réactions à l'article «Le 4 juin, la Marche de Tous les Savoirs (Academic Pride) »
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Le 4 juin, juste avant la Marche de Tous les Savoirs, venez à l’AG des UMR CNRS de Paris centre !
1er juin 2009, par Olivier Sandre
Avant le Rdv de la marche des Savoirs à 14h métro Sèvre-Bab, les agents CNRS des unités mixtes de Paris centre sont conviés à une assemblée générale à Jusssieu à 12h30 amphi 44. Les représentants régionaux des syndicats SGEN-CFDT, SNCS-FSU, SNTRS-CGT et SNPREES-FO y rendront compte de l’entrevue qu’ils ont eu le 27 mai dernier avec les délégués régionaux du CNRS Paris B et Paris Michel-Ange, qui ont donné un certain nombre d’informations comme par exemple l’expérimentation de la "délégation globale de gestion" dans 10 UMR pilote CNRS/UPMC. Nous discuterons aussi des raisons de s’opposer absolument au "contrat objectifs-moyens" (COM) du CNRS. Venez nombreux !
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Le 4 juin, la Marche de Tous les Savoirs (Academic Pride)
29 mai 2009, par DJAMENT Aurélien
La langue française sacrifiée ? Pas en mon nom !
Je regrette profondément l’emploi du terme "academic pride" pour désigner une initiative revendicative. Le fait que le substitut français "marche de tous les savoirs" lui soit apposé ne change rien au caractère à la fois ridicule et scandaleux de cet anglicisme, il témoigne même d’une certaine condescendance envers les empêcheurs de "couper la langue", à la manière des publicités commerciales envahies de termes anglo-américains qui, pour se conformer à la législation, offrent gracieusement une astérisque renvoyant à une traduction française en tout petits caractères. (De mauvais esprits pourraient même penser que cette "traduction" à l’initiative "academic pride" constitue une concession temporaire à des littéraires - je précise que je ne le suis pas - qui de toute façon disparaîtront ou seront marginalisés dans la recherche car non rentables.) Cet anglicisme est ridicule d’une part parce que la "visibilité internationale" qu’il est censé apporter constitue une pure plaisanterie : quelqu’un qui ne serait pas à même de comprendre le terme de "marche de tous les savoirs" (ou toute autre dénomination analogue) aurait-il une quelconque chance de suivre nos argumentaires revendicatifs (qui fort heureusement sont écrits en français) ? Compte-tenu de la désinformation éhontée que la presse française dans sa grande majorité transmet sur notre mouvement, un francophone a déjà de fortes chances de ne pas comprendre grand chose... C’est d’autre part ridicule d’employer un terme aux relents aussi manifestement "marketing", pour parler comme nos "élites" dont la haine de la langue française n’est pas sans rappeler la haine qu’elles vouaient déjà à leur propre patrie dans les années 30, dans le cadre d’un mouvement de lutte extrêmement long et déterminé, où même des collègues niant benoîtement, il y a peu, jusqu’à l’existence de classes sociales antagoniques, sont contraints de constater qu’ils n’appartiennent pas au même monde que nos chers gouvernants. Cet aspect n’est pas seulement ridicule mais scandaleux : qu’une partie de la "communauté scientifique" collabore avec enthousiasme à la destruction de toutes les langues autres que l’anglo-américain, le plus souvent réduit à un indigent "globish" (qui détruit aussi la langue anglaise elle-même !) participe de la casse de la recherche que nous combattons. Se faire les complices d’une entreprise impérialiste qui menace avec une gravité extrême la richesse et la diversité de la pensée à tous niveaux est "normal" de la part des gouvernants au service du patronat, qui n’ont de cesse, d’Allègre à Pécresse et Darcos, de revendiquer la généralisation de l’emploi de la langue anglaise, mais dans un communiqué revendicatif, c’est très inquiétant. Je ne ferai l’insulte à aucun collègue d’insinuer qu’il partage la croyance primaire et réactionnaire qu’une langue constitue un simple code qu’on peut remplacer indifféremment par un autre, l’"unification" permettant de faciliter la communication et la recherche. Mais force est de constater que les pressions directes ou indirectes (largement véhiculées par les critères bibliométriques) pour publier en anglais et s’exprimer au maximum dans cette langue, même entre francophones, ne se montrent pas sans effet (précarisation et pénurie