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réactions à l'article «Les « chercheurs à vie » : une tare de la recherche ?»

  • > Les « chercheurs à vie » : une tare de la recherche ?

    3 mai 2004, par Philippe Ghez

    Monsieur Mercier, par ce texte comme par d’autres, place la discussion me semble-t-il, sur le plan "politique". Je mets des guillemets car le mot "politique" apparaît (pas si souvent que cela) dans le débat. Mais ce qu’on met derrière le mot est souvent à géométrie variable. Il a par exemple été répondu à un des articles de monsieur Mercier, que ce débat est un débat "sur la recherche et pas un débat politique". J’aimerais exprimer un point de vue sans doute pas trés original où le lecteur décidera lui-même, si c’est un point de vue "politique" ou pas.
    La situation de la recherche et de l’enseignement supérieur, en France, et surtout les questions que cette situation pose, n’est pas trés différente à mon sens, d’autres domaines d’activités. De la situation de l’Ecole, de l’Hopital, de l’Administration, etc...
    Ces domaines portent un nom. On les appelle communément le "Service Public". La "Fonction Publique". Les "Fonctionnaires". Chercheurs à vie, par exemple.
    Pour discuter souvent hors cadre professionnel (des amis) avec des "fonctionnaires" et avec des "non-fonctionaires", je connais par coeur (comme vous tous, sans doute), les "visions" réciproques des uns et des autres. Les "vous avez bien de la chance, vous ne risquez pas de perdre votre boulot", les "j’suis instit, je travaille comme un fou et ma vie devient de plus en plus impossible car on ne nous donne pas les moyens", les "un fonctionnaire, qu’il bosse ou qu’il bosse pas, ça change pas grand-chose", les " ouaip, mais pour pouvoir bosser faudrait avoir des moyens", etc...
    Voilà la question de fond. Car c’est finalement sur cette question (exemple : chercheur à vie) que se focalisent toutes les craintes mais aussi toutes les menaces.
    Et, dans un pays où il y a 2 millions et demi de chômeurs, la crispation entre les deux "statuts/situations", augmente. Les rancunes s’accumulent.

    Il n’y a pas trente-six façons d’en sortir. Il faut hiérarchiser les questions avant d’y répondre. Et, à l’évidence, la première question, la question cruciale (politique-pas politique ?) est : "service public or not service public ?"
    Le choix est là. Nulle part ailleurs. Même s’il existe des solutions intermédiaires (la célèbre "économie mixte") qui ne font qu’éluder le problème.
    Finalement, c’est quoi un service public ?

    Il n’y a là non plus pas trente-six réponses. C’est un "service" pour le "public" (CQFD !). Ça concerne ou peut concerner tout le monde. Ça conditionne la vie de tout le monde. Ça aide ou améliore la vie de tout le monde. Ça n’a pas de limite temporelle. C’est pérenne. Immuable (je parle du SERVICE) : l’éducation, la santé, la connaissance, le fonctionnement du pays, l’énergie (... domaine sensible ?), etc ...
    Un pays qui n’a pas de service public fort, moderne, efficace, "excellent" (qualificatif trés à la mode), ne "fonctionne" pas.
    Bon. Et alors ?
    C’est quoi un service public fort, moderne, etc ... ?
    Pas grand-chose : de l’efficacité ET de la pérénité

    De la pérénité.
    Donc, échapper aux "lois du marché" qui, par essence, vont et viennent (seule la "loi" elle-même est bien toujours là !). Définir le service public comme un objet excluant la notion même de rentabilité. Une institutrice est-elle rentable ? Pire : aller à l’école est-ce rentable ? Ou honte (j’ai honte pour celui qui l’a dit ou écrit) : "la recherche c’est fait pour gagner de l’argent".
    On me croira peut-être naïf : "qu’on ne me parle pas d’argent". Il me semble qu’au contraire, la VRAIE question (pour la recherche et l’enseignement supérieur comme pour l’éducation en général, la santé, etc ...) est là. Sur la dégradation ininterrompue depuis des décennies, de la notion de service public, de la perception du statut/métier de fonctionnaire.
    Cette dégradation est dûe, me semble-t-il, à deux causes récurrentes : la dégradation des moyens (les sous, les sous) et conséquemment (mais PAS seulement) la dégradation du "service".
    Si LA réponse est : SERVICE PUBLIC, alors TOUS LES MOYENS doivent lui être donnés.
    MAIS si LA réponse est : SERVICE PUBLIC, alors TOUS LES EFFORTS doivent être faits pour assurer l’excellence du service.
    C’est un peu le proverbe "le beurre et l’argent du beurre". La fonction publique ne peut pas avoir le beurre (tous les moyens et surtout la permanence de l’emploi) et l’argent du beurre (un service qui se ... "dégrade" petit à petit).
    Je ne suis pas certain qu’en France, le "service se dégrade", si ce n’est parce que les moyens se dégradent. Néanmoins, il est clair que beaucoup de choses peuvent être faites pour que le service s’améliore encore. Je suis malheureusement obligé d’en venir au principe "récompense-punition" car il n’y a pas vraiment d’autre choix. Et parce que la fonction publique (y compris la recherche et l’enseignement supérieur) n’est pas exempte de tous reproches. Il faut sans cesse vouloir améliorer, par l’évaluation, la qualité du service. Et (c’est tout aussi important) le faire savoir. Faire savoir à ceux qui jugent parce qu’ils croient savoir, que le service public est évalué, cherche toujours à s’améliorer, etc ...
    Mais, quand on lit sur ce forum des contributions "agressives" comme celle d’un ancien ministre, je cite : "Ici nous sommes fonctionnaires, les promotions se font le plus souvent à l’ancienneté, sans tenir compte du travail ; chercheur à vie ! quelle sinécure." et quand je me souviens avoir été membre du Comité National de la Recherche Scientifique et ainsi avoir "évalué et jugé" pour un recrutement ou pour une promotion, 100 personnes (bac + tout ce que vous voulez) pour 10 postes (entrée au CNRS ou "passage (promotion) CR (chargé de recherche) -> DR (directeur de recherche)"), j’ai honte pour ce monsieur. Quand je sais, grâce à cette expérience et à d’autres, tout ce que (au CNRS et dans ma communauté), le non-passage CR->DR peut représenter comme "punition" (par opposition à "récompense"), j’ai honte pour ce monsieur. Quand je me souviens avoir dit (juste aprés le "jugement") à un père de famille de 35 ans, trés bon chercheur mais pas considéré comme "le meilleur" : "ben non, cher monsieur, on ne vous recrute pas" (va falloir aller ou retourner au chômage), j’ai honte pour ce monsieur.
    Au CNRS (comme ailleurs), cher monsieur, on "pratique l’excellence". On essaie, en tous cas. Et ce que j’ai pu voir dans d’autres pays (y compris aux Etats-Unis, puisqu’il semble que cela soit LE modèle), ne m’impressionne guères. Pour ne pas dire plus.
    Voilà.

    La recherche et l’enseignement supérieur (et l’éducation et la santé et etc ...) :
    - un service public (fonctionnaire !)
    - avec "tous les moyens" (pas autre chose qu’une question de priorité (un choix) budgétaire)
    - avec "tous les devoirs" et toute forme de récompense/punition basée sur une vraie évaluation pour aboutir à l’excellence du jugement. C’est possible. Cela existe. Cela marche (pas tout le temps). On peut et doit faire mieux.

    Ce "prêche" pourra paraître naïf et utopique ou stalinien et borné.
    Je suis simplement inquiet pour le service public et donc pour l’avenir de notre beau pays ...
    Est-ce de la politique ?