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Lettre à mon député, Mr Philippe Goujon..

jeudi 18 octobre 2007.

Lettre à mon député, Mr Philippe Goujon...

Monsieur le député,

Résident depuis tout juste un an dans le 15ème arrondissement, je tiens à vous écrire cet e-mail pour vous faire part de mon inquiétude quant à la direction que prennent les décisions ou projets que le gouvernement met en place dans le domaine de la recherche. J’appartiens moi-même à la catégorie des « jeunes chercheurs », étant actuellement en postdoctorat à l’Ecole des Mines de Paris, dans un laboratoire de recherche en matériaux, après avoir passé un an au Canada dans le cadre d’un autre séjour postdoctoral. Pour en venir au fait, les inquiétudes dont je désire vous faire part ne sont pas simplement les miennes mais également celle de la plupart – sinon de la totalité – des chercheurs que je côtoie quotidiennement. Il n’est pas question ici d’entrer dans les détails, des gens bien plus compétents que moi ont eu l’occasion de s’exprimer de la part de la communauté scientifique, et avec l’autorité « démocratique » conféré par l’ampleur du mouvement « Sauvons la Recherche ». Force est de constater, cependant, que la recherche française ne va pas mieux et que les décisions qui se dessinent n’incitent pas à espérer une amélioration de la situation. Concrètement, la recherche est une activité particulière, et je voudrais, si vous me le permettez, vous faire part de quelques réflexions. Il existe deux types de recherche, appliquée ou fondamentale, pour faire court, les deux étant parfois intimement mêlée. La recherche « appliquée » a généralement des objectifs essentiellement technologiques, alors que la recherche fondamentale vise à l’amélioration de nos connaissances et de notre compréhension. Incidemment, à long terme, la recherche fondamentale est celle qui fait la différence au plan industriel. Les découvertes fondamentales d’hier sont la source des applications technologiques d’aujourd’hui. Par exemple, les détecteurs de physique des particules servent à présent au diagnostique médical, et la physique quantique développée par une bande de génies un peu « déconnectés » du réel au sens de la vie sociale – aurait-on pensé alors – est à la source de toute la microélectronique et explique le comportement de la matière qui nous entoure. La mécanique quantique, à travers ses applications, représente pas moins du tiers du PIB américain. Voilà le poids de la recherche fondamentale… à long terme. A court terme, c’est un investissement à perte. Dans les pays riches tels que le Japon, les Etats-Unis, ou de grands pays en développement tels que l’Inde et la Chine, l’heure est à l’investissement massif dans la recherche fondamentale. La France est loin du compte. Et comme nous n’avons pas de pétrole, si nous cessons d’avoir des idées… Nous sommes en train de prendre un retard réel dans ce domaine qui pourrait, à moyen ou long terme, menacer gravement la compétitivité de notre pays dans le secteur industriel. Outre ce risque à plus ou moins long terme, que penser d’un pays qui se veut une lumière pour les nations mais n’investit pas dans la recherche scientifique, seul moyen de levier capable de résoudre les problèmes mondiaux ? Bien qu’il ne suffise pas, de toute évidence, s’il n’est pas promu par des engagements politiques et économiques forts. Mais ce n’est pas l’objet de mon propos. La recherche fondamentale en France est très majoritairement conduite pas les organismes publics, peu d’entreprises pouvant se permettre d’avoir des activités dans ce domaine – ce n’est du reste pas dans la culture de notre pays contrairement, par exemple, aux Etats-Unis, où de grands groupes industriels investissent parfois massivement dans la recherche fondamentale. La France n’a pas cette force de frappe et si l’Etat se désengage, le vide créé par ce retrait ne sera pas comblé par les industriels : il sera suivi d’une perte pure et simple de nos capacités dans ce domaine, grevant l’avenir de notre pays. L’enjeu ici est crucial, et les mots et les chiffres ne changeront rien à la réalité de notre avenir. Ce qui m’alarme particulièrement est un ensemble de choses : 1) la recherche est de plus en plus orientée vers de l’applicatif, son budget étant réparti via les ANR dont un certain nombre servent à financer de la recherche appliquée : des fonds publics sont ainsi investis au service de la recherche de certaines entreprises. Des collègues du domaine pharmaceutique m’ont fait part de leur indignation quand ils ont constaté que certains grands groupes pharmaceutiques font mener leur recherche sur les fonds publics, via les ANR, entre autres choses. 2) ces ANR représentent une recherche à moyen terme – 3 ans – qui ne permet pas de mener à bien des études nécessitant parfois des temps beaucoup plus longs. 