réactions à l'article «Certaines "recherches" ne sont-elles pas moins prioritaires que d’autres ?»
-
> Certaines "recherches" ne sont-elles pas moins prioritaires que d’autres ?
16 mars 2004, par Romain Brette
J’ose espérer que ce genre de discours poujadiste n’est pas représentatif du collectif, car je ne milite pas pour "Sauvons Jean-Pierre Pernaut". Voilà quelqu’un qui se permet de dire que les sociologues sont non seulement inutiles et mais également des imbéciles (je cite, des "étudiants qui ont choisi de faire de longues études pas trop difficiles"), tout en avouant "je ne connais pas très bien la problématique de ce métier". Et ce, en se basant sur quelques phrases entendues à la télévision... On croit rêver...
Cher Monsieur, l’ignorance n’excuse pas le mépris. Si vous ne savez pas ce qu’est la recherche en SHS, personne ne vous empêche de vous renseigner par vous même.
Quant à la place soi-disant démesurée des SHS dans la recherche française ou la soi-disant facilité des études de sociologie, c’est de la pure calomnie. Je vous invite à consulter le rapport sur les études doctorales 2001 (lien ci-dessous), où vous constaterez qu’en 1999 près de 40% des jeunes docteurs le sont en SHS, alors qu’ils sont, comme vous l’avez souligné, très minoritaires dans les organismes de recherche. Vous constaterez également que les thèses en SHS sont typiquement plus longues et beaucoup moins financées que les thèses en sciences dites "dures", et que le taux d’abandon y est bien plus élevé. Quant aux recrutements, je vous invite à consulter le site du CNRS où vous verrez la liste des postes proposés cette année. Si mes souvenirs sont bons, il y a cette année 1 poste non fléché de CR2 en sociologie.Romain Brette
Jeune chercheur
(pas en SHS, mais solidaire)-
> Certaines "recherches" ne sont-elles pas moins prioritaires que d’autres ?
17 mars 2004, par Luciano
Chère Madame,
Toute opinion un peu dérangeante et qui n’est pas politiquement correcte est traitée de "poujadiste" voir fasciste, voilà bien la pensée unique d’aujourd’hui.
il me paraît pourtant de bon sens d’établir des priorités dans la recherche.
En tant que citoyen, je préfère payer pour la recherche contre le sida ou sur la pile à combustible, plutôt qu’en SHS.
Je ne dis nullement que les SHS sont inutiles, seulement que les mettre au CNRS en priorité n°2 (si on considère les effectifs - 4000 personnes !) ou n°3 (si on considère le budget toutes dépenses confondues), avant la physique et les maths par exemple ne me semble pas raisonnable.Et je me demande si cela ne vient pas d’un accompagnement de l’air du temps qui a rendu la sociologie très à la mode chez les étudiants
la socio, c’est moins aride que la physique, la chimie ou les maths, il faut quand même l’avouer, non ?
J’aimerais en effet connaitre l’évolution du % représenté par les SHS au CNRS depuis disons 1968 par exemple (au hasard...)Quant aux chiffres que vous citez, si les SHS représentent 40% des docteurs, je n’ai deduis pas comme vous qu’il s’agit d’études très difficiles car la durée ne me semble pas le 1er critère de mesure de la difficulté ; la vie d’étudiant est certes difficile sur le plan financier mais apporte beaucoup d’autres agréements, pour ma part je regrette souvent cette époque (le goût pour cette vie n’est-elle pas d’ailleurs parfois un des facteurs du choix pour une carrière de chercheur ?...)
sans mépriser personne, je pense qu’il est objectivement plus difficile de rentrer à Normale Sup ou à l’X que de faire 10 ans à la fac.A ce propos, on entend actuellement souvent l’argument selon lequel "il est inadmissible de laisser sans travail des jeunes qui ont fait 8 ou 10 ans d’études supérieures" !
Les pouvoirs publics ont la responsabilité de piloter l’enseignement supérieur en ne laissant notamment pas s’hypertrophier des filières sans débouchés réels mais de là à ce que de longues études donnent un droit automatique à un poste (sous entendu de fonctionnaire évidemment), n’est-ce pas un peu fort ?Les chiffres que vous citez me semblent montrer justement que cet engouement pour la sociologie est encore plus important que je ne le croyais.