aidant) et ont permis, jusqu’à maintenant, la reproduction et l’aggravation de la marginalisation de la langue française en sciences (et bien au-delà d’ailleurs). Cette sinistre entreprise revêt du reste souvent des formes purement discriminatoires (hélas peu de collègues s’en rendent compte, tant ils semblent avoir intériorisé l’éradication du français dans leur travail comme une sorte de donnée naturelle) : les jeunes chercheurs qui ont effectué leur thèse dans un pays anglophone bénéficient d’un avantage linguistique considérable ; ceux qui pensent directement leur travail dans la langue de l’impérialisme dominant sont libérés d’un handicap quotidien, celui de comprendre à la fois les sciences et l’anglais dans les articles ou les conférences. Ce genre de pratique s’apparente à un génocide culturel : on prive le développement des sciences de la pensée dans différentes langues, avec toutes les structures mentales variées qui en découlent. Allons-nous progressivement accepter, dans nos luttes revendicatives, qu’on nous impose de penser dans une autre langue que la nôtre ? À l’inverse, nous devrions passer à l’offensive pour nous réapproprier notre langue dans notre travail. Pouvoir penser, travailler, communiquer, publier en français en France (et développer considérablement, en parallèle, la traduction scientifique) devrait constituer une revendication forte et consubstantielle à notre visée d’un système de recherche et d’enseignement supérieur progressiste. Je précise que ce combat n’a rien de chauvin, d’hostile à l’apprentissage et à l’utilisation des langues étrangères en général - à condition qu’on commence par apprendre et promouvoir sa propre langue ! Au contraire, il s’agit d’un authentique combat internationaliste, contre la disparition de toutes les langues (je ne ferai pas l’injure à la langue de Shakespeare de la confondre avec l’idiome approximatif et indigent employé le plus souvent dans les colloques). Pour illustration, voici deux ans, j’ai été invité à donner un mini-cours à des doctorants de l’université de Paderborn, en Allemagne. Mon hôte s’est montré très étonné que je prévoie de les dispenser en allemand, et m’a clairement signifié que ce n’était pas l’usage. Il n’a accepté que j’utilise la langue de son pays qu’en raison de l’absence d’invités étrangers, mais j’ai compris que je faisais figure d’exception pour pratiquer ce qui devrait constituer une évidence (s’exprimer dans la langue du pays où l’on se rend lorsqu’on le peut). Aujourd’hui qu’il y a plus de mots écrits en anglais dans les rues de Paris qu’en allemand à l’époque de l’occupation nazie, le combat internationaliste n’est-il pas de défendre avec véhémence notre langue dans notre pays et de respecter la souveraineté linguistique de tous les pays (par exemple en ne marginalisant pas l’apprentissage et l’usage des autres langues étrangères lorsqu’on communique avec des non-francophones) ? La question me semble tout à fait d’actualité. En tout cas, l’"academic pride" ne se fera pas en mon nom : je participerai volontiers à une initiative revendicative ("marche de tous les savoirs" ou autre) mais ne peux tolérer qu’on détourne nos actions pour nous "couper la langue" et nous tirer une balle dans le pied (voire dans la tête, car sans langage notre capacité de penser s’apparente plus à celle d’une plante verte qu’à celle de scientifiques).
Aurélien Djament, chercheur au CNRS, mathématiques.
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Academic Pride : un anglicisme inutile et délétère ?
31 mai 2009, par Alain Trautmann
Notre collègue Aurélien Djament rejette avec véhémence l’utilisation du terme "Academic Pride". J’ai reçu pas mal de courriers allant dans le même sens. Il n’est donc pas le seul auquel cet anglicisme a donné des boutons, et ce point de vue ne peut donc être ignoré.
Personnellement, ce qui m’importe le plus est le succès de la manifestation du 4 juin, et la signification politique d’un tel succès. Peu me chaut que cette manifestation porte un nom ou un autre. En l’occurrence, elle en porte deux, pour essayer de satisfaire tout le monde, chacun étant libre d’utiliser une expression ou l’autre. J’ai observé que ceux qui travaillent activement au succès de cette action sont peu à cheval sur sa dénomination, alors que pour d’autres l’essentiel semble être son intitulé, et il leur importe moins de contribuer à la préparer.
