Des vérités cachées ont été dévoilées lors de la réunion du CSIS à l’Elysée le 26 oct 2009
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, le 27 octobre 2009La réunion à l’Elysée, le 26 octobre 2009 du CSIS (Conseil stratégique des industries de santé) est remarquablement éclairante sur la politique gouvernementale en matière d’ESR (enseignement supérieur et de recherche), ainsi que sur les moyens que le gouvernement compte employer pour stimuler la recherche privée en France [1].
On sait qu’un problème absolument majeur de la recherche en France, (par rapport aux autres pays de l’OCDE), c’est la faible part de recherche assurée par le secteur privé. Ce problème est particulièrement grave dans le domaine de l’industrie des sciences de la vie française. Pour résoudre ce problème, le gouvernement a décidé de mettre beaucoup d’argent dans ce secteur, sous la forme d’un Crédit Impôt Recherche (CIR) en croissance très rapide, et dispensé de toute évaluation d’efficacité. Et le gouvernement cherche d’autres moyens d’injecter un argent supplémentaire dans le même secteur, comme on le verra plus loin.
Mettre l’enseignement supérieur et la recherche au service du secteur industriel
En dehors du CIR, la faiblesse de la recherche privée pourrait, selon le gouvernement, être résolue en s’attaquant à l’enseignement supérieur et à la recherche publique, en les mettant au service du privé. Selon nous, c’est le sens profond, mais caché, des "réformes" en cours de l’ESR (ANR en 2005, Pacte sur la Recherche en 2006, LRU et AERES en 2007, Alliance des Sciences de la Vie en 2009). Beaucoup trouveront cette formulation exagérée, trop marquée idéologiquement. J’incite ces incrédules à lire le discours que V. Pécresse a tenu aux dirigeants de grands groupes de l’industrie pharmaceutique, le 26 octobre 2009, discours ci-joint, et dont voici quelques extraits :
"Vous aurez besoin de (…) former ceux qui depuis des années, ont mis leur talent au service de vos entreprises. Et notre enseignement supérieur, sera au rendez-vous, j’en prends l’engagement devant vous."
"De plus en plus, les médicaments innovants que vous développerez et produirez, auront été découverts par d’autres. Réussir ce transfert du capital intellectuel de nos scientifiques vers vos entreprises, c’est tout l’enjeu…"
"nous avons donné l’autonomie et les moyens à nos universités pour qu’elles puissent enfin être libres de nouer des partenariats, d’imaginer de nouveaux cursus et vous accompagner dans cette révolution qu’est l’innovation ouverte."
"L’Alliance pour les sciences de la vie et de la santé vous concerne tout particulièrement (…)Avec l’Alliance, c’est enfin un interlocuteur unique, privilégié, que vous aurez dorénavant en face de vous, et nous poursuivrons cette simplification. (…) Nous mettons, actuellement en place des sociétés privées de valorisation au sein des campus des pôles de recherche et d’enseignement supérieur afin de rationaliser, professionnaliser et mutualiser les activités de valorisation et de transfert de technologie. [2]"
"nous avons triplé le montant du crédit impôt recherche. (…) Le CIR atteint même 60% de vos dépenses de R&D lorsque celles-ci sont faites dans le cadre d’un partenariat avec un laboratoire public. Concrètement, vous investissez 100 euros, le fisc français vous en rembourse 60."
Sans commentaire. Merci à Valérie Pécresse d’avoir tenu ce langage de vérité, dont l’idéologie sous-jacente est clairement affirmée. Il est dommage que la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche tienne un discours différent lorsqu’elle s’adresse à des universitaires.
Financer la recherche privée sur fonds publics
Venons-en à l’autre façon dont le gouvernement souhaite aider la recherche industrielle, en y injectant de l’argent public.
Le fonds d’investissement dans les technologies, dont la création a été annoncée le 26 octobre, sera abondé, à la fois par les industriels et par un structure publique, le FSI [3]. Le FSI versera 40%, les industriels 60%. Si le principe retenu est le même que pour les fondations de recherche [4], il y aurait alors une remise d’impôt sur la moitié de l’apport privé, ce qui reviendrait finalement à ce que la structure soit en réalité financée à 70% par l’Etat.