C’est insensé car les statistiques de ce rapport montrent bien aussi que les SHS peinent beaucoup à trouver une place dans les entreprises.
Il est évident qu’il n’y a pas la place pour tous ces gens dans le monde du travail, sauf à créer des postes de fonctionnaires en surnombre et donc à l’utilité assez marginale.Nous sommes encore dans une société où le besoin n’est pas entièrement planifié et déterminé par l’Etat et l’administration mais en premier lieu par le jeu des acteurs économiques.
Pour ma part, je souhaite qu’il en reste ainsi.
Le rôle de l’Etat est bien sûr indispensable dans des secteurs non rentables à court terme comme la recherche mais il ne doit pas se laisser guider dans ses arbitrages par les tendances du moment ou les goûts des étudiants.-
> Certaines "recherches" ne sont-elles pas moins prioritaires que d’autres ?
17 mars 2004, par Romain Brette
Cher Monsieur,
J’ai employé le mot "poujadisme" parce que votre discours n’est qu’une suite de poncifs anti-intellectuels sans aucun argument. Vous montrez une totale méconnaissance du sujet, mais cela ne vous empêche pas de faire des recommandations grâce à votre "bon sens", et de continuer à prétendre que les chercheurs en SHS sont des imbéciles. Sur ce dernier point d’ailleurs, votre principal argument pour dévaloriser les SHS est que Normale Sup est plus difficile que la fac. Permettez-moi de vous répondre : cet "argument" est un non-sens total. A la fac, on forme des étudiants en sciences "dures" et en SHS ; à Normale Sup, on forme des étudiants en sciences "dures" et en SHS. Je ne pense d’ailleurs pas beaucoup m’avancer en disant qu’il y a une plus grande proportion de normaliens en SHS qu’ailleurs au CNRS (vous constaterez d’ailleurs que votre premier contradicteur est à l’ENS).
Je ne vais pas tout reprendre point par point, vous n’avez qu’à vous renseigner par vous-même. Pour commencer, je vous invite à consulter le lien ci-dessous, qui vous permettra de connaître un peu mieux ce métier dont vous ne "connaissez pas bien la problématique".
Cordialement,
Romain Brette
p.s. : à propos, je ne suis pas une Madame mais un Monsieur, comme l’atteste mon prénom.
-
Sur le rôle social essentiel des SHS (> Certaines "recherches" ne sont-elles pas moins prioritaires que d’autres ?)
17 mars 2004, par i
Bonjour,
"Toute opinion un peu dérangeante et qui n’est pas politiquement correcte est traitée de "poujadiste" voir fasciste, voilà bien la pensée unique d’aujourd’hui."
Vous noterez cependant que personne ne vous a encore traité de fasciste : n’ajoutez pas le procès d’intention à la calomnie.
"il me paraît pourtant de bon sens d’établir des priorités dans la recherche. En tant que citoyen, je préfère payer pour la recherche contre le sida ou sur la pile à combustible, plutôt qu’en SHS."
Oui, mais c’est votre seul avis puisqu’il existe depuis plus d’un siècle une demande sociale suffisante pour faire en sorte que des fonctionnaires soient rémunérés par l’Etat pour faire de la recherche en SHS, et ce quelles qu’aient été les conditions économiques au cours de l’histoire de notre pays. J’ajouterais que les SHS ont une histoire millénaire (pensez à Platon par exemple), et qu’elles sont fondatrice de l’idée même de "Raison". Posez vous la question de savoir à quoi ressemblerait une société qui ne se donnerait plus les moyens de porter un regard critique sur elle-même ?
