réactions à l'article «Texte de synthèse d’une délégation de directeurs d’unités (avril 2008)»
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Réponse au texte des DU
22 mai 2008, par Alain Trautmann
Le "texte des DU", rédigé par 16 DU (directeurs d’unités) et signé par plusieurs centaines d’autres, dont plusieurs proches de SLR, est important pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il correspond bien à la sensibilité d’une fraction importante de cette catégorie de personnels. Ensuite parce qu’il montre que les chercheurs ne campent pas dans une opposition systématique, mais qu’ils ont des propositions à faire pour améliorer le système.
Dans ce texte, les DU font 36 propositions précises, basées sur 8 principes. Bon nombre de ces propositions visent à améliorer le fonctionnement des laboratoires, en cherchant à alléger le carcan administratif dans lequel ces laboratoires sont contraints de fonctionner (gestion pluriannuelle, contrôles a posteriori, autonomie de gestion renforcée pour les laboratoires). Si de telles recommandations étaient suivies, il n’y aurait nul besoin de faire des réformes complexes pour améliorer considérablement le fonctionnement des laboratoires.
Mais ce texte présente aussi de graves faiblesses, qui relèvent de la myopie ou d’une grande naiveté politique. Myopie : la gestion des laboratoires est une question très importante, qui préoccupe à juste titre les DUs. Les personnels précaires qui constituent une part de plus en plus importante des chercheurs, ingénieurs et enseignants chercheurs sont moins concernés par ces questions de gestion que par leur avenir : pourront-ils continuer à travailler, dans des conditions dignes, dans un secteur qui les attire mais où la fraction de postes stables diminue inexorablement ? Il est très regrettable que cette question de la précarité, qui est peut-être la question la plus grave à laquelle nous ayons à faire face, soit à peine abordée dans le texte des DU.
Naïveté politique. Lorsque la question de l’ANR est introduite, on lit : "L’ANR a été créée pour combler une lacune du système de recherche français : le financement sur projet". Cette phrase est une simple reprise du discours officiel. Or les DU savent ou devraient savoir que l’ANR a d’abord été voulue, en 2004, pour permettre à Bercy un contrôle étroit sur l’activité de recherche, pour pouvoir piloter cette dernière, via une structure unique centralisant l’essentiel des possibilités de financement des labos. Cette création devait être associée à un étranglement financier des organismes de recherche (ce qui est fait) avant que ces derniers ne soient découpés en morceaux (opération en cours). Oublier tout ce contexte de la création de l’ANR est très regrettable.
Mais le sommet de la naïveté politique, qui devient stupéfiante, concerne les Instituts. Le découpage de l’INSERM en Instituts a un double objectif : 1) renforcer la possibilité de pilotage de la recherche en biologie vers une recherche directement liée à des pathologies (on doit parler dorénavant de recherche biomédicale, fortement influencée par les médecins), donc au détriment de la recherche de base ; 2) servir de cheval de Troie pour contribuer à casser le CNRS, en prenant le contrôle de l’ensemble de la recherche en biologie. Le découpage du CNRS en Instituts a une signification claire : mettre fin au fonctionnement de cet important opérateur de recherche manifestant trop d’autonomie en matière de politique de la recherche. Le transformer en une agence de moyens de plus, ce qui permettra de mettre des centaines d’équipe en concurrence permanente les unes avec les autres pour se disputer la manne d’un pouvoir central, sans structures intermédiaires (laboratoires, opérateurs de recherche). Que les DU signataires puissent trouver acceptable ce découpage du CNRS en Instituts à condition que cela permette de "renforcer sa cohésion, son unité et son intégrité", cela laisse pantois, puisque précisément, l’objectif évident de ce découpage (même s’il n’est pas affiché ainsi) est d’affaiblir la cohésion, l’unité et l’intégrité du CNRS. Comment des DU que je crois intelligents et de bonne foi peuvent-ils se laisser duper ainsi ? Comment peuvent-ils aller en discuter au Ministère le 20 mai, et en ressortir en disant "qu’il peut sortir du bien de la décision" de découper le CNRS en Instituts (voir Libération du 21 mai 08) ?
Peut-être certains sont-ils trompés par les succès d’Instituts qui fonctionnent bien (IN2P3, Institut des Sciences de l’Univers) et l’idée absurde que ces succès peuvent être généralisés. Cette idée est absurde car la signification de la création d’un Institut dépend complètement du contexte. L’IN2P3 et l’INSU ont été créés à un moment où il n’était pas question de supprimer le CNRS, mais de rationaliser les efforts dans deux secteurs qui réclamaient de très gros équipements devant être partagés. Et cela a marché. Or tous les secteurs de recherche (mathématiques, SHS, biologie, par exemple) n’ont pas besoin de très gros équipements, mais plutôt d’une multiplicité d’équipements beaucoup plus modestes, donc avec un moindre besoin de coordination par le sommet. En outre, le contexte actuel est bien celui de scier certaines branches, et non pas de laisser se développer tout l’arbre.
Mesdames et Messieurs les DU, vous considérez sans doute qu’il vous faut apparaître raisonnables aux yeux du pouvoir, prêts à discuter avec lui, et qu’en négociant vous pourrez limiter la casse. De grâce, resaisissez-vous, ne vous faites pas plus naifs que vous n’êtes, la naïveté peut contribuer à des catastrophes lorsqu’on est face à des personnes déterminées, aux convictions absolument incompatibles avec les nôtres. Nous avons absolument besoin d’y voir clair dans la période actuelle. De telles positions ne contribuent pas à cette clarification mais à brouiller les cartes. Si, comme je le crois, ce n’est pas votre objectif, alors il vous faut revoir sérieusement votre positionnement.