Puisque l’Etat fait un effort, les industriels en feront également un. Ce dernier est tellement dérisoire que l’on croit rêver : les médicaments génériques ne peuvent normalement être produits qu’à l’expiration du brevet qui couvrait le médicament original. Là, les industriels acceptent que la production commence quelques semaines (combien ? 2 ? 3 ?) avant l’expiration du brevet. Quel effort bouleversant !
Le doublement annoncé du montant des investissements dans les partenariats public –privé pour la recherche biomédicale doit être jugé à l’aune de ce que prévoit Sanofi : son investissement dans de tels partenariats vise, en externalisant une partie de sa recherche vers le public, à réduire son propre effort de recherche. C’est exactement ce qui rend possible le plan de licenciements de chercheurs qui est annoncé. L’opération risque donc de se solder par une injection supplémentaire d’argent public pour aider des entreprises pharmaceutiques qui n’en ont guère besoin (voir Accord prévu entre N. Sarkozy et les principaux groupes pharmaceutiques pour aggraver l’endettement de l’Etat.), au prétexte de soutenir la recherche privée, mais sans augmentation réelle de cette dernière.
Quant au développement annoncé de la bioproduction en France, c’est typiquement une activité industrielle, qui relève du privé. On se moque un peu de savoir que le CSIS a "entériné le principe d’un développement de la bioproduction en France". On aimerait savoir quel industriel va réaliser ce développement, pour quel montant, et quand. Mais on devra se contenter du fait qu’un principe a été entériné...
On notera enfin que le communiqué ne souffle mot de la principale demande faite par les industriels lors de la rencontre du 26 octobre : une remise d’impôt supplémentaire. On peut en conclure que cette mesure n’a été ni acceptée ni refusée, car dans l’un ou l’autre cas le communiqué en aurait fait état. Il y a tout lieu de croire que cette remise d’impôt est à l’étude, et tant qu’elle reste à l’étude, la bioproduction prévue par Sanofi restera un "principe entériné", et non une annonce ferme et précise. On peut parier que l’acceptation de la remise d’impôt supplémentaire ne saurait tarder, et qu’alors le développement de la bioproduction pourra commencer.
Voilà ce qui peut être lu entre les lignes des discours et communiqués rendant compte de la réunion du CSIS le 26 octobre à l’Elysée. La présence autour du chef de l’Etat de 5 ministres (Christine Lagarde, Eric Woerth, Valérie Pécresse, Roselyne Bachelot et Christian Estrosi) dit bien l’importance de cette réunion. Mais il faut en lire le sens réel, au-delà des phrases ronflantes et anesthésiantes du genre " C’est un pari audacieux, mais, j’oserai dire, c’est celui du sens de l’histoire. Jamais en effet il n’est paru plus évident aux yeux de tous qu’il fallait innover …". Le résultat réel c’est d’abord que la mise au pas de l’ESR devrait s’accentuer. En outre, l’externalisation d’une partie de la recherche privée dans le public, risque d’être effectuée à moyens humains constants dans le public, et donc amenera à sacrifier des pans entiers de recherche fondamentale, non finalisée. Cela aura forcément des conséquences en terme de perte d’innovation future, d’autant plus que cette politique va s’accompagner d’une diminution nette du potentiel de recherche privée.
[1] voir aussi Comment Sanofi-Aventis entend sacrifier sa R&D interne en sous traitant ses recherches à la recherche publique (INSERM et CNRS) .
[2] Sur l’Alliance, N. Sarkozy en a brutalement rajouté une couche en déclarant : "L’Alliance doit aller vite vers une gouvernance opérationnelle intégrée. C’est une condition du succès de tous nos partenariats industriels donc de la valorisation de notre recherche et de notre croissance. Nous n’attendrons pas, nous ne céderons pas parce que c’est l’intérêt de la France !"
[3] Doté de 6 milliards d’euros de liquidités, le Fonds Stratégique d’Investissement, filiale à 51 % de la Caisse des dépôts et à 49% de l’Etat, est destinée à soutenir les PME et entreprises françaises « stratégiques ». Son Directeur Adjoint est Thomas DEVEDJIAN, fils de Patrick DEVEDJIAN, Ministre de la Relance
[4] Claudie Haigneré en avait annoncé un grand nombre en 2004, mais très peu ont réellement vu le jour.