Enfin, dernier point essentiel, votre dichotomie entre SHS et sciences "dures" ne tient pas la route une seconde : ayant travaillé sur les sciences du point de vue des SHS, j’ai visité des labos de recherche en neurosciences et mené des entretiens auprès de biologistes : il est clair - et ce n’est un scoop pour personne - que la plupart des grands labos de ce domaine (Inserm, CNRS, ou université) sont pluridiciplinaires et que des linguistes, philosophes, sociologues, psychologues, etc., y travaillent avec des médecins, des biologistes et des chimistes à une meilleure connaissance du cerveau humain et de son fonctionnement qui ne saurait être réduit à celui d’une machine ni à celui d’une simple accumulation de processus physiologiques. L’un de mes interlocuteurs, un chercheur renommé dans le champ des neurosciences, biologiste de formation, m’expliquait même qu’il ne se considérait plus comme faisant réellement partie des sciences "dures", et il faisait ce constat sans honte, je peux vous l’assurer. Il se trouve enfin que j’ai eu la chance d’avoir une formation scientifique et que je ne suis venu aux SHS que sur le tard. C’était également le cas de ma directrice de thèse, physicienne de formation (dotée d’une thèse d’Etat), et qui est maintenant sociologue au CNRS : pour elle comme pour moi, il ne s’agit nullement d’une déchéance, ni d’un "parasitage" du système, ni d’une manière de "profiter" de l’argent public pour ne rien faire : nous avons simplement décidé de chercher à comprendre d’autres types de phénomènes que ceux qui relèvent de la matière ou du vivant, et nous pensons que c’est essentiel à la survie intellectuelle d’une société dite "civilisée" et démocratique. Libre à vous de ne pas adhérer à cette opinion, mais vous aurez alors près de 2000 ans d’histoire de l’humanité à justifier (les sciences "dures", dans leur configuration expérimentaliste moderne, ne débutent en gros qu’au XVIIème siècle, et se confondaient avant cela avec la philosophie, donc avec les sciences humaines).
"Je ne dis nullement que les SHS sont inutiles, seulement que les mettre au CNRS en priorité n°2 (si on considère les effectifs - 4000 personnes !) ou n°3 (si on considère le budget toutes dépenses confondues), avant la physique et les maths par exemple ne me semble pas raisonnable."
Ce n’est qu’un jugement de valeur, et il ne repose encore une fois sur rien : personne ne croira que les SHS coûtent plus cher à la collectivité que les sciences de la nature, car c’est tout simplement une idée fausse qui démontre votre totale méconnaissance de ce dont vous parlez.
"Et je me demande si cela ne vient pas d’un accompagnement de l’air du temps qui a rendu la sociologie très à la mode chez les étudiants la socio, c’est moins aride que la physique, la chimie ou les maths, il faut quand même l’avouer, non ? J’aimerais en effet connaitre l’évolution du % représenté par les SHS au CNRS depuis disons 1968 par exemple (au hasard...)"
C’est encore une fois un beau cliché : celui des universitaires 68tards de gauche... Quant à l’aridité relative des disciplines les unes envers les autres, là encore, le jour où vous nous donnerez des critères rationnels d’évaluation du degré d’aridité de la physique ou de la sociologie, on en reparlera.
"Quant aux chiffres que vous citez, si les SHS représentent 40% des docteurs, je n’ai deduis pas comme vous qu’il s’agit d’études très difficiles car la durée ne me semble pas le 1er critère de mesure de la difficulté ; la vie d’étudiant est certes difficile sur le plan financier mais apporte beaucoup d’autres agréements, pour ma part je regrette souvent cette époque (le goût pour cette vie n’est-elle pas d’ailleurs parfois un des facteurs du choix pour une carrière de chercheur ?...)"
Et alors ? Encore une fois, toute votre "argumentation" n’a d’argumentation que l’apparence, car elle ne repose que sur vos jugements de valeurs : on ne met pas en place une politique générale d’évaluation de la recherche sur la base de simples racontards, d’impressions vagues, ou d’idées fausses. Quand vous faites une thèse en SHS, elle n’est que très rarement financée : vous avez alors du mal à profiter pleinement de la vie d’étudiant, car il vous faut travailler en parallèle à votre recherche pour financer votre thèse. Croyez moi, ce n’est pas une situation si reposante ni si enviable, et il faut vraiment "en avoir", comme on dit trivialement, pour se lancer dans une telle aventure sans avoir la moindre certitude de trouver au bout un emploi. De ce point de vue, il est clair également que les SHS coûtent bien moins cher à la collectivité que les sciences de la nature, puisqu’elles ne bénéficient quasiment jamais de bourses de thèse.
