réactions à l'article «Vers la mise à mort de notre système de recherche ?»
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Vers la mise à mort de notre système de recherche ?
2 mars 2008
Monsieur AUDIER,
Si je peux être d’accord en gros avec votre constat, j’ai néanmoins un désaccord sur votre analyse. Dans la fin de votre commentaire vous développez une vision future de la recherche qui est tout sauf futuriste, c’est déjà le fonctionnement de la recherche actuelle. Si l’ANR a pu être aussi facilement validée par la communauté scientifique, si la précarisation des jeunes au travers des post-doc est aussi rapide c’est que dans leur ensemble les chercheurs étaient déjà prêts. Cela devrait tout de même peu étonner car sociologiquement la communauté scientifique, sans être sarkozyste, n’en est pas moins libérale.
Effectivement la mise en place des centres de recherche à la place des laboratoires permet d’une part de faire disparaitre les écoles de pensée au profit d’équipes facile à éliminer à chaque quadriennal et d’autre part de mettre en concurrence ces équipes y compris (et surtout) au sein d’un même institut. Les évaluation par l’AERES sont d’ailleurs basées plus sur la "gouvernance" et le financement (extérieur) que sur la qualité scientifique des équipes. Il est clair que un équipe qui n’a pas des financement externes pendant les 4 années du contrat de laboratoire sera fermée quelque soit par ailleurs sa qualité scientifique. D’ailleurs je suis convaincu que pour pas mal de collègues, le fait de ne pas avoir un contrat ANR indique un problème de qualité scientifique.
Je ne sais pas si on pourra aller contre cela tant cette manière de voir les choses est ancrée dans les esprits. Par ailleurs même SLR, un mouvement essentiellement porté par des directeurs de laboratoires paie aujourd’hui son positionnement trop ambigu (sur les contrats, les post-doc, etc..). A force de dire qu’il faut reformer la recherche de peur de passer pour un réactionnaire, on arrive exactement à ce que l’on connait aujourd’hui. De même à force de dire que la recherche fondamentale doit être financée car elle permettra, avec une temporalité certes plus longue, des progrès nécessaires pour gagner la guerre économique, on a du mal à résister à l’utilitarisme que vous dénoncez par ailleurs.
Faute d’un positionnement plus clair, sur des bases non seulement anti-libérales mais anti-hiérachique et cela va sans dire anti-progressistes, avec une vision vraiment épistémologique, SLR devra être renvoyer aux poubelles de l’histoire. A moins que au profit d’une alternance, certains de ces membres se recyclent, de bonne foi, dans la gestion de la recherche.Cordialement
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Vers la mise à mort de notre système de recherche ?
4 mars 2008
Le but du texte n’était pas épistémologique mais critique, incluant une dimension épistémologique. J’ai l’impression que vous avez lu le texte en ayant une idée préconçue de ce que vous alliez y trouver. Par exemple la phrase "à force de dire que la recherche fondamentale doit être financée car elle permettra, avec une temporalité certes plus longue, des progrès nécessaires pour gagner la guerre économique, on a du mal à résister à l’utilitarisme que vous dénoncez par ailleurs".
Tout le sens du texte est justement d’expliquer que les recherche fondamentales, en amont d’une application potentielles, demeureront avec Sarkozy. Mais pas les recherches liées au progrès des connaissances, qui doivent être développées en dehors de toutes attentes de retombées, même s’il y aura, sans qu’on sache ou et quand. Cette idée, qui va à l’encontre de votre affirmation, figure dans trois passages de mon texte.
(i) "Ce que ne veut comprendre Sarkozy, ou son entourage, c’est que non seulement la recherche a une dimension culturelle au travers de l’enseignement, mais qu’une partie de la science (le progrès des connaissances) a sa dynamique propre et sa temporalité".
(ii) "Il y aura [avec Sarkozy] encore des recherches fondamentales, mais seulement en amont des champs d’application économiques ou de quelques champs sociétaux".
(iii) "Entrer dans la recherche, ce fut pour beaucoup se donner totalement pour faire progresser les connaissances, participer au progrès de la société, travailler pour le bien de l’humanité. Et on le faisait d’autant mieux, on s’y donnait avec d’autant plus de forces qu’on avait choisi son thème, son idée, souvent ses collaborateurs. Conception désuète, ringarde, ridicule, aujourd’hui".
Idée non contradictoire, mais différente, est l’affirmation que, pour avoir des applications, il faut développer le progrès des connaissances.
Par ailleurs votre analyse suivant laquelle le milieu était prêt à accepter les CDD est une évidence, puisqu’il les a acceptés. Ayant passé syndicalement trois ans de ma vie pour faire intégrer 5000 hors-statuts, fin des années soixante-dix, je sais par expérience que quand il n’y a pas d’emplois statutaires se développent les CDD. Or la bataille pour l’emploi, pour un plan pluriannuel, est majeure pour SLR, qui demande qu’on recrute sur emploi statutaire "au plus près de la thèse". Ayant été recruté à 21 ans, il y a fort longtemps, il m’est difficile d’avoir une autre position.
Enfin, faites attention aux arguments : la conception "anti-hiérarchique" est l’argument majeur de ceux qui défendent les contrats ANR car ils détruisent les laboratoires et la hiérarchie.
Quant à finir dans "la poubelle de l’histoire" (ce qui n’est pas très sympa), tous ceux qui m’ont pronostiqué cela au cours de ma vie ont tous terminé dans le camp d’en face, à savoir dans la dite poubelle, pour utiliser votre vocabulaire. Alors soyez prudent(e).
Henri Audier
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