J’aimerais souligner que les pourfendeurs du terme "Academic Pride" ne sont pas les seuls à aimer la langue française. Moi aussi, j’aime les mots justes, les mots qui font mouche, et dans mon travail je traque l’usage des anglicismes lorsqu’ils sont inutiles. En outre, je n’ai aucunement l’intention de défendre envers et contre tout le terme Academic Pride (si Marche de tous les savoirs fait consensus, très bien), mais ne souhaite pas laisser sans réponse des propos excessifs. Ainsi, utiliser "Academic Pride" est (je cite) : "ridicule et scandaleux, témoigne d’une condescendance, avec des relents marketing. C’est être complice d’une entreprise impérialiste, s’apparente à un génocide culturel, et détourne nos actions pour nous "couper la langue".
J’affirme que Academic Pride" n’est pas un anglicisme inutile. Il a été proposé (pas par moi) et repris avec enthousiasme par certains, car il a des connotations intéressantes, par rapport auxquelles les attaques que je viens de citer manquent de pertinence. Academic Pride a l’avantage de la brièveté par rapport à son adaptation en français. Je n’ai pas dit traduction, parce qu’en anglais, Pride sonne proche de Parade, ce qui est intraduisible, mais pourtant signifiant. Et puis le terme anglais a des connotations, où voisinent la très respectable Académie, la ridicule Star Academy, et la Gay Pride, ce qui ne manque pas de déranger les homophobes. Cet ensemble un peu provocateur peut interpeller (encore une fois, pas question de l’imposer si l’effet principal n’était que de choquer), ce qui peut être utile dans notre société du spectacle. Et nous pouvons, et devons réfléchir à des formes d’actions spectaculaires, pour autant que ce soit au service d’une idée que l’on cherche à faire passer.
Cher collègue, dites vous que ceux qui se battent pour le succès de l’Academic Pride ne sont pas des acteurs d’un génocide culturel. Ce sont les mêmes qui ont élaboré collectivement l’idée de l’affiche avec la tête de Descartes, L’homme au stylo entre les dents, pour souligner la crainte que peut avoir le pouvoir actuel d’une communauté qui défend la connaissance pour tous. Ou l’image du manifestant utilisant La Princesse de Clèves (métonymie pour la lecture et les livres, soyons un peu pédant) comme d’une arme. Ne leur jetez pas la pierre, si je puis dire, enterrons les querelles vaines et injustes pour nous concentrer sur les vrais problèmes, et rendez-vous le 4 juin dans la rue, pour une fière parade académique !
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Academic Pride : un anglicisme inutile et délétère ?
4 juin 2009
Cher Alain Trautmann,
Vous dites : "J’affirme que Academic Pride" n’est pas un anglicisme inutile. Il a été proposé (pas par moi) et repris avec enthousiasme par certains, car il a des connotations intéressantes". C’est l’argument utilisé par tous les promoteurs de l’anglo-américain en toutes occasions, qui consiste en la simple observation que chaque langue possède ses propres subtilités, nuances, spécificités diverses. Dès qu’on exprime une idée dans une autre langue, elle revêt des connotations différentes. Cette évidence rappelée, j’aimerais bien comprendre pourquoi les connotations de l’anglo-américain seraient, comme par hasard, si souvent plus adaptées que celles du français, mais aussi que du chinois, de l’arabe, du portugais ou de toute autre langue. Quant à l’argument invoqué de la brièveté de l’anglais, il revient à considérer une caractéristique supposée de cette langue comme une panacée : là encore, les langues possédant d’autres caractéristiques, y compris en terme de longueur, seraient-elles forcément moins adaptées pour exprimer nos argumentaires revendicatifs ?
Quant au fait que le terme "pride" soit déjà utilisé pour d’autres manifestations, cela ne fait que confirmer à quel point l’invasion de l’anglo-américain est avancée en France. Mais c’est un peu court pour en justifier le bien-fondé.
Vous m’exhortez encore à me concentrer sur les vrais problèmes. C’est ce que je fais, je crois, comme de très nombreux autres collègues, depuis des mois. Mais vous refusez semble-t-il de considérer que les menaces qui pèsent sur l’usage de la langue française constituent un vrai problème, et ignorez totalement les suggestions que j’esquisse (droit effectif à publier en français, développement de la traduction scientifique...) en la matière. Trouvez-vous normal que notre langue soit peu à peu exterminée de la pratique de notre métier ?
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