" sans mépriser personne, je pense qu’il est objectivement plus difficile de rentrer à Normale Sup ou à l’X que de faire 10 ans à la fac."
Je ne vois pas le rapport : j’enseigne à Normale Sup’, mais je viens de la fac. Une thèse à Normale sup est équivalente à une thèse passée à la Fac : même degré d’exigeance. La seule différence est le concours d’entrée, mais il est lié à l’agrégation, et non à la recherche. Là encore, vous feriez mieux de vous documenter...
"A ce propos, on entend actuellement souvent l’argument selon lequel "il est inadmissible de laisser sans travail des jeunes qui ont fait 8 ou 10 ans d’études supérieures" ! Les pouvoirs publics ont la responsabilité de piloter l’enseignement supérieur en ne laissant notamment pas s’hypertrophier des filières sans débouchés réels mais de là à ce que de longues études donnent un droit automatique à un poste (sous entendu de fonctionnaire évidemment), n’est-ce pas un peu fort ?"
Il n’a jamais été question d’un droit automatique à un poste : pour devenir maître de conférences, un docteur doit tout d’abord être "qualifié" par un jury de chercheurs qui examine son dossier (publications, enseignements effectués, participation à des programmes de recherche, etc., en plus évidemment de sa thèse). Il est alors "qualifié" pour une période de 4 ans, non renouvelable : après cette période, s’il n’a pas trouvé de poste, il doit repasser la même procédure s’il souhaite postuler à nouveau. Une fois qualifié, il doit passer un concours national de recrutement, dont la procédure est normalisée (examen collectif de son dossier par une commission de spécialistes, puis oral de passage). Je vous assure qu’il n’y a là rien d’automatique. En revanche, la diminution dramatique du nombre de postes mis au concours rend tout à fait aléatoire la possibilité de trouver un travail d’enseignant-chercheur, alors que les besoins en enseignants et en chercheurs n’ont pas diminué, bien au contraire...
"Les chiffres que vous citez me semblent montrer justement que cet engouement pour la sociologie est encore plus important que je ne le croyais. C’est insensé car les statistiques de ce rapport montrent bien aussi que les SHS peinent beaucoup à trouver une place dans les entreprises. Il est évident qu’il n’y a pas la place pour tous ces gens dans le monde du travail, sauf à créer des postes de fonctionnaires en surnombre et donc à l’utilité assez marginale."
Là encore, ne prenez pas vos jugements de valeurs pour des généralités applicables à la recherche dans son ensemble : l’utilité des fonctionnaires (ici des enseignants-chercheurs) est réelle, vu le sous encadrement chronique des étudiants dans les universités (sous encadrement dû à l’augmentation des cohortes en premiers cycles et à la baisse des recrutements d’enseignants).
De plus, quand on voit à quel point les sociétés contemporaines ont du mal à comprendre la nature et les raisons des problèmes sociaux qui accompagnent leur développement (chômage, rapports de pouvoir, violence, fonctionnement des médias, rôles des savoirs dans la société, rapports interculturels, rôle des religions, flux migratoires, effets du vieillissement des populations, effets des changement d’échelles des territoires, interactions hommes-nature, j’en passe et des pires...), on ne peut que s’alarmer quand le ministère de la recherche supprime des postes : c’est autant de connaissances en moins qui seront produites dans des domaines où, jamais, la connaissance n’aura été si nécessaire. Quand on constate à quel point les politiques, dans certains domaines où ils interviennent, ont des carences gravissimes en termes de compréhension des phénomènes sociaux relevant de leur compétence et de leurs décisions, on ne peut qu’être extremement inquiet. Les SHS ne sont pas inutiles tout simplement parce qu’elles sont essentielle à la prise de décision éclairée dans le domaine du politique. La connaissance qu’une société produit sur elle-même, même si elle ne sert pas immédiatement dans le cadre de l’expertise ou pour la production de biens de consommation ou de services, est un bien commun inestimable dont la valeur ne peut être calculée en euros : on ne quantifie pas la culture, cher monsieur ! On n’évalue pas un patrimoine culturel et scientifique millénaire à l’aune d’une pensée de boutiquier ! C’est au contraire dans la dynamique et dans l’historicité du don que devrait être pensé l’apport des SHS à la collectivité : don que fait le chercheur au fonctionnement démocratique ; don que seule l’histoire pourra juger petinent ou non ; don aux bibliothèques et aux générations futures ; don à la communauté des chercheurs et des individus libres, éclairés, et égaux entre eux. Une société qui oublierait cela ne pourrait que plonger dans la barbarie, et c’est bien pour cette raison que les SHS sont essentielles.
