveaux devront s’inscrire dans une Europe de la Recherche à la construction de laquelle Sauvons la Recherche apportera sa contribution.

Alain Trautmann