Nouvelle brève
mercredi 20 septembre 2006.
Travail précaire, CDD et mobilité des migrants
Le recours aux multiples contrats (CPE, CNE, CDE) prônés par la loi dite "d’égalité des chances" ou aux CDD (de 3, 5 ou 7 ans) pour les post-doctorants recommandés par le patronat et nos eurocrates ministeriels est-il une innovation conceptuelle régressive visant à déstructurer un code du travail élaboré par 50 années de luttes sociales ? La lecture de l’ouvrage d’O. Pétré-Grenouilleau "Les traites négrières" (Gallimard, 2006) montre que loin d’être une innovation, il s’agit d’un mode d’emploi négrier de la main d’œuvre datant des années 1650. La corrélation entre le travail des migrants et sa dénomination post-moderne "mobilité" n’en est que plus évidente. Ainsi peut-on lire (p. 58) "Les travailleurs blancs sous contrat" (les passages en italique sont de moi) :
" Quant aux engagés blancs, aux travailleurs sous contrat, il s’agissait de pauvres gens partis de métropole dans l’espoir de se construire un avenir meilleur dans les colonies. Incapables de se payer leur voyage, ils acceptaient de se donner à un colon pour une durée comprise entre trois ans (dans les colonies françaises) et cinq à sept ans (dans les colonies anglaises). Le tout pour un modeste pécule (en argent et/ou en nature) versé au terme du contrat par le colon les ayant embauchés. Ils pouvaient espérer s’installer ensuite à leur compte, s’ils avaient survécu. … David Galenson, qui a dépouillé plus de 20 000 contrats d’engagés conservés à Londres, estime qu’ils correspondent à 6% des travailleurs sous contrat des années 1654-1775, ce qui donne une idée de l’ampleur de ce phénomène. Il ajoute que l’efficacité de ce type de travail était beaucoup plus grande qu’on ne l’imagine habituellement." Et pour que nos bureaucrates et responsables de labo qui embauchent sur contrats ANR se rendent compte de la "modernité" de leurs conceptions, il suffit de lire la note 3 (p. 59) consacrée à l’auteur (M. L. Bush) de "Servitude in Modern Times" qui "note avec raison qu’à la différence de l’esclavage pour dette, qui était partie intégrante du système de crédit de nombreuses sociétés traditionnelles non européennes, le travail sous contrat fut au contraire créé par le colonialisme européen afin de fournir le travail migrant".
Maintenant, vous pouvez vous "amuser" à remplacer dans les textes qui précédent "métropole" par "pays de l’Est ou du Sud" et "colonies" par "laboratoires des pays du Nord et de l’Ouest" et vous retrouverez le "brain drain" auquel on assiste et que nos gouvernants veulent "réguler" (loi Sarkozy sur l’immigration sélectivement choisie). Vous pourrez aussi y voir l’afflux de travailleurs migrants sans qualification (latinos buttant sur le mur que les USA érigent sur leur flanc sud, africains s’échouant sur les pages d’Espagne). Pour les premiers (nos chers post-docts), les conditions du traitement (c à d de la traite moderne) se sont relativement humanisées (par exemple, le pécule et le voyage ne sont plus payés en nature), mais pour les seconds les conditions sont tout autant effroyables. Traitement de "classe" différencié ? Luc Brossard, DR CNRS retraité