Bien cordialement.
Igor Babou
Maître de conférences, ENS Lettres et sciences humaines
-
-
-
> Tirer sur les ambulances est à la mode (Certaines "recherches" ne sont-elles pas moins prioritaires que d’autres ?)
14 mars 2004, par Igor babou
Bonjour,
Chercheur en SHS, me sentant insulté par vos propos qui sont proches de la calomnie, j’ai décidé de vérifier vos affirmations sur le site du CNRS : leur fausseté est clairement démontrée par le graphique des actions pilotées par le CNRS qui fait état des répartitions budgétaires entre départements :
graphique de la répartition budgétaire
Le département SHS consomme 18,293 M€ sur 228,361 M€ consacrés à la recherche toutes disciplines confondues. Ce qui signifie que les SHS représentent moins de 8% du budget attribué...
Bien entendu, il ne s’agit là que des actions "pilotées" par le CNRS, ce qui ne dit rien des budgets globaux (il manque le coût des locaux, par exemple, ou celui des assurances, etc.). Mais ça donne tout de même une image réaliste de ce que doit être la répartition budgétaire globale entre disciplines.
Ensuite, le CNRS présente les affectations par département de ses effectifs : les SHS ne représentent que 15,23 % des fonctionnaires de cette institution (graphique des affectations). Difficile de dire, dans ces conditions, que les SHS seraient le 2nd budget du CNRS !
Quant aux SHS à l’université, n’en parlons même pas : quiconque s’intéressant un minimum à la recherche devrait être conscient qu’entre le budget des grands équipements scientifiques (type CERN, ITER, etc.) et le budget d’une recherche en sociologie, il y a un monde !
Maintenant, voyons le "fond" de vos remarques. Vous écrivez "J’ai toujours entendu dire -et cela m’apparaissait assez logique- que les études de sociologie ne menaient qu’à une impasse". Depuis quand ce type de ragots de comptoirs constituent-ils une procédure d’évaluation rationnelle ? Doit-on réduire les budgets (déjà ridicules) des SHS sur la foi de ce que vous avez, bien vaguement, "entendu dire" ? D’une part, il y a eu et il y aura encore des "impasses" dans toutes les disciplines de toutes les sciences, qu’elles soient humaines ou non : l’erreur fait heureusement partie du processus de connaissance, et le nier relève du pur et simple fantasme totalitaire ou managerial. Prouver que les impasses sont plus fréquentes en SHS qu’ailleurs demanderait de définir proprement ce qu’est une "impasse" : en fonction de ce que nous apprend l’Histoire des sciences ? Au regard de critères extra-scientifiques comme les questions de rentabilité économique à court terme pour l’industrie ? Faute de nous dire ce que vous entendez par "impasse", je suis bien obligé de lire vos propos comme de pures et simples insultes déguisées en argumentation, insultes adressées à l’ensemble d’une communauté dont vous avouez benoîtement ne rien connaître, ce qui est tout de même un comble. Me voilà bien déçu, moi qui pensais qu’avant de parler d’un sujet il fallait l’avoir tout d’abord problématisé, puis avoir mené quelque enquête empirique, avant de présenter des résultats et des interprétations...
