80 ans, c’est déjà trop ?
Projet de loi de Programmation pluri-annuelle de la Recherche
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, le 13 décembre 2019Malgré le travail de diagnostic et de propositions du Comité national à l’été 2019, le Président de la République et le PDG du CNRS se répandent en propos hallucinés et radicaux.
actualisation 13 décembre 2019 :
- lire la lettre du 12 décembre 2019 des président.e.s des Conseils et Comités de section du Comité National ci-contre en réponse à Antoine Petit.
- une pétition « Recherche : non à une loi inégalitaire » est à retrouver ici
« Il faut une loi ambitieuse, inégalitaire - oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale, une loi qui mobilise les énergies. » Ces propos d’Antoine Petit dans les colonnes du journal de droite Les Échos ont profondément choqué les personnes engagées dans la recherche publique.
Une fois de plus, le gouvernement s’engage au pas de charge dans une réforme de la recherche publique. C’est toujours la même vision mandarinale, avec concentration des pouvoirs et précarité pour (presque) tous : des post-docs, des ’tenure tracks’ [1]... Le chef de l’État entend créer « un nouveau CDI de projets [2] pour répondre aux besoins des laboratoires et ne pas perdre des compétences ». Ces contrats dureraient « six, neuf ans ou plus, le temps que le projet vit » nous apprend le même journal qui se fait l’écho des pensées d’Emmanuel Macron exprimées lors d’un débat organisé pour les 80 ans du CNRS :
L’investissement dans la recherche n’ira pas sans réforme du système actuel [...] « Si je venais vous dire on va mieux payer en faisant moins d’évaluations, je ne serais pas sérieux, a-t-il dit. Il y aura des avancées [pour] des conditions de recherche meilleures. [Mais] il faut assumer une politique d’évaluation et les conséquences qu’on en tire. Quand on réussit cette évaluation, il y a des moyens et [quand ce n’est pas le cas], on en tire les conséquences. »
« On ne pourra pas » mettre plus de moyens pour tout le monde, a poursuivi le chef de l’Etat en réclamant « une différenciation » entre chercheurs.
Évoquant « l’épuisement bureaucratique » des chercheurs qui passent leur temps à chercher des financements, Emmanuel Macron a aussi jugé qu’il y avait « trop de structures » et que « les tickets des appels à projets [étaient] trop faibles », notamment ceux de l’Agence nationale de la recherche. Il faut « des moyens qui permettent de générer le coût complet », a-t-il insisté.
Notre bien aimé président se fout des travaux du Comité National qui lui a remis en juillet 2019 un dossier de Diagnostic et propositions élaboré dans une démarche collective d’analyse, de réflexion et d’élaboration de propositions réalisée par les 1200 membres du Comité.
Ils y déclarent :
Il importe que la loi réaffirme le caractère de bien commun de la connaissance scientifique et, plus largement, l’attachement de la France aux principes énoncés dans la Déclaration concernant la science et les chercheurs scientifique de l’UNESCO (2017) ; qu’elle rappelle l’importance de la recherche pour la Nation ; qu’elle donne une place centrale au soutien à la recherche fondamentale mue par la volonté de faire avancer le front de la connaissance ; qu’elle permette la réalisation des conditions les plus propices à l’expression de la créativité des chercheurs et des chercheuses qui nécessite stabilité, sérénité et liberté de recherche ; qu’elle fixe des perspectives pluriannuelles en termes de croissance de l’emploi scientifique et du financement public de la recherche publique.
Voyant leurs propositions méprisées, la CPCN a pris le 8 novembre 2019 une motion où ils insistent
La LPPR doit donc préserver et conforter les atouts du système national de recherche, et notamment le principe du recrutement au plus près de la thèse sur des postes permanents de fonctionnaires, principe dont il est démontré qu’il constitue un facteur essentiel d’attractivité.
Vont-ils être entendus sans le soutien bruyant de la communauté ?
ps. Rappelons qu’il est de plus en plus difficile de trouver des jeunes pour s’engager dans une carrière scientifique devenue incertaine, que les conditions de travail dans l’enseignement supérieur et la recherche sont de plus en plus dégradées et que l’épuisement s’étend. "Nous n’avons pas forcément fait le choix de travailler dans des universités misérables, au bord de la faillite, entouré.es de collègues en burn out, face à des étudiant.es précaires, pauvres et suicidaires, dans des conditions de plus en plus déplorables, avec aucune perspective ni de carrière pour les personnels en place, ni de recrutement pour les jeunes que nous formons, et pour couronner le tout, avec une retraite massacrée." (propos entendus)
[1] On peut s’en faire une idée, en lisant le projet NExT soumis (et obtenu) au titre du PIA, à Nantes. On y prend exemple sur des établissements étrangers. Citation du projet NExT (p.49) : Politique des Talents —Tenure Tracks : Les possibilités d’évolutions et le ratio titulaires/non titulaires à la KU Leuven sont considérés comme des facteurs exerçant une influence significative sur la gestion du personnel universitaire. Flexibilité des rémunérations : à l’EPFL, les possibilités d’ajustement du Nouveau Système de Rémunération (NRS) permettent de moduler les salaires en fonction de l’expérience et de récompenser certaines performances collectives ou individuelles. Grâce à un système de double intéressement, les performances et les compétences sont récompensées par des primes exceptionnelles et/ou une augmentation de salaire. La répartition du budget en la matière est donc sélective.
[2] Les concepts de tenure track et de CDI de projet ont été finement analysés par le SNTRS.