3) les ANR sont pilotés par des non spécialistes. De manière générale, s’il est effectivement nécessaire d’effectuer un certain « contrôle » des thèmes de recherche pour éviter d’éventuels (mais rarissimes) « délires », cela ne peut s’imaginer que par des gens à même de comprendre les thèmes abordés. En outre, l’histoire des sciences le montre de façon répétitive, les grands génies ne sont pas ceux qui suivent le flot mais bien au contraire ceux qui s’en extraient pour penser différemment. Un certain nombre de grands chercheurs français, décorés de la médaille Fields, du prix Nobel ou de la médaille d’or du CNRS, ont obtenu des résultats après dix ou vingt ans d’efforts rendus possibles par la structure même de la recherche française qui laisse une grande liberté aux chercheurs quant au contenu de leurs travaux. Les idées ne se décrètent pas, ne s’achètent pas (ou alors très chères et quand il est trop tard pour les avoir nous-mêmes) et les découvertes, par définition, ne se planifient pas. Le propre de la recherche, c’est l’inconnu et donc l’incertitude, le risque et l’originalité. 4) Une mesure très concrète a, paraît-il, été évoquée, qui voudrait rapprocher les thésards de l’industrie en leur demandant de remplir des fonctions de consultants pendant la durée de leur thèse. Les thèses françaises sont déjà parmi les plus courtes du monde, si l’on doit encore enlever au temps de recherche des doctorants un temps consacré à des problèmes industriels, le volume horaire consacré à la recherche française par les chevilles ouvrières que sont les thésards va se réduire à une peau de chagrin. La question se pose à présent : quelle est votre volonté, personnelle en tant que député, mais également en tant que majorité, vis-à-vis de ces questions ? L’enjeu est énorme, il engage notre avenir mais également celui de nos héritiers à plusieurs titres (aventure intellectuelle, rayonnement international, stratégie industrielle). Les chercheurs eux-mêmes sont volontaires pour se réformer, conscients des besoins en ce sens. Ce sont des personnes naturellement entraînées à la réflexion rationnelle quand ils abordent des problèmes, connaissant bien ( !) la recherche et ses impératifs, sachant ce qui fait la force et l’originalité (qui sont une seule et même chose dans ce domaine) de la recherche française. Je suis bien obligé de dire qu’une réforme de ce domaine d’activité sans concertation ne pourra pas porter de fruits satisfaisants, si seulement elle n’aggrave pas la situation, pour la simple raison que la nature même du métier de chercheur est difficile à saisir pour ceux qui n’en sont pas. A l’inverse, il est bien évident que les chercheurs n’ont pas vocation à se substituer aux hommes politiques, du reste la plupart d’entre eux n’en n’ont absolument pas envie ! Quid de votre position en terme de relais de l’opinion de la communauté scientifique ? A mon sens, le drame de cette affaire est que les chercheurs ne pèsent pas lourd : ils sont peu nombreux, bien incapables d’immobiliser le pays comme d’autres corporations… ils sont pourtant bel et bien notre avenir par leur activité même ! Pour finir, un thème intéressant est celui de la fuite des cerveaux : j’ai moi-même passé un an au Canada dans un laboratoire universitaire, où parmi les thésards se trouvaient pas moins de 5 français, sur une équipe d’une vingtaine de personnes. Aucun d’entre eux ne comptent revenir en France car ils ont trouvé outre-Atlantique un bon niveau de salaire, une grande liberté de recherche et de vrais moyens pour travailler, même si au prix d’une pression accrue. Le modèle américain n’est pas parfait, loin de là, il a ses perversités, mais une chose est sûre : les chercheurs sont reconnus pour leurs compétences. Dans notre pays, on peut difficilement en dire autant. Et sans aller aussi loin, en Allemagne comme en Angleterre, le diplôme de docteur reste le plus prestigieux des diplômes universitaires. Mon propos n’est pas de dire que tout le monde devrait en passer par là – les docteurs ne sont pas ceux qui ont fait l’industrie française ou font « tourner le pays » ! – mais il y a une marge entre la réalité vécue et ce qu’elle devrait être si la France veut se positionner au plus haut niveau et y rester. La jeunesse s’intéresse de moins en moins à ce métier, qui n’a donc pas besoin de devenir encore moins attirant ! Pour finir, Monsieur le député, je ne saurais trop vous conseiller de vous rendre sur le site http://www.sauvonslarecherche.fr/ – ou l’un de vos conseillers (je me doute bien que je ne suis pas le seul de vos administrés à vous solliciter…) – pour accéder à l’analyse détaillée d’éminents experts comme de jeunes chercheurs sur la situation de la recherche française. J’espère juste que j’aurais su vous donner, par ce « courrier » un minimum envie de vous intéresser à cette question, à mon avis capitale. Il sera difficile de financer quelque retraite que ce soit dans un pays non compétitif au plan international, que ce soit après 30, 40, 50 ou même 60 ans de vie active… ou plutôt chômée. La mort de la recherche signifiant la mort de l’activité économique pour un pays développé comme le nôtre à plus ou moins long terme.

En vous souhaitant le plus grand succès dans vos entreprises au service de la France et des français, et en vous remerciant, si vous l’avez fait ( !), d’avoir lu ce courrier pas forcément drôle jusqu’ici, je vous prie d’agréer, Monsieur le député, l’expression de mes plus respectueuses salutations,

Marc Blétry