Ensuite vous nous parlez de débats télévisés, et du "sociologue du cnrs". Quel rapport ? N’avez vous jamais entendu s’exprimer dans ces mêmes médias le "biologiste de service" ? Le "physicien de service" ? Le "mathématicien de service" ? Quant à vos remarques sur la trivialité de certains propos de sociologues interviewés par la presse, elles pourraient tout aussi bien s’appliquer à toute tentative de vulgarisation menée depuis les sciences de la nature, par n’importe quel "physicien de service". Pour autant, cela ne mettrait pas en cause le travail de fond mené dans ces disciplines, travail qui se trouve forcément réduit à peu de chose dans la minute et demie que certains sujets du JT consacrent à tel ou tel chercheur.
Enfin, qu’il y ait des gens peu rigoureux en sociologie, comme il y en a chez les ingénieurs ou dans n’importe quelle discipline des sciences de la nature, c’est une évidence. Mais ça ne remet pas en cause le travail absolument nécessaire qui se constitue au cours de l’histoire des disciplines et au sein des communcautés de recherche : un exemple n’a jamais constitué une règle ! N’oublez pas qu’en sociologie comme dans n’importe quelle discipline, on passe des années en thèse, puis on essaie de se faire qualifier, puis on postule sur des postes (concours national), et que pour cela, il faut avoir publié dans des revues scientifiques à comité de lecture, qu’il faut avoir mené des travaux empiriques (et pas seulement des lectures impressionistes des phénomènes sociaux), avoir collecté des données, les avoir problématisées, avoir beaucoup lu, participé à des séminaires, à des colloques, être évalué par des commissions de spécialistes, bref, que le travail en SHS n’a rien à envier en termes de rigueur, de volonté d’objectivité et de difficulté à celui des sciences de la nature. Je dirais même que comprendre la culture, les langages, les signes, les logiques sociales ou l’histoire des sociétés relève d’une complexité sans doute aussi importante que celle de la compréhension de la "mécanique" des atomes, mais ça nous engagerait sur un débat d’épistémologie qui n’aurait pas sa place ici.
Je vais maintenant prendre un malin plaisir à vous revoyer la balle : comment se fait-il que dans le privé on continue à embaucher des ingénieurs qui commettent autant d’erreurs de raisonnement en tenant des propos de sens commun sur des sujets qu’ils avouent eux-même ne pas connaître ! Je peux vous assurer qu’on demande à nos étudiants de DEA en SHS de faire bien plus d’efforts d’argumentation et de recherche avant d’écrire la moindre ligne...
Ce qui est fou, c’est d’en être à rappeler de telles trivialités sur un site supposé être destiné à la discussion entre chercheurs ! Se confirme ici ce que je crains depuis des mois à la lecture de SLR : le mépris général et affiché de certains tenants sciences "dures" pour les sciences humaines et sociales, mépris qui présage mal des futurs Etats Généraux. On ne construit rien de durable sur de tels implicites et sur la base d’un tel aveuglement épistémologique. J’espère que les organisateurs de ces Etats Généraux auront l’intelligence de ne pas être sur cette ligne scientiste/positiviste qui ne présage rien de bon pour l’avenir, ni pour la recherche, ni pour les rapports sciences/société plus généralement.
Pour finir, j’ai envie de citer un physicien, Jean-Marc Lévy-Leblond : "Rien ne serait plus dangereux pour la survie même de l’aventure scientifique que de vouloir l’isoler par un cordon sanitaire : à vouloir exercer une prophylaxie absolue, les scientifiques risqueraient la stérilisation et même la stérilité. La communauté humaine ne s’établit qu’au risque permanent du malentendu, et cela est vrai dans le domaine intellectuel aussi bien. La fécondité des échanges demande plus d’attention mutuelle que de jugements péremptoires, plus d’écoute modeste que de condamnations sans appel." (Levy-Leblond, Jean-Marc, La méprise et le mépris, Alliage n° 35-36, 1998).
Bien à vous.
Igor Babou, chercheur en SHS et fier de l’être
-
> Tirer sur les ambulances est à la mode (Certaines "recherches" ne sont-elles pas moins prioritaires que d’autres ?)
15 mars 2004, par Armel Le Bail - Université du Maine - DR CNRS - Cristallographe (sous-discipline promise à la disparition : il n’ y aurait plus rien à découvrir...)
Toutes les recherches sont prioritaires. Le corollaire est que toutes les disciplines ont été, à un moment ou à un autre, déclarées comme étant moins utiles et devant s’effacer purement et simplement. Le point commun à ces déclarations est qu’elles ne proviennent pas de l’intérieur mais de l’extérieur des disciplines. Le chimiste trouve qu’on a fait le tour du Big Bang et que l’on peut arrêter d’y consacrer le moindre effort supplémentaire, le biologiste estime que le nucléaire a fait assez de dégats, le cosmonaute envisage d’augmenter le budget du spatial, y trouvant toutes les justifications du monde. Finalement, c’est plutôt du côté des SHS que l’on trouvera les analyses les plus justes (quoiqu’il y ait là-aussi des extrêmistes). Le seul problème est plutôt que les politiques soient incapables de distinguer une analyse juste d’un rapport qui conclu dans le sens préétabli. Le politique n’écoutera pas non plus le peuple ayant le culot de donner son avis sur la guerre en Irak (cas de l’Espagne ou du Royaume Uni) ou bien étant à plus de 80% à soutenir le mouvement "Sauvons la Recherche".
-
> Tirer sur les ambulances est à la mode (Certaines "recherches" ne sont-elles pas moins prioritaires que d’autres ?)
15 mars 2004, par Dorian McILROY
Je viens de regarder les graphiques que vous indiquez. Puisque la masse salariale représente les trois quarts du budget du CNRS, il me parait vraisemblable que le departement SHS soit le deuxième budget du CNRS, après Sciences de la Vie.
Sur le fond du débat, on est en droit de se demander que font tous ces chercheurs en sciences sociales ? J’imagine que dans le plupart des pays, les recherches dans ces domaines sont effectuées par des enseignants-chercheurs, qui jouent donc un rôle important dans l’éducation, et a qui on ne peut pas reprocher de gaspiller l’argent du contribuable, comme semblait faire M. Luciano. La recherche en sciences sociales ne serait-elle pas mieux organisé selon ce modèle ?
-
> Tirer sur les ambulances est à la mode (Certaines "recherches" ne sont-elles pas moins prioritaires que d’autres ?)
15 mars 2004, par Joëlle Le Marec
Pour savoir ce que font tous les chercheurs en sciences humaines, très simple, il suffit de les lire...Vous imaginez que dans la plupart des pays, les choses se passent certainement mieux...Encore une fois, on ne peut plus accepter des argumentations basées sur des suppositions, et en particulier sur le stéréotype du modèle extérieur. De quel modèle s’agit-il exactement ? Voulez-vous dire que le statut de chercheur à temps plein ne devrait être réservé aux chercheurs en sciences dures, seules suffisamment importantes pour mériter qu’on leur consacre tout son temps ?
Je ne comprends pas très bien pourquoi on trouve sous la plume des chercheurs des a priori disqualifiants qui sont exactement ceux dont eux-mêmes souffrent et qu’ils dénient lorsqu’ils leur sont adressés. D’une manière générale, je suis étonnée qu’en en soit encore à attaquer les sciences sociales, alors que les chercheurs en SHS ne dénient en aucun cas la légitimite des sciences de la nature.
J’espère entendre d’autres voix pour en finir avec ce débat désolant. C’est à cause de ce type de présupposé que les chercheurs en SHS même s’ils militent, soutiennent le mouvement et luttent dans leurs institutions, peuvent être réticents à l’égard de l’appel "sauver la recherche", dans la mesure où celui-ci semble exclure la spécificité de ce domaine. Je pense que nous devrions revendiquer la diversité des configurations de recherche et des enjeux de production du savoir, et non situer le débat uniquement sur le terrain de la rentabilité et des coûts.
Joëlle Le Marec (chercheur en SHS, ENS-Lettres et sciences humaines)-
> Tirer sur les ambulances est à la mode (Certaines "recherches" ne sont-elles pas moins prioritaires que d’autres ?)
29 mars 2004
Chère Mme. Le Marec,
Désolé pour le retard de ma réponse, mais j’essaierai de vous donner quelques précisions.
De quel modèle s’agit-il exactement ?
En gros, le modèle qui fonctionne dans la plupart des autres pays, ce qui implique une plus grande flexibilité entre les métiers de chercheur et d’enseignant du supérieur. D’après ce que j’ai vu dans le domaine de la biologie, je pense que le gouffre qui sépare les chercheurs et les enseignants-chercheurs en France est un gaspillage catastrophique. D’une part, il n’y a aucune possibilité de demander à un chercheur qui n’a rien publié depuis des années de faire un peu d’enseignement. (Avant de me dire que c’est pas possible, que tout le monde est brillant etc, je vais vous donner un exemple. Dans mon ancien labo d’accueil il y a un CR1 CNRS qui a pour tout et pour tout 2 publications en quatrième co-auteur dans des périodiques obscures. Quand on regarde les dossiers des candidats actuels aux concours il est évident que quelque chose ne va pas dans le système d’évaluation.) D’autre part, les contacts entre les chercheurs et les étudiants sont très limités, ce qui est une perte colossale pour l’enseignement. Par exemple, quand j’étais en licence, j’ai eu la chance d’avoir des cours donné par Paul Nurse (Prix Nobel Physiologie et Médicine). En France ce n’aurait pas été possible car personne lui aurait proposé de faire des cours sur son propre domaine d’expertise.
Voulez-vous dire que le statut de chercheur à temps plein ne devrait être réservé aux chercheurs en sciences dures, seules suffisamment importantes pour mériter qu’on leur consacre tout son temps ?
Non. Je pense que c’est une question qui doit être posée également aux chercheurs dans les sciences experimentales.
-
-
-
> Tirer sur les ambulances est à la mode (Certaines "recherches" ne sont-elles pas moins prioritaires que d’autres ?)
17 mars 2004, par luciano
Bonjour
beaucoup de malentendus apparemment dans votre réaction
concernant les chiffres, regardez à nouveau le site du CNRS (annexes du rapport annuel), les SHS sont le 2nd dépt en effectifs avec effectivement 15% soit 4000 personnes et le 3ème au niveau du budget toutes dépenses confondues (j’exclue les moyens communs), seuls la biologie et la chimie (de très peu) sont devant
bien à vous
-
> Tirer sur les ambulances est à la mode (Certaines "recherches" ne sont-elles pas moins prioritaires que d’autres ?)
18 mars 2004, par Aurélien
Franchement, comme dirait un vieux chercheur en sociologie avec qui j’ai eu la grande chance de faire un bout de chemin, "much ado about nothing"... Sous couvert de fausses politesses, vous me faites doucement rigoler... parce-qu’à trop essayer de paraître, votre pensée ne pèse pas bien lourd... Le pb est que je suis moi-même ingénieur de formation avec la tare suplémentaire, ne vous en déplaise, d’être chercheur, et que votre discours tellement banal ne m’est que malheureusement trop familier...
Car bien entendu, pourquoi gaspiller de l’argent dans la recherche en sociologie, qui comme vous l’indiquez si brillament ne sert pas à grand chose..? pas plus que les dépenses dans les domaines culturels, dans les droits de l’homme, dans l’histoire, la géographie etc... Établissons donc des priorités, supprimons l’inutile, banissons le superflu, élagons, épurons, nettoyons toute cette vilainie qui coûte au laborieux ! Et vous avez tellement raison, pourquoi entretenir ces monuments vieux déjà de quelques siècles ? Remplaçons par du neuf, des matériaux modernes, du vrai, pas du toc... Des Dali, Miro, tout le monde s’en fout !
Voyez vous, les SHS, c’est précisément ce qui sauve de la médiocrité et du vide... Pour ce faire, pas de budget trop élevé... et ce n’est pas du second mais du premier budget que l’on devrait discuter... parce-que la biologie et la physique ne vous serviront jamais qu’à rester en vie, et le reste à devenir vivant...
Un ingénieur matériaux, chercheur spécialisé dans les techniques d’analyse des mécanismes de micro-déformations dans les polymères par techniques de rayonnement synchrotron....
À bon entendeur...
-
-